En 2018, les revenus des impôts fonciers représentaient moins de 5 % des recettes mobilisées par la Direction générale des impôts au cours de l’exercice, soit 2,2 milliards F CFA d’impôts fonciers sur plus de 55 milliards F CFA de recettes. “On aurait dû s’attendre à un montant plus élevé“, estime le directeur des impôts du district de Bamako, Alidji Sidi Touré. Dans cette interview, l’inspecteur des impôts ne laisse rien sur la question.
Mali Tribune : Quels sont les différents types d’impôts ?
Alidji Sidi Touré : L’impôt est un prélèvement qui est opéré sur les revenus des personnes physiques ou morales qui vivent sur le territoire d’un pays. Le prélèvement se fait par la contrainte, c’est-à-dire que c’est obligatoire. Ça permet de couvrir les dépenses publiques. C’est avec ces recettes que l’Etat construit des routes, des écoles et hôpitaux…
Le paiement de l’impôt, c’est une façon d’affirmer son appartenance à un pays. C’est pour cela que la question du paiement des impôts est inscrite dans la constitution du Mali en son article 23, qui dit que tous les citoyens doivent œuvrer pour le bien-être commun. Ils doivent remplir les obligations civiques notamment s’acquitter des obligations fiscales. Les impôts et taxes prévus dans le code général des impôts relèvent de la compétence de la Direction générale des impôts.
On peut classifier les impôts suivant plusieurs types. Il y a d’abord les imports directs. C’est des impôts qui sont directement perçus entre les mains du contribuable, celui qui supporte la sortie de l’argent, c’est lui qui est le redevable réel.
Il y a une autre catégorie qu’on appelle les impôts indirects. C’est les impôts qui sont payés par l’intermédiaire d’un tiers. Le redevable réel n’est pas celui qui est recherché en cas de non-paiement mais le redevable légal. C’est le cas de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Par exemple, quand vous allez au marché faire un achat, on vous dit le prix de la marchandise et la TVA. Vous avez l’impression que le montant payé est le prix de la marchandise, mais en réalité il y a un impôt. C’est le commerçant ou l’opérateur qui, en fin du mois, prélève et calcule le montant de la TVA et procède au reversement au niveau de son centre de gestion. L’impôt indirect est un impôt qui est incolore et indolore. On le paie sans s’en rendre compte.
C’est la classification la plus connue, sinon on peut faire un classement suivant la destination. Il y a des impôts qui sont prélevés et qui servent à alimenter le budget national (Ex : la TVA). D’autres sont prélevés pour alimenter le budget de la Commune et d’une collectivité. C’est le cas par exemple de la taxe foncière. Il y a des impôts qui sont assis sur le capital, sur les revenus et aussi sur la consommation.
Mali Tribune : La différence entre un impôt et une taxe ?
A S. T. : L’impôt est la contribution des citoyens au fonctionnement de l’Etat, mais sur le plan technique, il y a des impôts qui sont perçus sans contrepartie. C’est-à-dire que vous faites un paiement, vous n’avez pas le droit de demander une contrepartie, lorsque que généralement quand vous payez la taxe, on vous livre souvent un bien ou un service après une opération commerciale. Il y a toujours une contrepartie avec les taxes. C’est la différence.
Mali Tribune : Dans le processus de payement des impôts, la déclaration est obligatoire. Est-ce que les propriétaires s’acquittent de ce devoir ?
A S. T.: Beaucoup de gens viennent déclarer, mais quand on compare le nombre de déclarations à ce qui aurait dû être déclaré, on se rend compte effectivement que ce n’est pas un impôt qui est rentable, c’est-à-dire il n’y a pas suffisamment de déclaration.
Mali Tribune : Combien de personnes ont déclaré en 2019 ?
A S. T.: En 2018, la Direction des impôts du district a mobilisé en termes de recettes 55 072 000 000 de F CFA. Dans ce montant, les impôts fonciers représentent 2, 259 milliards F CFA, soit pratiquement moins de 5 %. Quand on essaie de se faire une idée, on aurait dû s’attendre à un montant plus élevé. C’est un impôt qui n’est pas suffisamment exploité.
Mali Tribune : Qu’est-ce qui explique ce faible taux de payement ?
A S. T. : Nous avons un problème de fiabilité des renseignements. Généralement, l’identité réelle des propriétaires pose un problème alors que nous avons un système de gestion informatisé. On doit avoir les coordonnées réelles pour pourvoir l’introduire dans la base, générer un identifiant fiable et faire le travail.
Il y a aussi l’incivisme des contribuables. Il y a certains qui ne veulent pas payer les impôts. Il va falloir que l’autorité de l’Etat s’affirme pour que les agents soient à même de faire le travail correctement et utiliser les voies de droit pour obliger les contribuables à payer.
La grande difficulté, c’est que la plupart de ces maisons en location sont à usage d’habitation. Sur le terrain nos agents souvent ont tous les renseignements sauf l’identité exacte du propriétaire. C’est avec ces données qu’on calcule l’impôt. Après le traitement, l’avis est déposé à l’adresse de l’immeuble donné en location, ce n’est pas l’adresse du propriétaire généralement. S’il ne vient pas payer, on doit mettre en application les procédures de recouvrement forcé. Parmi nos outils de travail, il y a l’avis de paiement, la mise en demeure, le commandement de payer et la notification de fermeture.
Est- qu’on peut aller fermer une maison habitée par des citoyens ? Donc nous n’avons pas de moyens de pression sur ces propriétaires. Par contre si c’est un immeuble à usage de bureau, on peut se retourner contre le commerçant ou l’opérateur qui travaille dans la maison en vertu de la procédure de l’avis à tiers détenteur. Si le locateur ne s’exécute pas on peut fermer le bureau. C’est la seule façon de mettre le propriétaire sous pression pour qu’il vienne s’exécuter.
