Zimbabwe : fin de mission pour Bob, le coup d’Etat le plus soft

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Le président zimbabwéen Robert Mugabe, le 22 août 2013 à Harare / © AFP/Archives / ALEXANDER JOE

Il y a des coups d’Etat “bêtes” et des coups d’Etat “intelligents”. Les militaires zimbabwéens ont réussi leur pari, voulant “restaurer l’héritage” comme ils ont rebaptisé leur mission par la suite. L’héritage de la guerre de libération peut servir de fétiche “légitimateur”, comme pour dire “nous ne sommes pas contre le camarade Bob, mais nous ne laisserons pas le pouvoir tomber dans n’importe quelle main.” Le camarade Bob a quitté la scène….avec Grace, son épouse.

Robert Mugabé a quitté la scène, non moins sans une petite résistance, avant de se résoudre à démissionner. Quels enseignements tirés de cet événement majeur pour l’Afrique car Mugabé n’était pas un simple président, il était un pan de l’Histoire du continent.

1- Robert Mugabé est une figure MAJEURE de la lutte pour la libération du Continent. La colonisation dans son pays ne fut pas comme dans beaucoup d’autres parties de l’Afrique. Sur les vestiges du grand empire antique, le Grand Zimbabwé, dont le pays prit le nom, les colons anglais ne voulaient pas partir. L’indépendance du pays a donc été “arrachée” après une guerre dont Mugabé fut l’une sinon la figure majeure avec Salomon Mujuru dont l’épouse fut vice-présidente du pays;

2- Le Mugabé “caricaturé” a, après l’indépendance, laissé suffisamment de temps pour les réformes agraires mais l’Angleterre ne tenant promesse et le dirigeant étant sous pression de sa population (moins de 1000 fermiers blancs détenaient la moitié des terres agricoles du pays), il s’est finalement résolu à redistribuer les terres. Et depuis, les médias occidentaux en ont fait un “raciste”;

3- Mais l’homme qui a fait de la prison avant d’être Premier ministre puis président est resté trop longtemps au pouvoir. J’ai personnellement écrit plusieurs fois qu’il risque de rater sa succession en voulant mourir au pouvoir ;

4- Sa chute s’explique essentiellement par plusieurs facteurs dont l’usure du pouvoir pour s’y être resté longtemps au point de voir ses forces physiques et intellectuelles sérieusement affaiblies, “sa femme fatale”, Gucci Grace, impopulaire, qui voulait succéder à son mari, la capacité de résistance des anciens combattants de la guerre de libération qui sont dans tous les leviers du pouvoir y compris l’armée et les intérêts économiques et enfin la guerre progressive menée contre ces derniers au profit d’une succession au profit de madame (la femme du héros militaire, Mujuru, vice-présidente remerciée en 2014 et l’éviction fatale d’Emmerson, l’homme fort du moment);

5- Bob a certainement minimisé trois facteurs : l’impopularité de sa femme, la capacité de nuisance et le réflexe de survie des anciens combattants qui veulent, après Mugabé, continuer à contrôler le pays et enfin la lassitude de ses compatriotes, sous un pouvoir confronté à d’énormes difficultés économiques dont le chômage, la fuite des jeunes vers l’Afrique du Sud, même s’ils respectent le combat anti-colonial du vieux ;

6- Les faits et signes parlent. Dans ce pays dont la Chine est le premier investisseur étranger, le patron de l’armée, selon les médias et Jeune Afrique, a effectué un voyage à Pékin, puis en Afrique du Sud, quelques jours avant le putsch. Or, on connaît la proximité du patron de l’armée et le vice-président limogé. Emmerson a d’ailleurs été formé en Egypte et en Chine. On “soupçonne” Pékin de préserver ses intérêts dans ce pays, sentant la fin de Mugabé proche ;

7- Avec les vétérans de la guerre dont Emmerson et une partie de l’armée, c’est un peu du Mugabé sans Mugabé, l’opposant principal du pays étant souvent cité comme proche de l’Occident ;

8- En somme, il s’agit d’une révolution de palais, comme en Tunisie entre Bourguiba et Ben Ali, le numéro 2 pousse à la sortie le numéro 1, vieux, pour prendre sa place ;

9- Dans le cas zimbabwéen, on a beau évoquer les connexions extérieures, on ne peut tout de même oublier que tout est parti de Mugabé lui-même d’abord (sa femme critique et menace publiquement le vice-président qui est limogé quelques jours après par le président). Ce dernier parvient à sortir du pays et lance le défi qu’il reviendra dans deux semaines. Et c’est après ce casus belli que l’armée entre dans la  danse ;

10- Les militaires zimbabwéens ont millimétré l’opération, sorte de coup d’Etat qui ne dit pas son nom, évitant les sanctions. Pour y arriver, ils ont parié sur des stratégies convergentes : neutraliser la capacité de mouvement et d’initiatives de Bob et de sa femme tout en le ménageant en assurant une pression psychique forte sur lui par la mise en résidence surveillée pour le pousser à démissionner “volontairement” afin de  camoufler le putsch. À cette stratégie, ils ont ajouté celle du chantage de destitution par le Parlement. Le camarade BOB, voyant les carottes cuites, avait donc deux choix finaux : résister jusqu’au bout et pousser l’armée ou le Parlement à aller jusqu’au bout ou démissionner pour éviter une dernière humiliation, celle de la destitution. Il sait que le mot démission arrange les deux parties (le sentiment qu’après avoir analysé la situation et pour les intérêts du pays, il a décidé de s’effacer volontairement, ce qu’il dit d’ailleurs dans sa lettre de démission, souhaitant une transition “douce” et “non violente”, solution qui facile également le travail des putschistes qui entendaient doublement ménager le père de la nation, ne pas trop l’humilier et éviter les sanctions internationales).

En ce qui concerne les conséquences de cet événement, elles concernent essentiellement la lutte âpre que vont mener le parti au pouvoir qui jouera sa survie, surtout les anciens combattants pour le contrôle de la transition et la victoire de leur “champion” aux futures élections et l’opposition classique dont le leader, soigné en Afrique du sud, sentant la fin de son adversaire Mugabé proche, est rentré au pays. Mais le travail de l’opposant s’avère difficile car Emmerson, le crocodile, est aussi cité pour être un FAUCON. L’autre conséquence, c’est la libération de la parole chez les citoyens qui, durant les mois à venir, diront ce qu’ils pensent du bilan de Mugabé. Aussi, les pays occidentaux qui ne bouderont pas leur plaisir, heureux de voir le dernier “héraut” et “héros” du continent, après Khadafi les défier.

Les médias occidentaux ont d’ailleurs commencé le travail : diffuser largement l’image d’un Zimbabwé débarrassé du “dictateur”. Il y a néanmoins une chose à saluer : l’armée a été “professionnelle” et “intelligente” et Mugabé a été finalement “galant” et “patriote”, même contraint. Quant au sort du camarade Bob et de sa famille, on verra dans les jours ou mois à venir. On murmure, à propos, le mot “immunité”.

Yaya TRAORE

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