Suite à l’insécurité qui règne au centre du pays, le maire de la Commune rurale de Sangha a bien accepté d’échanger avec nous sur la situation politico- sécuritaire. Ali Dolo lance un cri de cœur à l’endroit de l’Etat. Interview !
- le maire, pouvez-vous, vous présenter à nos chers lecteurs?
Je me nomme Ali Indogo Dolo, maire de la Commune rurale de Sangha. Je suis à mon 4e mandat en tant que conseiller communal et 3e mandat en tant que maire.
Parlez-nous un peu de votre Commune?
La Commune de Sangha est située dans le cercle de Bandiagara à 45 km de la ville de Bandiagara. Elle est composée de 61 villages majoritairement peuplés de Dogons. Géographiquement la Commune est divisée en 3 parties : la plaine, la falaise et le plateau. Donc sur le plateau, on a 16 villages, la plaine trois et le reste est sur la falaise. Comme je l’ai dit tantôt, les habitants sont majoritairement Dogon et tous agriculteurs.
- le maire, cela vous fait des années à la tête de cette Commune, peut-on savoir vos grandes réalisations?
D’abord quand je venais à la tête de la Commune, il y’avait des problèmes de cohésion sociale. Vers les 99, même l’administration centrale refusait d’aller à Sangha, j’ai donc piloté la commune pendant quatre années sans sous préfet. Donc ma première mission était de mettre ensemble les femmes et les hommes de Sangha parce qu’il y avait un problème culturel politique qui a amené un conflit à la veille même de la démocratie donc on a pu résoudre cela et maintenant partant de là, aujourd’hui dans le domaine scolaire Sangha est bien nanti. Au niveau des créations d’écoles on a beaucoup fait. L’école de Koundou est venue de mon initiative tout comme l’école de Banani, de Bandje, d’Intemeni, bref, il y a eu pas mal d’initiatives en ce qui concerne les écoles fondamentales.
Dans le domaine de la santé, il y a le CSCOM de Yendouma qui a été construit sur ma demande par un partenaire, le CSCOM de Kama qui est pratiquement devenu un hôpital parce qu’on fait maintenant la chirurgie. Il a été construit par Seydou Nantoumé. Et partant de là, j’ai créé des centres secondaires d’état civil. Puisque la Commune est très vaste avec plus de 60 villages. A Yendouma on a créé un centre d’état, à Tereli et à Kama on a construit des centres d’état civil et on a projeté de construire un centre d’état civil à IBI et à Ireli. Ma plus grande fierté est le lycée professionnel de Sangha. Parce qu’au Mali, moi dans mon analyse, on a beau penser à la littérature et aux études supérieures scientifiques, on ne peut pas se développer sans la technicité, sans les formations professionnelles. Ce qui m’a amené à créer ce lycée est que quand je vois dans nos chantiers, des Chinois, des Togolais, des Sénégalais, pour la construction de nos maisons surtout pour les petits fils des Dogons que je connais, moi j’ai honte. Pourtant nos grands pères ont construit des maisons en banco qui ont résisté des centaines d’années et les gens quittent de loin notamment de l’Europe, de l’Asie pour venir voir l’architecture Dogon et aujourd’hui au 21e siècle, si on dit que les petits fils de ces mêmes Dogons n’arrivent pas à construire leurs propres maisons sans les étrangers, cela m’a interpellé et je me suis dit qu’il faut mettre la tête et la main ensemble d’où l’idée du lycée professionnel de Sangha.
Donc j’ai eu un partenaire Hollandais que je remercie de passage M Diop (fils et père), avec l’appui de certains parents Dogon. Le lycée entame sa 3 e année cette année. Les réalisations ont coûté 3 milliards dont 500 millions ont été financés par notre frère Seydou Nantoumé. Les filières enseignées dans ce lycée sont la maçonnerie et la taille des pierres, parce que vous savez au nord, on parle de l’or blanc c’est le sel, au sud on parle de l’or jaune, nous, notre or, est la pierre, si on travaille bien ça peut avoir une grande nécessité. Aujourd’hui si vous regardez les maisons des personnes aisées, on voit des marbres venus de l’Italie et les marbres ne sont rien que les pierres taillées. Pourquoi ne pas faire ça chez nous? Donc d’où l’idée est venue et on enseigne aussi l’électricité et énergie renouvelable. Vous savez aujourd’hui, avoir de l’électricité ne doit pas être un luxe, même aux fins fonds du Mali, le plus petit paysan du Mali a besoin de l’énergie pour charger son téléphone. En plus on enseigne aussi l’hydraulique, la plomberie et le forage. Là aussi, vous savez que le problème du Mali c’est la maîtrise d’eau, souvent pendant l’hivernage, il y a beaucoup d’eau qui tombe mais on n’arrive pas à maîtriser cette eau et l’eau s’en va. On a la terre mais la seule chose qui nous manque c’est l’eau. Connaissant le Dogon, qui préfère être esclave de son travail que d’être l’esclave de quelqu’un, si on lui donne l’eau et la terre, je crois qu’il va s’en sortir. Voilà donc des filières choisies adaptées, aux besoins de la localité.
- le maire parlez-nous à présent un peu de la situation sécuritaire dans le centre en général et de votre commune en particulier ?
