Ali Nouhoum Diallo à propos des réformes constitutionnelles : \”On veut nous imposer une Constitution qui consacrera un recul de la démocratie et nous basculer dans l’autocratie\”

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Dans une interview exclusive qu’il a bien voulu nous accorder, le professeur Ali Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale du Mali, ancien président du Parlement de la CEDEAO, non moins membre actif du mouvement démocratique malien, porte un regard critique sur les réformes constitutionnelles dont le Conseil des ministres vient d’adopter le projet. Selon le professeur "C’est une volonté du président de la République de passer en force alors qu’il ne dispose pas du temps matériel pour le faire. On veut imposer une Constitution qui consacrera un recul de la démocratie et nous basculera dans une autocratie…".

L’Indépendant : Quel sentiment vous anime-t-il après l’adoption par le gouvernement du projet de réformes constitutionnelles qui suscite un débat intense dans le microcosme politique ?

Ali Nouhoum Diallo: Comme vous l’avez dit, il y a effectivement de très fortes personnalités du pays qui ont fait part de leurs soucis. Pour moi, la réforme de la Constitution du 25 février 1992 peut être reportée à plus tard. Il me semble même que le PARENA a organisé un colloque autour de la question, entouré des différentes confessions du pays, de la société civile et de certains partis politiques. Il a été proposé, au cours de ce colloque, de remettre à plus tard la mise en œuvre de cette réforme. Beaucoup d’hommes et de femmes ont estimé qu’avant que ce projet de loi ne vienne à l’Assemblée nationale, il est nécessaire d’organiser un débat dans tout le pays et que des concertations locales, régionales, nationales soient instaurées autour de ce projet qui vient d’être adopté par le Conseil des ministres. Parce qu’il ne faudrait pas que le pays, tôt ou tard, vive une éventuelle adoption de cette Constitution comme une imposition. Voilà, en effet, le sentiment qui m’anime. Donc, je perçois cette décision du président de la République comme une volonté  de passer en force alors qu’il ne dispose pas du temps matériel pour le faire.

L’Indép : Comment appréciez-vous cette  volonté affichée du Président à aller vers ces réformes en dépit des réserves formulées ça et là ?

A.N.D : Mon appréciation est toute simple. C’est qu’on veut imposer une Constitution qui consacrera un recul de la démocratie : donner au président de la République le pouvoir de définir la politique de la nation sans pouvoir répondre de cette politique devant les élus de la nation; le droit au président de la République de nommer le chef de toutes les structures, les agents et les institutions, à part l’Assemblée nationale et la deuxième chambre; permettre au président de nommer un Premier ministre sans qu’obligation lui soit faite de le nommer au sein de la majorité parlementaire; le fait qu’il puisse nommer et démettre le Premier ministre sans avis de qui que ce soit. Tout cela démontre que la Constitution instaure plutôt une autocratie, même pas une monarchie constitutionnelle. Je ne voudrais pas d’un tel pouvoir pour un président, même venant de mon  propre parti. Parce que cela, pour moi, consacrerait un grand recul de la démocratie. Le jour où j’ai écouté le président du CARI présenter le projet devant les personnalités, la classe politique, la société civile, les ambassadeurs, le sentiment qui m’a vraiment animé était d’assister à une cérémonie de distribution de prix.

L’Indép. : Que voulez-vous  insinuer ?

A.N.D : J’avais le sentiment qu’on voulait intéresser chaque segment de la société pour que l’adoption de ce projet de Constitution soit extrêmement aisée. Tout d’abord, commençons par le pilier de la famille, la femme. On dit aux femmes que, désormais, il y a une disposition dans la Constitution qui va fonder la discrimination positive. Je crois me souvenir qu’il y avait une loi à l’Assemblée nationale qui demandait que tous les partis soient astreints à inscrire sur les listes électorales des femmes, c’est-à-dire que le tiers de leurs listes soit composé de femmes. C’est un grand projet qui ne collait pas à la réalité du terrain. Naturellement, les députés à l’unanimité ont rejeté ce projet. J’étais de ceux qui, à l’époque, disaient qu’il y a une voie plus sûre pour permettre aux femmes de s’imposer dans ce pays. C’est celle qui consiste, pour le président de la République, qui a le pouvoir de nommer des hauts cadres de l’Etat, de dire que le tiers de son gouvernement sera composé de femmes. Il doit instruire aux ministres de faire en sorte que le tiers de leurs nominations soit constitué de femmes. Si nous avons le tiers des femmes au gouvernement, cela changera un peu la donne. Actuellement, les femmes font de plus en plus leur entrée au gouvernement et à tous les postes, hormis celui de l’Economie et des finances. Quand les femmes tiendront les secteurs de l’économie, les  secteurs des finances, ce sera une très bonne chose. Si le tiers des gouverneurs était composé de femmes, il est évident que quand les  femmes  commandent, le résultat est là. Mme Sy Kadiatou Sow, gouverneur du district de Bamako, tout le monde a vu comment la population l’appréciait. Plusieurs Mme Sy Kadiatou Sow gouverneurs, les choses vont  vraiment commencer à bouger dans ce pays. Au départ, ce ne sera pas par des élections, mais des décisions prises pour que les uns et les autres s’habituent à voir les femmes aux commandes. Je salue la récente nomination d’une femme comme Premier ministre. Cette mesure va également psychologiquement changer la donne dans ce pays. Beaucoup de femmes nommées DAF, malheureusement que c’est fait  la dernière année du dernier mandat constitutionnel du président de la République, sinon, si cela devait perdurer, je suis sûr que cela allait marquer la psychologie de ce pays. Toujours est-il qu’à cette époque, nous avions dit aux journalistes que nous allions dépénaliser les délits de presse. Je regardais la scène, les journalistes sautaient de joie. Ils étaient tellement contents qu’ils n’avaient pas pu réaliser qu’on peut même suspendre leurs titres pendant trois ans ou par des amendes, faire disparaitre leurs journaux. Les journalistes n’ont vu qu’une chose, c’est qu’ils n’iront plus en prison. Ils se sont mis dans l’esprit de soutenir un tel projet. Aux conseillers municipaux, il a été dit que 50% d’entre eux peuvent initier un projet de référendum sur toute question jugée majeure dans le pays. J’ai vu là, d’ailleurs, le système helvétique où une partie de la population peut avoir l’initiative d’un référendum. Donc, les conseillers municipaux étaient contents parce que 50% d’entre eux valent le Parlement ou l’Assemblée nationale.

