Adama Dahico à cœur ouvert :

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L’artiste et humoriste ivoirien, Adama Dolo dit Dahico, garde toujours la même verve orale, tant sur scène que dans la vie civile. Au cours de l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le candidat à la future élection présidentielle ivoirienne évoque beaucoup d’aspects relatifs à sa vie : entre autres, son parcours artistique, sa carrière de comédien, les raisons de son entrée en politique etc.

 L’Indicateur : Quel est le combat mené par Adama Dolo dit Dahico sur le plan artistique ?

Adama Dahico : Certes, je ne suis pas connu en Europe comme ces talentueux. Mais je dis qu’il faut rester en Afrique pour faire de bonnes choses et rester compétitif sur le plan international. Ceux qui m’ont connu depuis longtemps savent que Adama Dahico, c’est un cas d’école. Durant des années, j’ai animé l’émission « Allocodrome ». J’ai travaillé comme chroniqueur dans la presse écrite ; j’ai fait des chroniques télé ; j’ai été correspondant de certains médias en Europe, précisément en Suisse ; j’ai fait des tournées africaines.

Adama Dahico, c’est plus qu’un maître : c’est une école qui est en train de s’installer parce que notre objectif de demain, c’est de transmettre tout ce que nous avons comme expériences à tous les jeunes qui veulent en faire un métier.

Indicateur : D’où vous est venue cette inspiration de comédien?

A.D : Souvent, c’est difficile de dire comment ça vient ; mais souvent, Dieu vous donne des prédispositions. Soit c’est des personnes qui vous orientent souvent, soit vous décidez de prendre une direction à un certain moment de la vie. Depuis l’école primaire et le collège, après la classe de seconde, on était sollicité pendant les manifestations de fin d’année pour fonder un groupe d’acteurs qui  lit des poèmes et des sketches.

 Moi, j’avais décidé de ne pas trop me casser la tête pour prendre la direction de l’art et de la comédie et être aujourd’hui ce que je veux être. J’ai pris l’option d’entrer à l’INSAT, l’école de théâtre à l’époque. Mais je n’ai pas pu entrer dans cette école après le concours. Tous ceux qui avaient le niveau et qui ont passé avaient-ils la passion de l’art ?  Les gens ont fait le concours ; ils ont pris quelques-uns.

Je le dis et le répète : cette sélection a été faite par copinage parce que certains avaient leurs parents comme enseignants dans cette école. Ils avaient cette chance plus que nous. Peut-être qu’ils avaient le niveau. Mais est-ce qu’ils avaient la passion, l’amour de la chose? Ils ont quand même bénéficié de la bourse. Mais quand ils sont sortis, on ne les a plus connus comme comédiens : ils ont fait autre chose. J’ai eu de la malchance ; mais Dieu merci, peut- être que si j’avais fait cette école, je ne serais pas le Adama Dahico d’aujourd’hui.

C’est là que je me suis permis d’intégrer une compagnie de théâtre privée. C’est de là où tout est parti, au niveau de la formation. Avec l’ambition, la vision et l’objectif de l’équipe, on a rencontré des personnes comme petit Kaba, Tonton Bouba et plusieurs autres personnes qui nous ont guidés. L’expérience que j’ai, c’est plus que celle de quelques-uns qui ont fait une école de théâtre. C’est vraiment l’école de la vie ; voila comment tout est parti. Aujourd’hui, nous sommes en train d’écrire les plus belles pages de l’humour en Afrique. Aujourrd’hui, on ne peut pas faire le bilan de l’humour en Afrique sans parler de Adama Dahico : ce n’est pas possible.

Indicateur : Comment avez- vous embrassé la politique ?

A.D : Je n’ai pas embrassé la politique. Moi, je suis quelqu’un qui travaille étape par étape. Je suis dogon d’origine. Je fais des choses initiatiques ; je fais tout en cycle de sept ans. Quand j’entame une procédure, elle doit durer sept ans ; ensuite, je passe à d’autres étapes. J’ai sorti mon premier album. Sept ans après je suis entré dans l’écriture. Sept ans après, je suis entré dans la création d’un festival;  et après je me retrouve candidat. Moi, je fais des choses initiatiques. On dit qu’il faut remuer la langue sept fois avant de parler. Quand vous partez à la Mecque, il faut faire sept tours de la Kaaba. Quand vous regardez le corps humain, vous verrez qu’il a sept trous. C’est pour vous dire que je ne fais pas les choses au hasard : mes choses sont bien ficelées.

 A un moment donné, après dix ans d’humour, je me suis rendu compte que je faisais le même boulot que les politiciens, parce qu’un politicien, c’est un agent au développement qui doit savoir quels sont les maux qui minent notre société. J’ai compris également qu’un intellectuel, c’est comme une torche qui éclaire la route pour montrer ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Dans mon métier de comédien, j’ai le temps de critiquer, de conscientiser. Je me suis alors  dit : pourquoi ne pas utiliser l’humour qui est un art de divertissement ? Pourquoi ne pas l’utiliser comme moyen de communication, de sensibilisation et d’éducation ? Et un homme politique, c’est un éducateur de la masse.

