Dans son adresse à la nation, la troisième depuis l’apparition du coronavirus au Mali en fin mars, le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé, le 10 avril, une enveloppe de 20 milliards de francs CFA, en soutien aux entreprises privées et à la microfinance. Dans une interview exclusive qu’il a accordée à nos confrères de Infos24, le Directeur général du Fons de garantie pour le secteur privé (Fgsp-SA), Moustapha Adrien Sarr, gestionnaire desdits fonds, donne des précisions utiles. Nous vous proposons l’entretien.
Infos-24: le Président de la République a fait une annonce de taille en direction du secteur privé dans le cadre des mesures d’adoucissement des impacts de la crise du Covid-19. Pouvez-vous dire le rôle précis que votre structure jouera dans la mise en œuvre de ce programme.
Moustapha Adrien Sarr : le Fonds de garantie pour le secteur privé (Fgsp-SA) est un établissement financier créé en 2014 à l’initiative de l’Etat du Mali afin de faciliter l’octroi de financements bancaires aux entreprises privées. Une entreprise porteuse de projet a très souvent besoin de crédit bancaire pour le mettre en œuvre. Il est constant que quelles que soient les prévisions de rentabilité dudit projet ou l’attractivité de son modèle d’affaire, lorsque l’entreprise porteuse en vient à solliciter la banque pour son financement, elle se trouverait certainement dans la nécessité de fournir une garantie. Et dans la plupart des cas, ces garanties ne sont pas à la portée du promoteur, ou se révèlent insuffisantes aux yeux de la banque pour couvrir le risque pour lequel son financement est sollicité. Notre rôle est justement de combler cette insuffisance en donnant notre garantie à la banque pour que le projet soit financé. Nous sommes une société anonyme de type bancaire, dans laquelle en plus de l’Etat, l’actionnariat est composé de l’Inps, du Patronat, de la Chambre de commerce et d’industrie, de l’Apej, de l’Anpe et de quelques banques et compagnies d’assurance. Pour répondre à votre question, notre rôle dans ce programme sera principalement de garantir les entreprises privées touchées par cette crise afin qu’à la fois les banques leur consentent plus de facilité dans le remboursement des crédits actuellement en cours et, au besoin, continuer à octroyer des crédits supplémentaires lorsque la nécessité se présentera. Le circuit d’engagement se conçoit donc nécessairement dans un ménage à trois : les acteurs qui empruntent, les banques et nous-mêmes Fonds de garantie.
Quelle est la nature de cette mise à disposition de 20 milliards de l’Etat que le Fgsp-SA devra gérer dans le cadre de cette crise ?
Comme vous le savez, cette pandémie a toutes les allures de « mal du siècle » en termes d’impact socio-économique. Aux dires d’éminents experts, le monde est certainement plongé dans la crise la plus grave du centenaire, autrement dit, bien plus que ne l’aurait été la fameuse crise de 1929. C’est dans ce contexte que son Excellence le Président de la République, Chef de l’Etat, dans sa troisième adresse à la nation depuis le début de cette crise, a annoncé la mise à disposition en faveur du Fonds de garantie pour le secteur privé d’une dotation de 20 milliards de F CFA, afin de soutenir les entreprises privées durement touchées, ainsi que les institutions de microfinance dans leur relation de financement.
C’est le lieu de remercier les plus hautes autorités pour cette initiative salutaire que le secteur privé en général, et le sous-secteur financier en particulier, accueille avec grand soulagement, mais également avec toute la gravité inhérente aux circonstances du moment.
Pour revenir précisément à votre question, cette mise à disposition n’est ni un don ni une subvention. Les fonds, dont la gestion est ainsi confiée au Fgsp-SA, sont appelés un jour ou l’autre à être remboursés. Dans cette optique, l’institution que nous représentons se doit de les engager d’une façon bien précise et dans des conditions limitativement indiquées. Ceci voudrait également dire que le Fgsp-SA devra rendre compte, de la façon la plus détaillée possible, tant de la justification comptable de son utilisation que de la pertinence économique et financière des choix opérés.
Quels sont les cibles et les secteurs visés par cette dotation ?
