Ali Nouhoum Diallo à propos de la question du fichier électoral (suite et fin) : \” C’est un piège tendu aux partis politiques… \”

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Dans la première partie de l’interview que nous a accordée le Professeur Ali Nouhoum Diallo, publiée dans le numéro d’hier, il était surtout question des réformes en cours. Mais l’ancien président du Parlement de la CEDEAO s’est aussi intéressé à la problématique du fichier électoral, dans la deuxième partie de cet entretien que nous vous proposons aujourd’hui. A le croire, la question du fichier électoral est un faux débat, un piège tendu aux partis politiques. Le Pr Ali Nouhoum Diallo doute même de la tenue de l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel, puisque, selon lui, aucune ligne budgétaire n’a été prévue à ce sujet. En définitive, s’agissant des réformes, le Professeur estime que la motivation d’ATT est loin d’être innocente.

L‘Indép : Quel rapport peut-il y avoir entre un député et la lettre de cadrage ou de mission du président de la République?

A N D : J’ai l’habitude de dire à l’Assemblée nationale, quand je n’y étais plus président, mais un simple député et président du Parlement de la CEDEAO, que la lettre de cadrage du président de la République ne lie en rien un député. A titre d’illustration, un jour, un député s’est levé pour dire selon "la lettre de cadrage du président de la République". Je me suis aussitôt levé et j’ai protesté. La lettre de cadrage du président n’a rien à voir à l’Assemblée nationale. Au regard de la République, un député doit se réclamer de la politique générale du Premier ministre. Ce qui lie un député, c’est la Déclaration de politique générale du Premier ministre qu’il a examinée,  débattue, amendée puis adoptée. Et c’est cela qui est républicain.

Le problème est qu’on veut faire d’une pratique anti-constitutionnelle une  pratique constitutionnelle. Le fait aussi de dire que le Premier ministre conduit l’action gouvernementale et met en œuvre une politique qu’il n’a pas définie, que sa majorité n’a pas définie,  m’amène à penser que le régime qu’instaurera cette Constitution ne sera ni semi-présidentiel, ni semi- parlementaire. Je ne sais donc plus comment le qualifier.

 

L’Indép : Peut être un régime présidentiel?

A N D : Non, justement ! Il est vrai que d’aucuns diraient que c’est un régime présidentiel. Le régime présidentiel tel que pratiqué au Ghana, au Nigéra, me fait croire que ce que veut notre Constitution n’a rien à voir avec un régime présidentiel. Dans ces pays, il y a au moins une chose essentielle. C’est que le Président, à chaque fois qu’il définit sa politique, vient la défendre devant le Parlement. Aussi, le président de la République ne peut procéder à aucune nomination d’un haut cadre sans l’aval du Congrès ou celui du Senat ou de la deuxième chambre habilitée à examiner toutes les candidatures des membres du gouvernement. J’ai été au Nigéria au moment où Obasandjo nommait son gouvernement.

Les membres pressentis passaient un mois au Senat ou au Congrès. Tous les candidats à l’entrée au gouvernement sont interviewés. Parfois, le Congrès rejetait des candidats au poste de ministre et demandait au président de la République de les changer. Un véritable régime présidentiel  suppose un pouvoir et un contre-pouvoir réel. Et contrairement à ce qu’on croit, le régime présidentiel réel ne suppose pas un pouvoir autocratique.

Récemment, quand je me suis rendu  au CARI, j’avais dit que s’il s’agit de changer la Constitution, je ne vois que la possibilité d’aller vers un régime présidentiel, en respectant les règles de l’art ou à défaut d’aller vers un régime authentiquement parlementaire. En ce moment, c’est le parti majoritaire qui forme le gouvernement, qui définit la politique et les autres vont l’enrichir à travers soit une majorité absolue d’une formation politique ou à travers une coalition majoritaire au Parlement. Il nous faut beaucoup réfléchir pour savoir réellement ce que l’on veut pour notre pays.

Mais si nous disions que notre pays n’est pas habitué au bicéphalisme et que notre pays ne connait qu’un seul pouvoir, à savoir celui qui serait à Koulouba, on choisit un régime présidentiel et on donne aussi le pouvoir au Parlement. Mon sentiment est que le Président veut passer en force alors qu’il n’a même pas le temps nécessaire pour organiser les élections.

 

L’Indép : Que pensez-vous de la disposition relative aux candidatures indépendantes?

A N D : Il est vrai que lors de la présentation du rapport Daba Diawara, lorsque cet aspect a été abordé, les responsables présents étaient très contents du fait que des dispositions seraient prises pour mettre un terme au nomadisme. Les parlementaires pouvaient initier de tel projet. Ils en ont le droit.

