La situation sécuritaire se dégrade de jour en jour au Mali et au Sahel de façon générale malgré les gigantesques moyens militaires mis en œuvre. Pour sortir de ce cycle infernal, les autorités maliennes ont rappelé la nécessité d’un dialogue avec les groupés armés non conventionnels, comme suggéré lors de la Conférence d’Entente nationale (2017) et le Dialogue national inclusif (2019). Cependant, la France un partenaire stratégique du Mali dans la lutte contre les groupes radicaux, voit d’un mauvais œil cette approche. Négocier avec les groupes terroristes serait-il un aveu d’échec contre la stratégie de sécurisation ? Aly Tounkara, directeur du Centre des Études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) nous livre son analyse.
Mali-Tribune : Cinq mois après la mort d’Abdelmalek Droukdel Aqmi vient de désigner son nouveau leader. Qu’est-ce qui explique les raisons de cette désignation et quel est le mode de désignation ?
Aly Tounkara : Dans la culture des groupes radicaux violents, lorsqu’un chef meurt, son successeur est rapidement désigné parce que déjà avant sa mort, il y a un certain nombre de critères opaques qui font du successeur, un remplaçant légitime. Il est à noter que les groupes radicaux violents sont traversés par des querelles intestines qui rythment parfois leur quotidien. Ainsi, il n’y a rien d’étonnant que la succession du chef fasse aussi l’objet de fractures, voire la dislocation du groupe. C’est pourquoi on assiste très souvent à l’émergence de groupuscules liés à cette question de leadership.
Quand on analyse de manière scrupuleuse les trajectoires des groupes radicaux violents au Mali, on s’aperçoit qu’Aqmi est très souvent dirigé par un Algérien, parce que les premiers arrivants dans les régions du Nord du Mali sont de nationalité algérienne pour la plupart. D’ailleurs, Al-Qaïda mère a toujours attiré plus d’Algériens que de Marocains par exemple. Tandis que les acteurs qui incarnent l’État islamique dans le grand Sahara sont originaires majoritairement du Maroc. Donc, la géostratégie et la géopolitique sont aussi présentes dans la configuration des groupes radicaux violents. Même si l’on assiste çà et là à une endogénéisation de la violence.
Pour connaître le consensus autour du successeur désigné, cela se traduit dans ses capacités à fédérer les éléments moins on assiste à une explosion du groupe, plus le consensus est trouvé.
Mali-Tribune : En visite au Mali, le chef de la diplomatie française et son homologue des armées ont fermé la porte à un possible dialogue avec les groupes djihadistes alors que les nouvelles autorités veulent un dialogue. Pourquoi un tel désaccord entre Paris et Bamako?
A T. : Je pense qu’il y a un sérieux problème de lecture qu’on fait de l’insécurité au Mali entre Français et Maliens. D’ailleurs au Mali, parce que lorsqu’on écoute attentivement les récentes déclarations du Président français, Emmanuel Macron, clairement il est resté ferme sur la non discussion avec les groupes radicaux violents, en l’occurrence, l’État islamique, mais il est resté dans le même temps, à la limite silencieux sur le cas d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Cela n’est ne pas anodin parce que la France avait désigné l’État islamique depuis la rencontre de Pau comme l’ennemi à abattra.
La France s’oppose ouvertement au choix effectué par une partie du peuple souverain du Mali qui a émis le souhait d’ouvrir un cadre de dialogue avec les groupes radicaux violents. Pour rappel, lord de la Conférence d’Entente nationale, tenue en 2017 et le Dialogue national inclusif de fin 2019, des Maliens ont invité les autorités d’alors à s’inscrire dans le dialogue avec les groupes radicaux violents. Il est vrai que le Mali doit associer ses partenaires, la force Barkhane française et la Minusma dans la conduite de cette offre du dialogue, mais en aucun cas, il ne doit perdre sa souveraineté au profit des partenaires censés évoluer sous son autorité.
En dépit des efforts que consentent le Mali et ses partenaires dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, force est de constater que les réponses militaires à elles seules sont loin de combler les attentes légitimes des Maliens en matière de sécurité et de stabilité. Ces réponses sont certes nécessaires, mais ne suffisent pas elles seules. La persistance et l’expansion de l’insécurité, restent un témoignage éloquent à cet effet.
Mali-Tribune : Accepter de négocier avec les groupes terroristes serait-il un aveu d’échec contre la stratégie de sécurisation du Centre et le Nord du pays?
A T. : Je pense que les différentes initiatives qui ont été prises par l’État central du Mali en faveur d’une paix durable n’ont pas permis le retour à la stabilité et la reconquête de l’intégrité territoriale et cela est indéniable. Les efforts ont certes permis à certains égards aux populations de satisfaire certains besoins vitaux. La délivrance de certains services sociaux de base dans les régions du Nord ainsi que celles du Centre du pays en sont une illustration de l’engagement de l’État à soulager les souffrances des populations. Il convient de rappeler que les populations en proie à l’insécurité sont aussi partie prenante de cette offre de dialogue avec les groupes radicaux violents. Le dialogue n’est pas synonyme de l’absence des réponses militaires, mais les deux doivent être engagés concomitamment. En effet, l’Algérie et la Mauritanie, pays frontaliers du Mali, ont connu un début d’accalmie lorsqu’ils ont accepté de dialoguer avec les terroristes tout en maintenant les actions militaires. Le Mali doit s’en inspirer, si seulement si, il veut arriver au bout du tunnel. Dialoguer n’est pas synonyme de faiblesse ou de la lâcheté.
Mali-Tribune : Pour le Général Christophe Gomart, ex-commandant des forces spéciales françaises “si l’armée française s’en va, les groupes djihadistes reviennent vers le sud du Mali“. Est-ce cas ?
A T. : Nous rappelons quand même que même si des critiques très objectives peuvent-être adressées à l’intervention française au Mali, à celle de la Minusma, les deux partenaires jouent un rôle important pour maintenir le début d’accalmie que certaines localités connaissent aujourd’hui. Leur apport est important dans les régions du nord et du centre. Mais vouloir nous inscrire dans une sorte de chantage si l’armée française venait à quitter le Mali, les groupes radicaux violents vont prendre domicile à Bamako et dans les autres villes du pays, je pense qu’une telle réaction souffre d’objectivé et de responsabilité. Mais dans le même temps, elle interroge aussi l’impérieuse nécessité de redéfinir le mandat des forces étrangères présentes au Mali et soulève surtout l’épineuse question d’une collaboration effective et réelle entre les FAMas et les forces étrangères.
Ousmane M. Traoré
(Stagiaire)