Nous avons approché Modibo Mao Makalou, économiste de formation, ancien membre du groupe de travail sur l’efficacité de l’aide, du comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) qui fournit 90% de l’APD des pays industrialisés. Dans cette interview, il parle non seulement des enjeux de l’aide au développement, mais aussi de son impact sur le développement.
Qu’est ce que c’est l’aide publique au développement (APD) ?
MMM : L’aide publique au développement est une assistance extérieure publique ou privée fournie par ce que certains appellent les donateurs, donneurs, ou les partenaires techniques et financiers pour désigner ceux qui fournissent l’aide au développement. Son objectif est de promouvoir le développement économique et d’améliorer les conditions de vie dans les pays en développement. En principe, l’APD devrait permettre à un pays d’atteindre ses objectifs de développement à travers différentes modalités d’assistance. Il s’agit de trois modalités principales. En l’occurrence : l’aide-projet, l’aide sectorielle et l’aide programme.
L”APD peut-elle développer un pays?
MMM : Aucun pays au monde ne s’est developpé par l’APD uniquement. Par contre, les pays ravagés par la guerre ou les catastrophes naturelles ont se reconstruire avec l’APD, nous pouvons notamment citer le plan Marshall que les États-Unis d’Amérique ont octroyé aux pays européens après la seconde guerre mondiale. Il faut un bon mécanisme national pour gérer et suivre l’APD car on la prépare, on l’achemine, on l’utilise et on la comptabilise et surtout l’annonce de la quantité d’APD n’augure en rien de sa qualité. Donc, il faut pouvoir répondre efficacement aux questions suivantes : comment cette APD est acheminée au Mali ? Par quelle modalité ? Comment est-ce qu’elle sera utilisée et comptabilisée ?
En plus de l’APD, il y a d’autres actions qui peuvent être entreprises, notamment en partenariat avec le secteur privé, la société civile et les fondations publiques et privées ainsi que d’autres entités pour mobiliser les ressources internes qui permettront de financer les objectifs de développement à court, moyen et long terme.Que représente l’APD pour le Mali ? Est-elle utile pour notre pays ?
MMM : Selon la Banque Mondiale, l’aide publique au développement (APD) reçue par le Mali en 2020 s’élevait à 1,565 milliards $ soit environ 861 milliards FCFA. Le budget d’Etat 2023 qui prévoit des recettes de 2 199,908 milliards de FCFA et des dépenses s’établissant à 2 895,903
milliards de FCFA, présente donc un déficit budgétaire global de 695,995 milliards de
FCFA contre 664,588 milliards de FCFA dans la Loi de Finances rectifiée 2022, soit une augmentation de 4,73%. Ce déficit budgétaire à défaut d’une augmentation des recettes fiscales ou des ressources budgétaires sera financé par la dette publique et l’APD.
Rappelons que les prêts octroyés aux pays à revenu faible doivent être concessionnels c’est à dire à des conditions plus favorables que celles du marché. C’est le cas pour le Mali qui doit emprunter pour combler son déficit budgétaire.
L’APD est utile lorsque qu’elle est efficace.
Dans le jargon économique, on doit débarrasser l’APD des coûts non productifs. C’est-à-dire qu’il faut retrancher les coûts non nécessaires à l’utilisation de l’APD. En d’autres termes, le maximum d’’APD doit être utilisé par le pays bénéficiaire afin d’éviter qu’il y ait des coûts superflus associés à la gestion de l’APD.
Comment fait-on pour avoir une stratégie de mise en œuvre cohérente des activités de coopération pour le développement ?
MMM : Pour l’aide au développement, cela peut comprendre non seulement les actions dans l’humanitaire mais aussi la sécurité et le développement. Les Etats-Unis ont ce qu’ils appellent les « 3D », à savoir la Défense, la Diplomatie et le Développement. Ils estiment que ces trois éléments sont intrinsèquement liés. Il s’agit surtout d’employer simultanément des instruments d’aide de différents pays pour soutenir un acheminement rapide et souple de l’aide vers le pays bénéficiaire. Comme vous le savez, si vous avez beaucoup de partenaires et que chacun vient avec ses instruments et ses conditionnalités, cela réduit la capacité du pays bénéficiaire à faire face à ses objectifs et priorités de développement. Il y a lieu de demander, étant donné que le Mali a coordonné l’architecture de l’aide dans notre pays au sein du Secrétariat à l’Harmonisation de l’Aide (SHA) au sein du Ministère de l’Economie et des Finances, que les partenaires au développement harmonisent leurs procédures par des programmations conjointes et la coopération déléguée. Cela avait été le cas dans le passé à travers la stratégie commune assistance pays (SCAP).