Je me suis dit qu’il y a trop de polémiques en Côte d’Ivoire après la sortie de crise, mais personne n’ose poser l’acte qu’il faut, et Adama Dahico a fouetté les politiciens pour dire : si vous ne faite pas attention, un comédien sera président en Côte d’Ivoire, et ce n’est pas impossible parce que je suis intelligent comme vous. Je sais ce qui est bon pour mon pay ; j’ai voyagé ; je vois un peu et sais un peu.

Ma particularité, c’est que je suis fils d’immigrés. Nous sommes trois dans le monde : Obama, fils d’immigré kenyan ; Nicolas Sarkozy, fils d’immigré hongrois et moi, fils d’immigré malien, candidat en Côte d’Ivoire. Nous allons créer l’association du fils d’immigré devenu président. Il faut, innover, avoir de grands rêves ; c’est ce que j’ai fait en faisant acte de candidature. Ceux qui sont ministres aujourd’hui ne sont pas plus intelligents que moi, et je ne suis pas plus bête qu’eux. Quelqu’un qui produit trois livre, on ne peut pas dire qu’il est bête. D’ores et déjà, je devais intégrer l’académie des arts et de la culture dans mon pays.

J’ai été le premier humoriste africain à être décoré par un chef d’Etat, en l’occurrence, Laurent Gbagbo, devenu aujourd’hui mon adversaire politique. Si je voulais le soutenir, je n’avais pas besoin de déposer ma candidature : j’allais me rallier à lui. Tout compte fait, je suis un citoyen libre ; et quelqu’un qui a des idées pour son pays peut être candidat.

Indicateur : En cas de deuxième tour entre Gbagbo et Bédié ou Alassane Ouattara, quel camp allez-vous soutenir ?

A.D : Je respecte l’analyse des uns et des autres. Avant tout, Gbagbo, c’est mon ami. Il m’a décoré avant même que je sois candidat. A tout moment, je pouvais le rencontrer. Il m’a naturalisé. Mais il faut que les Africains comprennent que la nation reste, ce sont les hommes qui passent. C’est une élection où tout peut arriver. Et pourquoi vous me posez la question de savoir  quel candidat je vais soutenir a deuxième tour ?  Est-ce que vous savez si Laurent Gbagbo sera au deuxième tour ? Et si moi, je suis au deuxième tour avec Ouattara, ou bien un autre candidat ? Pourquoi on ne pose jamais cette question à Gbagbo ou à Ouattara ? Si Adama Dahico est au deuxième tour, lequel  allez-vous soutenir ?

Vous ne me voyez pas au deuxième tour, c’est ça ? Détrompez- vous, dans cette élection, il y aura beaucoup de surprises. Nous allons démontrer par a plus b que nous pouvons être au second tour des élections et négocier la voie de mes adversaires. Le cas contraire, je m’assois avec Laurent pour discuter les contours avant de donner ma voix. Il ne faut pas confondre l’amitié que j’ai avec le président de la république et l’idée que j’ai pour mon pays.

L’Indicateur : Si vous êtes aujourd’hui président de la Côte d’Ivoire, quelle sera la première priorité de vos priorités ?

A.D : Nous sommes une Côte d’Ivoire divisée et partagée. Il faut donc faire en sorte que les Ivoiriens soient capables de se mettre ensemble pour travailler, former un gouvernement où toutes les forces vives de la nation non politisées, avec les gens qui ont la crainte de Dieu et l’amour du pays, pour qu’on se mette ensemble pour construire le pays. Nous allons nous attaquer à la lutte contre la corruption, à la réconciliation, à la réunification du pays et à la moralisation de la  vie publique.

Il faut des hommes moralement bien pour mettre les ressources minières et les matières premières en valeur, sensibiliser la population et leur signifier que les dix ans de crise doivent nous servir de leçon. Si la leçon est comprise, on va aller vers le développement. Si elle n’est pas comprise, on va allez vers la déchéance, et c’est pas ça le souhait des Ivoiriens. Il faut aider les jeunes à se former, car malheureusement, on constate qu une fois dans les campagnes, les politiciens ont besoin des jeunes pour venir au pouvoir, mais ils n’ont pas besoin de jeunes au pouvoir. Il faut donc qu’ils prennent leur responsabilité. Donner un tee-shirt ou 1000 FCFA à un jeune et lui demander de voter pour moi est une insulte.  Le président que je suis sera moins vu à la télévision ; l’équipe gouvernementale et le Premier ministre vont se mettre au travail. Pas de ministre au bureau ! Nous avons besoin de ministres au rang des managers, des gens qui sont sur le terrain.