Les fonds alloués visent à soutenir les entreprises privées (PME-PMI, quelques grandes entreprises) et les institutions de microfinance dans leur relation de financement. Et qui parle de relation de financement réfère nécessairement aux banques. Il s’agira donc, via des conditions d’intervention suffisamment souples et peu couteuses, de favoriser par le biais de la garantie, le financement de ces acteurs en souffrance.
Le mécanisme d’intervention envisagé nécessite donc une relation tripartite banques/acteurs en besoin de financement et Fgsp dans une synergie qu’il faut nécessairement et efficacement mettre en œuvre. Les secteurs concernés sont, entre autres : l’hôtellerie; le transport; le tourisme; l’exportation de fruits de saison (la mangue notamment); la microfinance; et de façon générale, toutes les entités ayant une forte corrélation avec les secteurs ci-dessus. Vous voyez donc que le périmètre d’intervention est assez large.
Pouvez-vous nous décrire à partir d’exemples précis quel sera le rôle de chaque acteur dans ce programme ?
Concrètement, le Fonds de garantie donne l’assurance aux banques non seulement pour reporter les échéances de leurs clients entreprises et SFD, mais aussi pour leur accorder de nouveaux crédits en toute sérénité pour leur permettre de surmonter la crise.
Par exemple, un hôtel ayant un encours de crédit auprès d’une banque est certainement dans la difficulté de continuer à payer les échéances. Il faut donc reporter ces échéances et cela augmente le risque lié au crédit pour la banque. Le Fonds de garantie vient soulager la banque en se portant garant du crédit et en enlevant une bonne partie du risque sur la banque, toute chose qui l’encourage à procéder au report.
L’hôtel en question peut également avoir besoin d’un crédit de trésorerie pour supporter notamment ses charges fixes. Le Fonds de garantie se porte également garant de ce crédit, incitant ainsi la banque à accéder à la demande du client, qui, en cette situation de crise, présente plus un profil risqué. J’ai cité le cas de l’hôtel, mais ce pourrait être aussi le cas de cette autre entreprise exportatrice de mangues dont le chiffre d’affaires est complètement compromis parce qu’elle a des difficultés pour honorer ses commandes à l’étranger du fait de la crise.
Quant aux SFD, ils sont pratiquement tous en relation avec les banques de la place, auprès desquelles ils portent probablement un encours. Du fait des difficultés de leur clientèle à honorer les échéances, eux non plus ne peuvent plus rembourser les banques. Il faut donc repousser les échéances, mais également leur assurer des refinancements d’urgence pour qu’ils puissent continuer à accorder de nouveaux micro-crédits de trésorerie à leur clientèle touchée par la crise. Tout comme pour le cas de l’hôtel et de l’entreprise exportatrice de mangues, le Fonds de garantie vient permettre à la banque d’accéder à ces demandes qu’elle aurait du mal à financer sans un schéma de garantie suffisamment rassurant.
Les banques, en tant que partie prenante essentielle, ont besoin d’être rassurées de la capacité financière du fonds à les couvrir en temps opportun. C’est toute l’importance de la dotation.
A quoi peut-on s’attendre en termes d’impacts sur l’économie ?
Cette mise à disposition viendrait mécaniquement multiplier par deux (2) les capacités d’intervention du Fgsp-SA. Concrètement, en tenant compte de la particularité de son activité et de ses limites de risque, le Fgsp-SA est aujourd’hui en capacité de faire mobiliser un financement total de 170 milliards de FCFA. Et, sur la base des prévisions moyennes, ces financements pourraient bénéficier à 3.500 entreprises et SFD et permettre la sauvegarde d’environ 20.000 emplois.
Quel est votre dernier mot, M. le Directeur général ?
Je voudrais lancer un appel à l’ensemble des parties prenantes engagées dans ce programme en les invitant à saisir cette perche tendue par les plus hautes autorités en faveur d’une économie dont la résilience est déjà bien éprouvée par des années de crise sécuritaire. Chaque acteur est, à priori, crédité de la présomption de bonne foi. Il est important que cette présomption se traduise en actes et faits concordants ; que les entreprises ne disent pas que c’est une occasion pour nous de jouer des tours à la banque et que la banque à son tour s’astreigne à des règles d’analyse et de gestion efficientes et diligentes. Le Fgsp-SA que nous représentons s’engage à jouer sa partition en toute transparence et rapportera régulièrement le résultat des actions à toutes les parties prenantes.
Propos recueillis par Ibrahim Mohamed GUEYE