Nous avons baladé notre micro pour recueillir les avis des femmes exerçant le métier de journaliste, afin d’avoir leurs impressions sur la célébration de la journée internationale de la liberté de la presse et le rôle des femmes de médias dans nos sociétés, surtout en période de crise.
Ramata Dia, coordonnatrice générale de la radio Guitan, la voix des femmes
” Les femmes sont une chance pour le Mali et elles ne se sont jamais comportées en fardeau pour ce pays… “
« Le Mali célèbre cette année la journée internationale de la presse avec un goût particulier. Parce que cette année nous vivons une double crise, la crise institutionnelle et la crise au nord Mali. La presse a été touchée par ces deux crises. Au Nord, la destruction des outils de travail, et au Sud, la liberté de la presse a été sérieusement menacée. Cette année nos sentiments sont un peu mitigés car nous n’avons pas cru que cela pouvait encore arriver dans notre pays. Le fait de voir certains maliens s’acharner contre leurs propres frères, mettre à terre les acquis de la démocratie, c’est vraiment écœurant. Aussi, nous devons garder espoir dans notre pays, l’espoir pour la paix que nous devons rebâtir et reconstruire ensemble, l’espoir pour les générations futures et l’espoir parce que la presse est un des piliers de la démocratie, si nous devons désespérer la situation sera chaotique.
En ce qui concerne le rôle de la femme, je ne sais pas quel rôle chacune d’elles souhaite jouer, mais je pense que déjà le rôle de la femme dans la presse malienne est très importante. Nous représentons la partie féminine du pays qui agit avec toutes ses sensibilités, qui a été particulièrement sensible aux viols et crimes commis au Nord Mali, qui a été sensible aux exactions commises contre les femmes au Sud et qui est particulièrement sensible à la question de la paix et des droits humains. Nous, les femmes des médias, nous avons le rôle de porter ce regard nouveau sur la gouvernance du pays, sur le respect des droits humains et enfin le respect des droits des femmes et des enfants.
Nous devons être présentes dans la collecte et le traitement de l’information, pour une meilleure visibilité de la femme et une mise en exergue des succès remportés par les femmes qui se lancent dans l’entreprenariat, quel que que soit le secteur d’activité. Nous devons montrer une image positive de la femme. Les femmes sont une chance pour le Mali et elles ne se sont jamais comportées en fardeau pour ce pays, elles ont toujours travaillé, elles se sont toujours battues et nous les femmes journalistes devons aussi travailler pour montrer la vraie valeur des femmes.
Je demande à toutes les femmes du Mali et même d’Afrique de ne pas désespérer, que l’outil qu’on est entrain d’utiliser aujourd’hui contre les femmes dans tous les conflits en Afrique (le viol) est un outil particulièrement humiliant et condamnable. Mais, cela ne devrait pas nous faire perdre espoir, nous devons garder la tête haute».
Awa Sangho, journaliste, présentatrice TM2
” Les femmes qui aimeraient faire carrière dans ce métier ne doivent pas se décourager et foncer, car c’est un métier passionnant… “
«Pour cette édition, mon souhait est que le musellement de la presse s’arrête, et que règne la démocratie. Toute femme journaliste en cette période doit donner des informations vraies, travailler pour l’unification du pays, la réconciliation nationale, bien s’impliquer dans son travail et instaurer une bonne image de la femme journaliste. Les facteurs sociaux de nos jours sont très négatifs pour la femme journaliste au Mali. Ce métier n’est déjà pas facile pour une femme compte tenu de la pression et le manque de temps pour participer aux activités sociales. L’image même de la femme journaliste n’est pas toujours bien perçue dans notre société. Mais je sais que les gens commencent à comprendre que les femmes peuvent aussi bien s’épanouir et jouer leur partition dans ce métier. Mon message aujourd’hui va l’endroit de toutes les femmes qui aimeraient faire carrière dans ce métier, pour leur dire de ne pas se décourager, de foncer, car c’est un métier passionnant».
Mme Altiné Traoré, Attachée de presse de la mairie du District de Bamako
” Nous les femmes, nous n’hésitons pas à prendre des responsabilités au sein des rédactions et à les assumer pleinement “
«Les femmes jouent un grand rôle dans la presse dans le monde entier. Il faut reconnaitre qu’en tant que femme, on a souvent du mal à jouer pleinement notre rôle dans la presse, on essaie de faire de notre mieux. C’est pour cela, qu’on n’hésite pas à prendre des responsabilités au sein des rédactions et de les assumer pleinement. En cette période de crise que connait notre pays, le rôle des femmes dans la presse a pris une autre dimension parce qu’elle doit être une facilitatrice entre les différents acteurs en prônant le dialogue et la réconciliation. Elles jouent un rôle d’information, d’éducation et de sensibilisation sur les sujets d’actualité.
Je suis là en tant que communicatrice, en tant que journaliste et animatrice de radio. Nous célébrons aujourd’hui la journée internationale de la liberté de la presse, je me suis dit qu’elle est importante pour les femmes qui ont évolué dans ce milieu et continuent de le faire de participer à cette journée pour donner leur point de vue. C’est une journée très importante aussi bien pour les hommes des médias que pour les femmes.
Comme vous le voyez ce n’est pas du tout facile de s’occuper du foyer et faire le travail de journaliste mais on s’y met. On essaie de joindre les deux bouts, sinon c’est difficile de s’en sortir. On exerce ce métier surtout par passion mais en même temps, nous devons aussi assumer pleinement nos taches familiales».
Dado Camara, directrice de Publication du journal « l’Annonceur »
” J’exhorte les populations à un changement de mentalité, afin que les femmes puissent jouer pleinement leur rôle dans ce métier… “
«Organiser cette journée au Mali est la bienvenue surtout en cette période où la presse malienne vit pas mal de problème.
