En dépit des libérations de Soumaïla Cissé et trois autres ex-otages beaucoup de questions et d’interrogations surgissent de partout sur la libération de plus de 200 présumés djihadistes fêtée en grande pompe par Iyad Ag Agaly. Une semaine après ces libérations, le centre du pays connait une recrudescence des attaques et la ville de Farabougou est toujours assiégée par des présumés djihadistes. Qu’est-ce qui explique cette recrudescence des attaques au centre après une période d’accalmie ? Aly Tounkara, directeur fondateur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CESSS) nous livre son point de vue. Entretien.
Mali-Tribune : Á Sokoura, dans le cercle de Bankass une position de l’armée malienne a été attaquée plus d’une dizaine de militaires tués. Qu’est- ce qui explique cette recrudescence des attaques dans le centre du pays ?
Aly Tounkara : Il y a trois aspects qui expliquent essentiellement cette recrudescence. Le premier aspect c’est la non-conformité des réponses militaires proposées par l’Etat du Mali de 2012 à aujourd’hui ainsi que celle de ses partenaires notamment la force Onusienne et force Barkhane française ses différentes réponses militaires peinent à contenir l’insécurité parce que nous ne sommes pas adaptés à la nature de la menace sécuritaire.
Pour le cas de l’armée malienne, ce sont très souvent des attaques qui ont lieu dans les camps, les positions des FAMas sont régulièrement attaquées soit les éléments des forces de défense et de sécurité tombent dans des embuscades cela dénote à suffisance que les différentes stratégies seule solution proposée par les FAMas peinent à avoir un encrage en terme de réduction ou de la lutte contre le terrorisme donc c’est une question d’adaptabilité des réponses à la nature de la menace.
Deuxième élément, ça dénote aussi pourquoi les forces de défense et de sécurité dans leurs écrasantes majorité peinent à bénéficier de l’apport des communautés notamment les communautés rurales ? Cela sous-entend aussi qu’on assiste à une sorte d’endogénéisation de l’insécurité le fait que de plus en plus on a des terroristes qui sont non seulement des Maliens mais qui sont nés et grandis dans les localités où les attaques sont régulières, il y a une sorte de domestication de l’offre d’insécurité.
Troisième élément important c’est aussi la non coordination entre les acteurs en présence notamment les forces de défense et de sécurité du Mali et ceux des pays partenaires quand on regarde la fréquence des attaques et très souvent ce sont les FAMas qui sont les plus attaquées, les plus exposées à ces attaques terroristes, donc ça interroge la nature des collaborations entre les forces en présence.
Est-ce que force Barkhane française, force Minusma et FAMa sont-elles réellement en collaboration ? Si collaboration il y a, elle n’est pas effective, si cette collaboration est effective les attaques devraient être dirigées contre ces trois forces en présence, mais malheureusement très souvent, c’est l’armée malienne qui est plus exposée à ces attaques terroristes.
Mali-Tribune : Plus de 200 présumés djihadistes relâchés en échange de Soumaïla Cissé et trois ex- otages dans ces conditions. Comment poursuivre la lutte contre le terrorisme au Sahel dans ces conditions ?
A.T. : Il faut voir ces différentes libérations sous plusieurs angles. Des commentaires qui vont parler de l’aspect moral des libérations sont des commentaires qui restent légitimes Quand on s’inscrit dans une posture comparative, quatre ex-otages contre plus de 200 présumés terroristes libérés naturellement une question morale et éthique ça pose problème, mais lorsqu’on interroge la question d’efficacité et de pertinence d’une telle libération en terme de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, ça peut choquer les familles qui ont été éprouvées par ces attaques terroristes. Les proches de ces familles également de voir que pour quatre ex-otages on arrive à libérer autant de détenus présumés terroriste. Mais quand on s’intéresse au trajectoire du terrorisme que ce soit au Mali ou ailleurs, tous les Etats qui connaissent un début d’accalmie aujourd’hui sont des Etats qui ont procédé malheureusement par des libérations massives. Le cas de l’Algérie est un témoignage éloquent, ils ont libéré pas des centaines, mais des milliers de terroristes afin que l’Algérie puisse connaitre un début d’accalmie. La même manière en Mauritanie des terroristes ont été libérés qui ont les mêmes statuts que Hamadou Kouffa, Iyad Ag Agaly et Malame Dicko n’eussent été ces différentes libérations, ça allait être difficile aujourd’hui que la Mauritanie connaisse autant de stabilité, de la même manière l’exemple récent des USA qui ont déclaré une guerre acharnée contre les talibans et ce sont les mêmes USA qui ont libéré des milliers de talibans détenus et parmi ces libérés il y a parmi eux qui ont tué non seulement des populations afghans, mais des ressortissants américains et européens à la suite des attentats, mais en dépit de ces atrocités, ils ont libéré des milliers, pour déclencher des négociations au Qatar.
Dans le long terme, ce sont ces mêmes présumés terroristes qui peuvent servir en terme de fourniture de renseignements à l’armée malienne même aider l’armée malienne à certains égards de localiser avec précision les différentes positions de ces Katibas.
On ne peut pas établir un lien immédiat entre le retour aux attaques meurtrières et ces différentes libérations que nous venons d’assister. Le lien n’est pas objectivement soutenable.
Mali-Tribune : Ces derniers temps, il y a eu des accrochages violents entre le GSIM de Iyad et l’Etat islamique dans le grand Sahara d’Abou Walid Al Saharaoui. Pourquoi une telle violence entre les deux groupes ?
- T.: Deux éléments importants, l’Etat islamique est un groupe terroriste qui est ce qu’on appelle dans la territorialisation. L’Etat islamique cherche à occuper des zones mais tout en gardant le contrôle les différentes zones occupées en y appliquant la charia.
Contrairement à Al-Qaïda incarnée par Iyad Ag Agaly et d’autres katibas tel que Hamadou Kouffa, on ne cherche pas forcement à occuper le territoire. On a même cherché une certaine accointance avec les chefferies locales ce qui fait que ce n’est pas pour rien que certaines chefferies locales ont basculé dans Al-Qaïda, parce que Al-Qaida est très attentif aux doléances des problèmes sociaux.
Ce conflit entre ces groupes sont des conflits de contrôle des grands axes quand vous regardez un peu partout où le terrorisme fait son apparition, ce sont des zones où on a toute une dimension frontalière donc la question de mobilité des groupes armés qui est tout à fait intéressant comme problématique de même que la question de trafic de drogue. C’est pourquoi les trois frontières ressortent dans tous les annexes.
Mali-Tribune : Malgré le coup d’Etat du 18 août et la méfiance des Maliens, la France continue toujours de maintenir l’opération Barkhane. Qu’est ce qui explique ce maintien ?
- T. : Ce qu’il faut comprendre, l’action militaire s’opère sous le diktat des politiques, c’est les politiques qui décident et commandent le militaire. Pour la France, sa présence dans le Sahel cherche à atteindre un certain objectif.
Vouloir dire qu’on peut dépenser plus de trois milliards par jour dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans le sahel et dire au moment qu’on fait cette lutte de façon désintéressée, c’est prendre les gens comme des imbéciles. Il y a vraiment des intérêts à la fois géostratégiques aussi des intérêts qui vont dans le sens de se protéger pour des éventuelles attaques terroristes orchestrées sur le sol africain.
Propos recueillis par
Ousmane M. Traoré
(Stagiaire)