Les valises de billets, une "réalité" ou de "vieilles lunes" ? L’ancien M. Afrique du PS et l’ex-conseiller de Jacques Chirac répondent au Post.fr.
Michel de Bonnecorse et Guy Labertit. | MAXPPP
Faut-il accorder du crédit à la note diplomatique américaine sur la " Françafrique ", révélée mercredi par Wikileaks ? Le document datant de juillet 2009 et publié sur le site du quotidien espagnol El Pais, affirme que des dirigeants du Gabon, au premier chef duquel son ancien président, Omar Bongo, auraient détourné plus de 30 millions d’euros de la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC) afin, notamment, de financer des partis politiques français.
L’argent aurait ainsi profité " aux deux camps, mais surtout à droite, en particulier à Chirac mais aussi à Sarkozy ", et ce durant " les cinq dernières années ", soit entre 2005 et 2009.
Le document est toutefois sujet à caution. Son auteur, l’ambassadrice américaine au Cameroun, explique en effet dans cette même note que l’ambassade américaine du Gabon " n’est pas en mesure de vérifier la véracité de l’accusation selon laquelle des hommes politiques français ont bénéficié du détournement de fond".
L’information de Wikileaks "absolument pas crédible", selon un proche de Chirac
Interrogé jeudi par Le Post, Michel de Bonnecorse, l’ancien conseiller pour les affaires africaines de Jacques Chirac (2002-2007) évoque un document " absolument pas crédible ". " Cette histoire, c’est un écran de fumée livré aux diplomates américains ", assure l’ancien diplomate. Pour lui, cette affaire de la BEAC se résume à " un simple détournement de fonds réalisé par quelques cadres dirigeants à leur propre profit ".
" Si le président Bongo voulait distribuer de l’argent, il avait tous les moyens ‘gabonais’ pour le faire ", ajoute-t-il. " Pour quelle raison serait-il passé par la BEAC, un organisme qui n’est pas gabonais (il regroupe huit pays d’afrique centrale, ndlr) avec des contrôleurs étrangers, et notamment des inspecteurs des finances français ? En gros, pourquoi faire compliqué alors que l’on peut faire simple ? "
"Gbagbo en personne m’a assuré avoir été sollicité par l’entourage de Jacques Chirac pour financer sa campagne en 2002…"
Plus généralement, faut-il parler de fantasme lorsque l’on évoque des valises de billets qui transiteraient entre Paris et la plupart des dirigeants africains francophones depuis plusieurs décennies ? " Non, ce système des valises a été couramment pratiqué entre l’Afrique et la France" assure au Post Guy Labertit, l’ancien " Monsieur Afrique " du Parti socialiste de 1993 à 2006, qui reconnaît toutefois " ne pas pouvoir apporter de preuve formelle " à ses dires. Avec cet argument-massue : " Les fonds circulent sans laisser de trace. On n’utilise pas de chèques, dans ces opérations-là ! "
Guy Labertit se fait toutefois plus affirmatif lorsqu’il évoque un récent " déjeuner " avec son vieil ami, le président sortant de Côte d’Ivoire. " Au début de l’année 2010, Laurent Gbagbo en personne m’a assuré avoir été sollicité en 2002 par l’entourage de Jacques Chirac pour financer sa campagne présidentielle ", lâche-t-il. Diable. Alors, quelle suite le président Gbagbo aurait-il donné à cette requête supposée ? " Je n’en sais rien, demandez-le-lui, esquive Labertit. Mais je pense que Gbagbo écrira sa vérité un jour, dans un livre, lorsqu’il ne sera plus chef de l’État. En tout cas, s’il a donné de l’argent, il a été bien mal récompensé en retour… (les relations entre Chirac et Gbagbo se sont considérablement détériorées par la suite, ndlr) " .
Michel de Bonnecorse avec Jacques Chirac en 2006.
"La Françafrique n’est pas honorable et ne sert à rien"
La campagne présidentielle 2002 de Jacques Chirac financée pour partie par des fonds ivoiriens ? " Ça m’étonnerait beaucoup, objecte Michel de Bonnecorse. Tout cela, ce sont de vieilles lunes. Quand il a été élu président, Jacques Chirac s’est comporté de manière responsable. Et puis, à l’époque, j’ai eu à connaître des cas d’individus qui sont allés voir tel ou tel dirigeant africain en disant ‘on vient faire la quête pour M. Chirac’ alors qu’ils agissaient pour leur propre compte… "
Michel de Bonnecorse peste contre la " résurgence, depuis deux ou trois ans, de ces réseaux " de Françafrique. Dans son collimateur : Robert Bourgi, avocat et agent d’influence aussi familier du palais de l’Elysée que des dirigeants africains. " Tout cela n’est pas honorable et ne sert à rien. Ces gens-là sont des parasites qui brouillent les messages officiels et pompent les liquidités des Etats ".
Michel de Bonnecorse conclut : " Les responsables africains ne comprennent pas pourquoi la France a toujours un double réseau vis-à-vis d’eux : un réseau institutionnel et un réseau souterrain. Et ce qui est ennuyeux aujourd’hui, c’est que le chef de ces deux réseaux est l’actuel secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant. "
L’extrême prudence de Lionel Jospin
En temps que " Monsieur Afrique " du PS, Guy Labertit jure " ne jamais avoir porté de valises de billets ". La gauche serait-elle vraiment plus exemplaire que ses rivaux de droite ? " Je ne peux parler que de ce que je connais, plaide Labertit. Pour avoir été très présent dans la campagne présidentielle du PS en 2002, je peux vous assurer que Lionel Jospin avait une volonté absolue de se tenir très loin de ça. A tel point qu ‘il avait exigé qu’aucun représentant du parti socialiste n’aille en Afrique avant les élections afin de ne pas être soupçonnable. "
Saura-t-on un jour la vérité sur les liens financiers supposés en l’Afrique et la vie politique française ? Bonnecorse comme Labertit en doutent. A moins que… " La vérité ne verra le jour que si les propres acteurs de ces manœuvres le reconnaissent. En l’occurrence, ça ne viendrait que des chefs d’États africains. Car je crois que côté Français, personne ne reconnaîtra jamais avoir toucher de l’argent. "
Philippe Mathon
via Le Post.fr – 30/12/2010