En ce qui concerne le rôle de la femme dans les médias, je pense qu’elle n’a pas un rôle spécifique différent de celui des hommes. Mais seulement, la femme doit fournir beaucoup d’effort par rapport aux hommes. Il faut savoir que nous, les femmes de média, nous sensibilisons, informons et contribuons au développement du pays. Pour réussir cette mission, j’exhorte les populations à un changement de mentalité, afin que les femmes puissent jouer pleinement leur rôle dans ce métier. Notre métier n’est pas facile car il faut la disponibilité. Nous n’avons pas d’emploi du temps bien déterminé dans ce métier et pour cela il faut la compréhension des familles».
Mme Camara Mariétou Konaté, rédactrice en chef du journal l’Annonceur
” Nous les femmes journalistes, nous n’avons pas le soutien de nos confrères … “
«Au Mali il y a peu de femmes qui exercent dans la presse écrite, elles sont en majorité animatrices radio et TV. Je pense que le hic se trouve à l’interne, car les femmes ont peu de soutien des hommes dans notre métier. Je prendrai pour exemple la place que j’occupe à la maison de la presse. Je suis pratiquement la seule femme active, mais comment comprenez-vous que pour l’organisation d’une journée comme celle-ci, je ne sois pas impliquée ! Ça veut tout dire. La solution je pense qu’elle viendra des femmes, car tant que nous les femmes journalistes ne se mettrons pas ensemble pour qu’on prenne en compte nos problèmes spécifiques, la solution risque d’être vaine».
Clarisse NJIKAM
Mon point de vue :
La presse malienne entre misère et chantage
Le Mali à l’instar de la communauté internationale a célébré le 3 mai 2013, le 20ème anniversaire de la ” liberté de la presse “. En ce jour, c’est peut-être le moment de s’arrêter devant un miroir pour observer la réalité quotidienne de la presse malienne ainsi que les conditions dans lesquelles évoluent les professionnels des médias au Mali.
Face aux difficultés multiples qu’ils rencontrent quotidiennement dans l’accomplissement de leur mission première, celle d’informer, les journalistes maliens pour la plupart sont coincés dans une sorte de labyrinthe qui se caractérise par la peur du système, celle de ne pas plaire à leur employeur, à cause de certaines analyses, ainsi que celle d’être licenciés à tout moment…
Bien que les lois accordent une certaine protection aux hommes des médias, on assiste, ces dernières années, à une nette détérioration de la liberté de la presse ( la chute spectaculaire du Mali au classement mondial, qui de la 25ème est venu à la 99ème place). Les professionnels de l’information dénoncent, en particulier, leur situation sociale qu’ils jugent préoccupante.
L’établissement d’un contrat de travail en bonne et due forme n’est pas respecté. Donc pas de bulletins de salaire, ni de congé annuel, et a fortiori de couverture sociale pour la retraite… Les autres dispositions légales relatives aux accidents de travail, aux maladies professionnelles et autres risques du métier sont totalement ignorées. Il en est de même pour l’observation du repos hebdomadaire du travail, la rémunération du travail de nuit ou la récupération des week-ends et jours fériés.
Comités d’entreprise, représentants syndicaux et délégués du personnel sont inexistants. Pire, on risque le licenciement en jouant au syndicaliste. Par conséquent, dans cette presse d’aujourd’hui, des pratiques anti-journalistiques se sont instaurées pour arrondir les fins de mois. C’est le cas du “perdiem” et du “journalisme natiki” ou encore des “ journalistes prédateurs ” qui naissent en raison des conditions de vie et de travail misérables dans la centaine de titres que compte la presse locale.
Que dire des chasseurs de primes ?
Chasseurs d’argent dans les ministères, les organisations internationales et les entreprises, ces “ confrères et consœurs “ sans conviction professionnelle et déontologique font feu de tout bois. Ils pondent des articles commandités “ à tous les prix “, dans le souci de nourrir la grande famille, restée à la maison et qui n’a pour seul espoir qu’eux. Autre phénomène récurrent, le chantage de certains journalistes. Dans cette catégorie, ” soit tu conjugues avec moi à jamais, ou je te sabote “. Ca veut dire que pour cette catégorie de journaliste, la vie ne doit être rose que pour eux seul. Un égoïsme caractérisé ! Bref ces différents phénomènes consacrent en fait une forme de mendicité du journaliste.
Certains analystes estiment, toutefois, qu’il est impérieux d’assainir le milieu de la presse afin d’aider les professionnels des médias à impulser une réforme de leur profession capable de créer davantage de richesses et de réduire la pauvreté dans leurs rangs.
Licenciements abusifs à la pelle.
Plusieurs dizaines de journalistes ont été licenciés abusivement au Mali. Aucune manifestation de solidarité véritable de leurs collègues n’a été relevée, conséquence du déficit de culture syndicale. Plusieurs d’entre eux sont menacés d’emprisonnement.
Les journalistes survivent à cet enfer parce qu’ils aiment leur métier.
En dépit des bas salaires, de l’absence d’équipement, des terribles conditions de travail, du harcèlement des officiels et d’autres maux chroniques, les journalistes maliens essaient de faire leur métier. Le fait même que ces journalistes essaient de faire de leur mieux est déjà admirable. Et ils font chaque jour un peu mieux.
Cette journée du 3 mai 2013 devrait être une journée de remise en question à la fois des autorités maliennes, des patrons des organes de presse et des journalistes, eux-mêmes sur l’application stricte de l’étique et de la déontologie journalistique. Clarisse NJIKAM