Aux citoyens ordinaires, il a été dit que le Conseil supérieur de la magistrature n’est composé que de magistrats. Les magistrats ne vont jamais faire du mal entre eux. Nous avons dit aux citoyens de se faire représenter dans le Conseil supérieur de la magistrature pour que les juges ne soient pas les maitres absolus de ce pays. Toutes ces propositions, segment par segment, de la société elle-même, n’ont pas été examinées dans le  fond et auraient du  être soumises à la critique de tout le monde à l’intérieur du pays. Qu’en pensent les magistrats et toute la famille judiciaire? Que pensent les citoyens dans leur ensemble, surtout ceux qui sont victimes de diffamation ?

L’Indép. : Que dire d’un Sénat en lieu et place du HCCT? N’est-ce pas un simple changement de nom, le problème de fond n’est -il pas  ailleurs ?

A.N.D : La création d’un Senat, je ne la trouve pas nécessaire. Je rappelle qu’il y a une Constitution révisée adoptée sous ma présidence à la majorité requise et que le président Alpha, pour des raisons qui lui sont propres, ne l’a pas soumise à référendum. Cette Constitution prenait en charge la quasi-totalité des problèmes évoqués aujourd’hui par le CARI et le gouvernement. J’ai écouté l’autre jour le ministre Daba Diawara défendre son projet à la télévision. J’avoue que tout ce dont il a parlé était parfaitement pris en compte par cette Constitution révisée de 2000-2001. Nous n’avions pas appelé la nouvelle chambre Senat, nous lui avions gardé son nom, mais nous avions dit qu’il y a un bicaméralisme inégalitaire et que désormais les conseillers examineraient les lois, mais le dernier mot revenait à l’Assemblée nationale. J’ai entendu dire que le HCCT avait le droit de faire des propositions de lois à transmettre au gouvernement et que le gouvernement est tenu de transformer cela en projet de loi et l’envoyer à l’Assemblée. Donc, on part d’une insuffisance, d’une lacune liée probablement à la composition actuelle du HCCT, pour dire qu’il faut l’appeler Senat. Ce n’est pas parce que cela va changer de nom que les compétences vont changer. On devrait plutôt voir s’il faut leur donner des assistants parlementaires pour relever le niveau de ceux qui vont au HCCT. Si le mode de constitution du HCCT doit être changé, point n’est nécessaire de faire un changement d’appellation. Ça ne change en rien le fait que la précédente mandature avait, bel et bien, vu qu’on devait évoluer et en faire une seconde chambre. Donc, les arguments que j’ai écoutés sont loin de m’avoir convaincu. Ce sont des arguments qui se fondent plutôt sur les insuffisances, les lacunes. Le fond du problème, c’est que le HCCT n’a pas exploité toutes ses prérogatives. Ce n’est pas parce qu’il n’en avait pas le droit, mais il ne l’a pas fait. Je dois dire, d’ailleurs, que même l’Assemblée nationale fait très peu de propositions de lois. C’est lié au manque d’assistants parlementaires. Dans la plupart des pays, aujourd’hui, chaque député a un assistant parlementaire. Dans notre pays, quand je quittais, à peine les commissions parlementaires avaient un ou deux assistants. Toute chose qui rend difficile la conception d’une proposition de loi par l’Assemblée. Les députés sont élus sur la base de leur popularité et non sur la base de leurs  compétences juridiques. Quand on regarde à travers le monde, les projets de lois sont toujours supérieurs aux propositions de lois. J’ai aussi entendu dire que, de 1992 à maintenant, les présidents Alpha et ATT ont tous envoyé au gouvernement des lettres de mission, des lettres de cadrage, etc. Ce qui  veut dire que la politique du pays a toujours été définie par le président de la République, je dirais donc qu’en voulant consacrer une politique en elle-même anticonstitutionnelle, on ne me convainc pas qu’on est en train de progresser vers la démocratie. Contrairement à ce qu’on pense, le régime présidentiel réel ne suppose pas un pouvoir autocratique ; or c’est ce que notre Constitution donne au président de la République. Nous devons beaucoup réfléchir si nous voulons faire une véritable modification constitutionnelle.                  A.suivre.

Interview réalisée par Abdoulaye  DIARRA

 

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