Il y a juste trois semaines, la rue africaine pouvait penser que Wikileaks ne concernait que quelques pays parmi les plus grands ou les plus conflictuels au monde. Elle faisait bien sûr erreur, car c’était une semaine après le raid du 22 juillet dernier au Nord Mali que le site indiscret annonçait que des troupes françaises avaient bien participé à l’expédition qu’elle a même décrite par le menu. En effet, parmi les 250 000 documents prêts à être divulgués, bien des télégrammes concernent l’Afrique et ses leaders. Même Mandela n’est pas épargné.
En raison de ses enjeux, terrorisme et narcotrafic notamment, l’espace sahélo saharien, bien entendu, est un sujet prioritaire pour les chancelleries américaines. Celles-ci, du reste, n’y sont pas allées avec le dos de la cuillère vis-à-vis des dirigeants de cette région. Si elles ne sont pas en réalité des scoops, les premières « fuites » reprises, depuis une semaine, dans la presse internationale sont instructives. On sait ce que le Maroc et l’Algérie disent l’un sur l’autre, comment se portent leurs armées, comment les chancelleries évaluent les réponses sécuritaires des états riverains du Sahel-Sahara, ce que Bouteflika et ATT, deux protagonistes majeurs, pensent l’un de l’autre et bien d’autres joyeusetés. Si Wikileaks va plus loin, les oppositions africaines vont se délecter. Mais il n’en sera pas de même pour les gouvernements. Car non seulement des présidents sont taillés en pièce par de simples agents d’ambassade mais la révélation de certaines informations, il faut le craindre, pourraient gravement déranger le dispositif sécuritaire contre Aqmi et le narcotrafic en particulier. Morceaux choisis et décryptage.
Aqmi et le narco-trafic : pour l’instant, il n’y a pas d’informations précises livrées sur les activités salafistes ou le narcotrafic dans le Sahel. Mais tenez-vous bien! Le sujet intéresse au plus haut point les autorités américaines. Les télégrammes diffusés par Wikileaks sur la question portent sur la structure et le contenu des rapports demandés aux chancelleries. Plus de cinquante points sont retenus dans les directives données à celles-ci depuis Washington : localisation, mouvements, organisation des groupes salafistes, modes opératoires, situations financières, liens avec les communautés et les officiels des Etats, liens avec le narcotrafic, nature des drogues convoyées, routes empruntées, personnes impliquées, relations avec les cartels sud-américains, fréquences et ampleurs des opérations, circuits de blanchiment, etc. La prémisse sur laquelle travaillent les services est donc qu’Aqmi et narcotrafic sont liés. On comprend mieux pourquoi les Américains utilisent pour le Sahel le terme de narco-terrorisme qu’ils gardaient jusque là pour les réseaux colombiens. Recevant en novembre 2009, le Général William Ward de Africom, le président du Mali lui fait part de ses inquiétudes sur l’expansion de Aqmi qui recruterait « de jeunes nomades désœuvrés ».
« Air Cocaine » : à l’heure où nous mettons sous presse, très peu d’informations sur le site de Wikileaks (inaccessible d’ailleurs sauf à partir de liens spéciaux) sur le fameux avion de Tarkint dont l’épave est découverte dans la Région de Gao en novembre 2009. Mais le télégramme se référant à cet avion qualifié de mystérieux dit ceci : Amadou Toumani Touré s’entretient avec William Ward de l’avion dont l’épave venait d’être découverte. Il lui dit que cet appareil a échoué au Mali avec «possiblement » de la drogue à bord.
Boutef-ATT. En recevant le même William Ward juste quelques jours avant le séjour malien de celui-ci, Bouteflika ne donne pas dans la demi-teinte. Il fustige ce qu’il considère être la duplicité malienne en matière de lutte antiterroriste et demande à l’Américain qui plaidait pour sa participation au sommet jamais tenu des chefs d’Etats sahélo-sahariens de dire à ATT « qu’il ne peut pas être l’ami des voleurs et de leurs victimes en même temps ». Quelques jours plus tard, ATT devant son hôte incrimine lui aussi l’Algérie qui lui semble vouloir d’une chose et de son contraire.
Blaise Compaoré : Ce chef d’Etat sahélien est évoqué pour sa mission de médiation en Guinée. Le télégramme n’est pas explicite mais il semble qu’après le 28 septembre le sort de Dadis était scellé. C’est l’ambassadrice américaine Patricia Moller qui se déplacera en France pour y rencontrer Stephan Gompetz le directeur Afrique du Quai d’Orsay. Le 3 décembre, Toumba tire sur Dadis. Compaoré jouera un rôle crucial dans la résolution de la crise guinéenne mais il ne va pas apprécier le contenu du télégramme qui dit qu’il a “des intérêts économiques personnels en Guinée (comme dans beaucoup d’autres pays), ce qui peut être un facteur dans sa prise de décision.”
Algérie-Polisario-Aqmi : Il semble que l’Algérie fait de moins en moins confiance au Polisario selon ces termes : « l’armée algérienne aurait plusieurs fois intercepté des éléments du Polisario en compagnie d’éléments d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) se livrant à de multiples trafics. Après la lecture de plusieurs câbles provenant de la capitale algérienne, les observateurs pensent que l’Algérie et plus particulièrement le président algérien Abdelaziz Bouteflika paraissent comme dépassés par les événements, cherchant bien à se débarrasser d’un problème qui est aujourd’hui sur le territoire algérien ».
Maroc-Algérie. Joyeusetés. Wikileaks consacre une bonne part de ses télégrammes à la relation algéro-marocaine. Ainsi dans un télégramme, voit-on le Maroc assurer que Aqmi c’est l’Etat algérien et dans un autre le States Department dire qu’il faut relativiser cette affirmation. Bouteflika ne sera pas très heureux, lui non plus, de découvrir le télégramme dans lequel il dit qu’il ne serrera plus jamais la main du roi Mohamed VI.
Adam Thiam