A un moment donné, nous nous sommes rendu compte au Parlement, qu’avec la disposition qui voudrait qu’en cas de démission du tiers des membres du Conseil municipal élu, le Conseil soit dissout, cette situation créée une instabilité. Immédiatement, nous avons saisi le gouvernement pour lui demander de mettre un terme à cela. Nous avons fait une proposition et le gouvernement, à son tour, en a fait de même à partir de la proposition que nous avons envoyée. C’est vous dire que les députés pouvaient eux aussi soumettre une proposition pour mettre un terme au nomadisme. Mais le mettre dans une Constitution, je ne crois pas que ce soit une bonne chose. On pouvait dire, à travers une loi électorale, qu’en cas de nomadisme, la personne perd immédiatement son mandat.

Si l’on arrivait à faire des suppléances pour éviter les élections, le suppléant prendrait la relève. Ou si on ne peut pas aller à la suppléance, on va aux partielles et la personne se représente sur la liste du parti qu’il a rejoint et l’autre parti présente une autre personne. On verra, si c’est sa personne qui a fait qu’il a été élu ou si c’est sa formation politique. Mais de là à l’inscrire dans une Constitution ne me parait pas une bonne chose. Je sais que le Sénégal l’a fait. Je crois que c’est une chose qu’une loi peut régler. Il est dit dans la Constitution que tout mandant impératif est nul. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, une fois un député élu, il fait ce qu’il veut.

 

L’Indép : Quelles peuvent être les profondes motivations du président de la République à modifier la Constitution?

A N D : Cette constitution prévoyant des modalités de révision de la Constitution autre que le referendum me pose problème. Je comprends très bien que, pour changer une virgule, il faut faire une note à l’Assemblée nationale ou soumettre le cas à un referendum. C’est coûteux et c’est très pénible.

S’agissant de la Cour des comptes, il faut reconnaitre que la Constitution que nous avons votée avait créé la Cour des comptes. Cette constitution avait inscrit le mode de scrutin mixte ou pluriel. C’est pourquoi, j’insiste que si cette démarche du président de la République était innocente, il suffirait de prendre la Constitution déjà votée avec son prédécesseur (continuité oblige) et de la soumettre à un référendum et tous les problèmes que nous avons seraient déjà réglés.

En tout cas, dans les conditions actuelles, je ne crois pas que les réformes actuelles soient une bonne chose. J’ai peur qu’on ne manipule les populations. Il est difficile à comprendre que le président qui est sur le départ nous soumette une Constitution autocratique dont il ne bénéficiera pas. Peut-être qu’on comprendra ses motivations profondes en relisant le projet actuel. Sauf s’il le fait par orgueil. Je l’ai une fois entendu dire que " je l’ai dit, je le fais, moi aussi je suis un citoyen ". Il faut qu’il sache qu’il n’est pas l’unique citoyen de ce pays.

En 20 ans de démocratie, je n’ai pas connaissance d’un conflit inter-constitutionnel au Mali. Je n’ai pas vu un blocage inter-constitutionnel lié à la loi fondamentale. Au contraire, la loi fondamentale n’est pas appliquée. Cette loi, elle souffre de sa non application. Nous, nous avons exercé le pouvoir dans des conditions extrêmement difficiles. Nous avons vécu des événements terribles, il fallait maintenir la cohésion sociale. Nous ne pouvions pas être méticuleux dans l’application de la Constitution.

 

L’Indép : Que dire de la question du fichier électoral ?

A N D : C’est un faux problème. De la pure distraction. Il y a des hommes chargés de faire ce travail. Je serais entendu par les partis politiques, ils sortiraient de ce débat. Ceux qui devraient faire le travail, qu’on leur donne des listes propres et provisoires qu’ils examineront lors d’une révision exceptionnelle ou lors d’une révision ordinaire qui commencera d’octobre à décembre. J’ai appris que la DGE a un budget de plus de trois milliards.

Elle a de quoi faire ce travail. C’est elle qui doit élaborer et suivre les listes électorales. Il faut qu’elle fasse son travail. Donc, je ne peux pas comprendre tout ce débat sur le fichier. C’est pourquoi, j’ai dit que c’est un piège tendu aux partis politiques qui vont passer tout le temps à se disputer, sans jamais s’entendre et finalement on viendra leur dire que, puisque vous ne vous êtes pas entendus, il faut une transition.

Lorsque j’ai fait part de cette remarque à certains de mes interlocuteurs, ils m’ont taxé de faire des procès d’intention et qu’ATT a dit qu’il va partir. Vous savez, je suis médecin de formation, je cherche à comprendre les choses concrètement. A preuve, dans le budget 2010-2011, il n’y a pas une ligne prévue pour les élections. Quand j’ai écouté le collectif budgétaire, j’ai entendu une ligne concernant le référendum, mais je n’ai rien entendu sur les autres élections. Il va falloir revoir tout cela.

                      Abdoulaye DIARRA

 

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