Il faut qu’on reforme la loi pour pouvoir mettre la pression sur les propriétaires même si la maison est à usage d’habitation. Ce qui fait qu’on n’arrive pas à mobiliser des recettes d’impôts fonciers.
Il y a aussi le fait qu’il y a l’absence d’un cadastre. C’est un registre qui contient la liste de toutes les terres, leurs cartes d’identité et les propriétaires. Dans d’autres pays ça existe. S’il y avait un cadastre qui répertorie dans chaque Commune tous les terrains, les terres et leur situation juridique, ça va nous faciliter la tâche. Il va falloir que les autorités travaillent à la mise en place rapide d’un cadastre en République du Mali.
Mali Tribune : Vous n’avez pas alors le nombre exact d’immeubles mis en location à Bamako ?
A S. T. : Si. Nous avons les données. Je tiens à rappeler d’abord qu’en tant que directeur des impôts du district, j’anime, coordonne et je suis l’exécution des travaux d’assiette de recouvrement au niveau du district de Bamako.
Pour ce faire, j’ai 6 structures d’assiettes opérationnelles qui sont dans les centres d’impôts. Ces centres des impôts représentent au niveau de la Commune la direction générale des impôts et la direction du district. Nos missions c’est de faire les opérations de recensement, les opérations d’assiette de calcul de l’impôt et les opérations de recouvrement. Ils font l’identification et le recensement.
Il y a des agents spécialement dédiés pour cette mission. Ils ont la situation de tous les immeubles donnés en location, mais les informations ne sont pas fiables. Les agents sont permanemment sur le terrain. Il y a des cas où les gens refusent de coopérer, mais c’est minime.
Mali Tribune : Certains propriétaires trouvent des moyens de se dérober du paiement de ces impôts fonciers souvent en complicité avec des agents sur le terrain. Que fait votre direction face à ce constat ?
A S. T. : Il faut reformer, faire le contrôle hiérarchique. Les agents qui sont sur le terrain sont des professionnels. Nous avons un code de déontologie qui est une sorte de balise pour des comportements déviants. Ce code indique à l’agent des impôts le comportement à tenir et lui rappelle les sanctions. A notre niveau si on prend connaissance de tel comportement on n’hésite pas à appliquer les sanctions appropriées.
Avant d’arriver aux sanctions, nous avons mis en place le contrôle interne pour prévenir ces comportements.
L’agent qui est sur le terrain est sous la responsabilité d’un chef recensement et service à la clientèle. Ce chef de service doit de temps en temps faire un contrôle de terrain pour voir si les informations collectées sont correctes et fiables.
Après, il y a le chef de centre qui a la possibilité d’aller sur le terrain pour faire un contrôle et s’assurer que le travail est correctement fait. S’il y avait ce type de contrôle, les agents vont réfléchir deux fois avant de se livrer à ces comportements. Il faut faire en sorte que ces acteurs au niveau local puissent faire ces actions de contrôle préventif pour éviter ces comportements.
Mali Tribune : Le suivi et la gestion de ces fonds collectés soulèvent aussi des interrogations parmi de nombreux contribuables. A qui incombe cette tache ?
A S. T.: Nous sommes chargés de collecter des impôts qui constituent pour l’Etat des recettes. Toutes les recettes collectées sont déposées chaque jour au niveau du trésor. Nous n’avons pas pour mission de suivre la gestion des fonds de l’Etat. Cette mission est dévolue à la Direction nationale du trésor et de la Comptabilité publique, à la Direction nationale du budget et le service contrôle financier.
Mali Tribune : Quelles sont les mesures envisagées par votre structure afin d’augmenter la part des recettes générées par les impôts et taxes fonciers ?
A S. T. : C’est d’abord la formation des agents, l’instauration d’un cadastre et l’accompagnement de certains services qui sont impliqués dans la gestion du foncier comme la Somagep et l’EDM. Notre souhait c’est vraiment de voir comment on peut renforcer notre collaboration au niveau de ces services en vue d’avoir les renseignements dont nous avons besoin. Ils peuvent être des sources pour mieux maitriser les propriétaires fonciers.
Mali Tribune : Avez-vous assez de personnels formés pour assurer ce travail ?
A S. T.: Oui. Mais il serait toujours bon de renforcer parce que les structures opérationnelles demandent beaucoup de personnels. Si on se réfère au cadre organique, on voit qu’apparemment il est respecté, mais les réalités du terrain font qu’il faut renforcer effectivement ses structures en termes d’agents. Il ne suffit pas de les envoyer sur le terrain, il faut leur donner les moyens.
Je tiens à rappeler aux contribuables qu’ils sont nos partenaires. Ils sont notre raison d’être. Ils ont des droits aussi bien que des obligations. Parmi les droits, ils ont droit à l’information. Chaque fois qu’ils ont besoin d’être éclairés, ils peuvent venir au niveau de nos différents centres. Ils ont le droit d’être traités avec courtoisie et de se faire assister par le conseil de leur choix. Quand on leur envoie un document on leur donne toujours les motivations et surtout un délai de réponse.
Ils bénéficient aussi d’une présomption de bonne foi quand ils font la déclaration parce qu’on considère que tout ce qu’ils déclarent est de la réalité jusqu’à preuve du contraire. Les obligations par contre c’est de souscrire, correctement et payer normalement leurs impôts et taxes.
Recueillis par
Kadiatou Mouyi Doumbia