Cette crise, c’est de la catastrophe. Vous savez, cette crise a commencé au même titre que celle du Nord en 2012. Puisque quand la crise a éclaté au nord, pour qui connaît Sangha, c’est une commune touristique et on ne recevait pas moins de 100 mille touristes par an. Presque toute l’économie de la commune était basée sur ça, parce qu’avec 5% de terre cultivable, c’est le tourisme qui faisait vivre la population. Maintenant avec la venue de la crise, les régions ont été considérées comme une partie dangereuse et les blancs ont peu à peu abandonné le pays dogon. Voilà donc la première catastrophe qu’on a vécue. Nous, on pensait que cela allait prendre fin rapidement, mais ça ne fait qu’empirer.
Maintenant l’insécurité physique, là tout le monde l’a vue venir. Partie du Nord elle est venue au niveau du cercle de Douentza et de Koro et tout de suite, j’ai mis 10 maires autour de moi, pour essayer de voir quelle solution pouvait-on avoir face au danger, puisqu’il y a un cordon ombilical qui nous lit avec surtout le cercle de Koro. Puisque ces populations sont originaires de Sangha (la falaise). Donc j’ai organisé des rencontres intercommunautaires et par faute de moyens, le mal est fini par arriver. Aujourd’hui dans la commune, j’ai 4 villages déplacés et plus de 4500 personnes en déplacement rien que des Dogons dans la commune de Sangha.
Encore ce qui est déplorable dans tout ça, est que 12 villages n’ont pas pu cultiver. Pour celui qui veut tuer un Dogon, dit lui de ne pas aller au champ, on n’a pas besoin d’empoisonner encore moins de tirer sur lui. La crise, elle existe et c’est réel. Pour nous, au pays dogon le pire est à craindre car nous sommes menacés de famine. Les déplacés sont dans la détresse parce que les parents ne sont pas capables de leurs recevoir dans des bonnes conditions, le logement, la nourriture, tout est problème. Quand j’ai lancé le cri d’alarme il y a quand même des personnes de bonne volonté notamment des ONG et associations comme CARITAS, PAM ou encore l’association Dogon Vision, les jeunes bâtisseurs de Sangha, le Pr Ali Tembely à titre personnel et Alone Sangha, Farcinde Dogon, VEA Sahel, Dogon initiative et Seydou Nantoumé, donc ceux-ci ont essayé d’atténuer l’urgence mais ça ne peut pas couvrir le long terme. Et donc le pire est à craindre au pays dogon.
Parlons un peu de la politique. Ibrahim Boubacar Keita a été investi la semaine dernière par la Cour Suprême et l’opposition continue de réclamer la victoire, alors quelle lecture en faites vous ?
Bon, chacun à sa lecture là dessus. Dire qu’elle a été parfaite ça serait trop dit. Un pays c’est quoi? C’est des institutions. Mais pour moi, il faut être objectif. Les hommes passent mais le pays reste. C’est maintenant devenu une histoire de deux personnes. Entre le mal et le pire, on préfère prendre le mal. L’élection a eu lieu même si elle a été contestée, la Cour Constitutionnelle a confirmé les résultats du ministère, donc moi en tant que républicain je pense qu’une élection vaut mieux même mal faite que de ne pas avoir d’élection. Cinq ans, ce n’est rien dans la vie d’une nation. Moi je préfère qu’on respecte les institutions et qu’on soit patient.
Il y a quand même des défis à relever, alors quelles sont vos attentes de ce nouveau mandat d’IBK?
Pour nous, la première priorité est la sécurisation de la région centre et mettre définitivement fin à cette crise. Un homme qui n’est pas libre, c’est un homme à demi-mort. Actuellement le centre du Mali n’existe pas, il faut que ce centre existe. Les gens font comme si il n’y a rien, alors qu’il y a eu un moment ou on ne pouvait pas passer une journée sans qu’il y ait au moins 10 morts. Il faut que cela s’arrête car la vie humaine est sacrée.
- le maire, les législatives sont prévues en octobre prochain, serez-vous candidat ou vous avez un candidat à soutenir?
Oui je suis candidat, ça serait même mes troisièmes ou quatrièmes tentatives. Je serais candidat aux législatives avec la couleur d’APM Maliko et aller en alliance avec d’autres partis qui sont prêts à partir avec nous. Pourquoi je veux être candidat? Parce qu’aujourd’hui, je viens de dire qu’on ne maîtrise pas le centre. Tout le monde parle de Bamako mais nous on a notre racine, un arbre qui n’a pas de racine c’est un arbre qui est appelé à mourir. Aujourd’hui on parle de l’or, du coton, nous (Dogons) on n’a pas de l’or ni de coton mais on a notre culture. Donc je veux défendre cette culture. Mon objectif est de lier la culture à l’éducation, lier la culture au développement. Nous sommes l’un des peuples qui a su conserver sa culture et c’est très important.
Je demande à nos deux peuples (Dogons et peulhs) à se pardonner et à se donner la main. Il y a eu le conflit, mais nous sommes tous en otage donc il faut qu’on se ressaisisse car il n’est jamais trop tard pour bien faire et que la paix et le vivre ensemble reviennent.
Amadou Kodio