Indicateur : Quel est votre avis sur l’absence du président Gbagbo lors du défilé du 14 juillet dernier en France ? Si vous étiez aujourd’hui président de la Côte d’Ivoire, alliez-vous refuser d’envoyer vos soldats ?

A.D : En tant qu’humoriste et en tant que citoyen qui vit en Côte d’Ivoire, j’ai fait une caricature là-dessus ; c’est mon point de vue. Tout d’abord, la Côte d’Ivoire n’est pas une colonie, c’est un Etat souverain et indépendant. Sarkozy, c’est le président de la république de France ; il n’est pas le président des républiques africaines. Il a adressé une invitation à la Côte d’Ivoire ; c’est une invitation, mais pas une obligation. Le président Gbagbo a dit qu’il ne mettra pas le pied en France. Quand tu dis « non », il faut dire « non » ; quand tu dis « oui », il faut dire « oui ». 

Sékou Touré a dit « non », et les français sont partis. Mais cinquante ans après, n’est-ce pas les mêmes français qui sont revenus avec leur histoire démocratique ? Pourquoi ? Parce qu’ils sont  intéressés par les ressources de la Guinée. La Côte d’Ivoire est un pays qui vient de loin. Moi, je n’ai pas aimé que Nicolas Sarkozy n’ait n’a pas mis pied en Côte d’Ivoire quand il a été élu président de la république. S’il veut qu’il y ait une cohésion en Afrique, il doit effectuer une visite officielle en Côte d’Ivoire pour rencontrer les dirigeants ivoiriens en vue de trouver une solution à la crise.

Pourquoi voulez-vous que, pour une date du 14 juillet, le président de la république ivoirienne se déplace pour être aux côtés de Sarkozy, tout simplement pour voir défiler les troupes ? Il dit qu’il ne peut pas aller là-bas, mais il a envoyé son ministre de la défense. Alors, si on le respecte, on doit également respecter celui qu’il a envoyé. Je sais que ça a des répercussions sur les relations entre les deux nations. Mais je dis : arrêtons de nous laisser toujours guider par la France !

On est indépendant ; on doit discuter d’égal à égal ; c’est le rendez-vous du donner et du recevoir ; c’est la relation donnant-donnant, gagnant – gagnant. Pourquoi veut-on nous faire croire que nous, on a tout ici, et qu’ils n’ont pas de café, pas de cacao, pas de bois ? Il faut qu’il respecte l’Afrique ! Si moi je deviens président, je vais être clair ; je vais rencontrer le Quai d’Orsay et l’Elysée, et on discute librement, d’Etat à Etat, et non comme un mendiant qui vient rencontrer quelque ce dernier lui donne à manger. Ce n’est pas possible !

Indicateur : Que pensez-vous du forum des jeunes leaders africains avec le président américain Barack Obama, qui doit se dérouler du 2 au 5 août à Washington ?

  A.D : C’est une bonne chose que les Etats-Unis s’impliquent dans le développement de notre continent. Mais ce que je déplore, c’est l’Afrique elle-même. Pourquoi attendons-nous que les Etats-Unis organisent une telle rencontre ? Est-ce que pour le cinquantenaire, vous avez appris que tous les chefs d’Etat africains se sont réunis avec les autres pour dire : voila ce que nous voulons faire ou voici ce que les leaders de la jeunesse veulent faire ? Je dis non ! Chacun fait ce qu’il a fait ; on se rencontre dans les réunions et les sommets de l’Union africaine. C’est de la comédie qu’on va jouer ! Ils ne peuvent pas prendre une décision claire et nette, une vision africaine. C’est toujours les Etats Unis ou l’Europe qui doivent nous diriger ! Je pense que pour les cinquante ans que nous avons déjà faits, les dirigeants africains ont beaucoup plus pensé à leurs poches et leurs proches qu’au pays. Alors, pour les cinquante années à venir, qu’ils pensent  au peuple ! C’est ce que je souhaite.

Indicateur : Un dernier mot à l’endroit de vos lecteurs, M. le président ?

A.D : Certes, je suis un humoriste, mais n’est pas humoriste qui veut. Un humoriste, c’est quelqu’un qui travaille avec la matière grise. Un humoriste c’est quelqu’un réfléchit à tout moment ; ça demande de la réflexion, et je suis mieux placé pour le dire parce que je suis à l’école de Coluche : on m’appel le Coluche ivoirien.

L’Afrique a cinquante ans, et chacun doit se poser la question de savoir : qu’est-ce que j’ai fait, ou qu’est ce que je ferai dans les cinquante années à venir ? Lors de ce bilan, nous pourrions juger chacun selon son acte. Que Dieu donne une bonne santé, le souffle et une bonne lecture à tous vos lecteurs ; et je leur demande de nous faire confiance.

Entretien réalisé par Aliou Badara Diarra

 

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