Zimbabwe: le limogeage d’Emmerson Mnangagwa, un «point de rupture»

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Zimabawe: Grace Mugabe aux côtés de Emmerson Mnangawa, alors vice-président (février 2016) à une réunion du Zanu-PF © REUTERS/Philimon Bulawayo
Zimabawe: Grace Mugabe aux côtés de Emmerson Mnangawa, alors vice-président (février 2016) à une réunion du Zanu-PF © REUTERS/Philimon Bulawayo

La situation est complexe au Zimbabwe où des militaires ont pris le contrôle de bâtiments officiels et de la radiotélévision nationale au petit matin ce mercredi 15 novembre. Plusieurs personnalités ont été arrêtées par les mutins qui démentent vouloir faire un coup d’Etat et assurent que le président Mugabe et sa famille sont en sécurité. Un épisode qui fait suite à une guerre de clans dans l’entourage du chef d’Etat. Décryptage avec Liesl Louw-Vaudran, spécialiste de l’Afrique australe à l’Institute for Security Studies, à Pretoria, en Afrique du Sud.

Au Zimbabwe, il y a quelques heures, le général Sibusiso Moyo, un des hauts responsables de l’armée, est apparu à la télévision nationale. Il ne s’agit pas, dit-il, d’un « coup d’Etat ». La cible, ce sont des « criminels » dans l’entourage de Robert Mugabe et ceux qui sont responsables de la crise économique et sociale. Le général assure que le chef de l’Etat est sain et sauf.

RFI : A quoi est-on en train d’assister au Zimbabwe ? Les militaires disent que ce n’est pas un coup d’Etat. S’agit-il d’une intervention pour protéger le président ou bien est-il en route vers la sortie ?

Liesl Louw-Vaudran : Je pense que tous les éléments d’un coup d’Etat sont présents, cela y ressemble. Hier, le 14 novembre, on a vu des véhicules militaires autour d’Harare, la capitale. Aujourd’hui, des soldats étaient dans la rue, on a assisté à la prise de ZBC, la télévision nationale, et à ces déclarations.

De plus, le ministre des Finances, Ignatius Chombo, a été arrêté. Si c’est avéré, Chombo est un des supporters de Grace Mugabe, la femme de Mugabe, qui elle, est un peu derrière toutes ces manœuvres de ces derniers jours et même de ces dernières années.

Elle a réussi à faire virer la vice-présidente Joice Mujuru et il y a quelques jours, le vice-président Emmerson Mnangagwa. Elle est très ambitieuse. Elle veut prendre la place de Mugabe très bientôt, certainement.

Cela a été ça, pour vous, le point de rupture : le limogeage du vice-président Mnangagwa et le fait que la succession de l’époux à l’épouse, de Robert à Grace Mugabe, devienne plus concrète, plus probable ?

Ces manœuvres de ce groupe autour de Grace Mugabe continuaient dans différents secteurs. Le général Moyo à la télévision, dans sa déclaration, parlait de cette « purge » qui est actuellement en cours au sein du gouvernement et du parti Zanu-PF. Dans cette purge, le point culminant a été le limogeage d’Emmerson Mnangagwa. Parce qu’Emmerson Mnangagwa est de très loin, après Robert Mugabe, peut-être, la personne la plus puissante du pays. Un très grand héros de la libération. Il a lutté avec Mugabe contre la colonisation pendant très longtemps. C’était vraiment la dernière étape à ne pas franchir et apparemment l’armée n’accepte pas son limogeage.

Le vice-président limogé peut-il être derrière ce qui se passe aujourd’hui à Harare ? Il est aujourd’hui en Afrique du Sud où il a trouvé refuge. Est-ce qu’il peut être à la manœuvre de là-bas ?

Certains commentateurs ce 15 novembre, à partir du Zimbabwe et de l’Afrique du Sud, commencent à spéculer dans cette direction. Ce qui est possible, parce qu’il a quand même un grand soutien au sein de l’armée. Que les actions de l’armée de ces dernières heures soient téléguidées par lui, cela reste à voir.

Mais le fait qu’il soit limogé, non seulement du gouvernement et aussi du Zanu-PF, paraissait vraiment quelque chose d’inacceptable pour ceux qui sont au sein de la Zapu-PF et de l’armée, qui a toujours soutenu Robert Mugabe depuis 1980, quand il est arrivé au pouvoir.

Ce qui se passe aujourd’hui est complètement inédit : des militaires dans la rue, leur intervention à la télévision, ce sont des choses que l’on n’a pas l’habitude de voir dans ce pays.

Absolument. L’armée a toujours soutenu le parti Zanu-PF au pouvoir. Pendant chaque élection il y avait des violences politiques très graves contre l’opposition. Mais l’armée a toujours été du côté du Zanu-PF. Et d’ailleurs, lors des dernières élections en 2008, l’armée a dit : « Nous n’accepterons jamais quelqu’un à la tête du pays qui n’est pas issu des luttes de libération », en faisant allusion de l’opposant Morgan Tsvangirai. Il y a effectivement cette division entre les anciens combattants de la guerre d’indépendance et la nouvelle génération.

Dans l’intervention à la télévision, il y a eu une référence, quand même très claire à la situation économique et sociale. Il a été question des « criminels » qui se trouvent dans l’entourage Mugabe, de ceux qui sont « responsables de cette crise ». La situation économique du Zimbabwe est désastreuse et ne fait que se dégrader ces derniers temps.

C’est vraiment dramatique. Le pays est à genoux, parce que tout simplement, il n’y a plus d’argent. En 2009, le Zimbabwe a adopté le dollar. Il a rejeté sa propre monnaie parce que l’inflation était trop élevée. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où les banques n’ont plus de devises. Donc le pays imprime de fausses monnaies. Mais même ces fausses monnaies ont été épuisées ces dernières semaines. Donc la crise économique est absolument dramatique.

C’est donc cela qui conduit aujourd’hui les militaires à agir. Que peut-il se passer dans les heures qui viennent ? A quoi faut-il s’attendre politiquement, militairement, à Harare ?

Comme vous avez dit, il faut savoir qui est derrière ce coup, cette action de l’armée, si c’est Emmerson Mnangagwa. On attend, bien sûr, la réaction de l’Afrique du Sud qui aujourd’hui préside la SADC. L’Afrique du Sud qui était le médiateur dans les crises au Zimbabwe pendant longtemps.

Et l’Union africaine, ces dernières années, a tenu à rejeter tout coup d’Etat depuis la Déclaration de Lomé. S’il s’avère que c’est un coup d’Etat, on peut s’attendre à ce que l’Union africaine et la SADC, la Communauté de développement d’Afriqua australe, rejettent un régime militaire. Mais l’Afrique du Sud devrait intervenir en médiation ou essayer de résoudre la situation très vite.

Par  Nathalie Amar rfi.fr – Publié le 15-11-2017

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