Les tensions diplomatiques viennent de d’exacerber suite à la suspension de l’APD que la France accordait au Mali et à la réaction des autorités maliennes. Comment analysez-vous la situation ?
MMM : Le ministère français des Affaires étrangères à annoncé la suspension de son APD en faveur du Mali, à travers une déclaration rendue publique ce 18 novembre 2022 : ” les conditions ne sont plus réunies pour la poursuite de nos projets d’aide publique au développement et que le risque de détournement de leur objet est trop élevé. Nous maintenons cependant notre aide d’urgence et notre action humanitaire”. La décision des autorités de la Transition Malienne en réaction à la décision du Gouvernement français a été « d’interdire, avec effet immédiat, toutes les activités menées par des ONG opérant au Mali sur financement ou avec l’appui matériel ou technique de la France, y compris dans le domaine humanitaire »
Peut-on évaluer les conséquences de ces 2 communiqués sur notre pays?
MMM : En 2020, le montant engagé d’APD de la France au Mali était de 233 millions d’euros (soit environ 153 milliards FCFA) y compris 95,6 millions d’euros (soit environ 62 milliards FCFA) de dons. La France est aussi le deuxième contributeur derrière l’Allemagne au sein du Fonds Européen de Développement (FED) qui agit au Mali dans les domaines du développement rural, de l’environnement, de l’aide humanitaire, des infrastructures routières, du développement urbain et social, de l’appui institutionnel et de la culture. Cet appui s’est matérialisé au Mali durant le 11ème FED (2014-2020) à hauteur de 403 milliards FCFA.
Les grands domaines concernés par les financements du secteur privé incluent :
Les infrastructures (électricité, eau potable et assainissement); la gouvernance (appui aux finances publiques, à la décentralisation et au développement local); le développement humain (éducation, formation professionnelle et santé); l’agriculture, et l’appui direct aux acteurs économiques privés.
Pour ce qui concerne le secteur public des projets concernent les domaines de la stabilisation, de l’aide humanitaire, de la coopération administrative, de l’appui à la société civile, l’enseignement supérieur, la recherche et de la promotion de la diversité culturelle, la coopération culturelle, éducative et scientifique. Et aussi la coopération décentralisée est également très active au Mali, avec une soixantaine de partenariats avec des collectivités territoriales françaises.
Que devons-nous faire au Mali pour réduire notre dépendance par rapport à l’APD ?
MMM : Nous devons tirer des enseignements au niveau de notre propre expérience avec les partenaires extérieurs. Il faudra mettre beaucoup l’accent sur le suivi de l’exécution des activités du développement de même que les bonnes pratiques. Cela fait partie du cycle des projets et programmes de développement. Et ceci, quel que soit le mode d’aide. Car il permet de faire non seulement le bilan des progrès accomplis, mais aussi de proposer des actions correctives qui permettent d’atteindre les objectifs. Cela doit être accompagné d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs et de moyens de vérification pertinents. Il faudra surtout mettre l’accent sur la mesure des résultats et l’impact des activités et déterminer jusqu’à quel point les résultats en question peuvent être imputés à des activités données. C’est ce qu’on appelle la gestion axée sur le résultat où la gestion des performances.
Il faudrait aussi réduire les conditionnalités pour permettre aux pays récipiendaires de bénéficier pleinement de ces assistances extérieures. Pour cela, il faut aider absolument à renforcer les procédures et système nationaux, de même que les capacités nationales. C’est aux pays bénéficiaires d’être proactifs et d’indiquer la voie aux partenaires qui veulent nous assister.
Source : Le Focus