Le journal « Le Monde », dans sa parution du mardi dernier publie les révélations de Wikileaks concernant la lutte contre AQMI dans le Sahel. Et notre pays est éclaboussé. Pour les Américains comme pour les Français, le Mali est bien le talon d’Achille de cette lutte contre le terrorisme. Nous publions l’article de notre confrère français.
Des soldats maliens patrouillent dans la ville de Kidal, le 27 mai 2006.AFP/KAMBOU SIA
Le Mali est-il le bon élève de l’action anti-terroriste qu’il prétend être, ou pratique-t-il un double langage, ménageant les bailleurs de fonds occidentaux tout en fermant les yeux sur les activités d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) dans l’immense Sahara malien où sont retenus la plupart des otages ?
Le point de vue américain semble avoir évolué progressivement vers le doute à ce sujet. Longtemps, l’ambassadrice américaine à Bamako s’est fait l’ardente avocate du président Amadou Toumani Touré surnommé "ATT". "On peut compter sur lui, il a les troupes pour faire le travail", écrit Gillian Milovanovic au milieu de 2009.
La diplomate jure de la "bonne foi du président malien" et défend l’augmentation de l’aide américaine à ce pays immense et déshérité. Pourtant, à chaque entrevue avec le chef de l’Etat malien, elle recueille les mêmes promesses d’action non suivies d’effet. Comme le "sommet de Bamako", conférence des chefs d’Etat de la région qui n’a jamais eu lieu. Mali et Algérie se rejettent mutuellement la responsabilité de ce fiasco.
"HAUT DEGRÉ DE LAXISME"
"Les Algériens ne font pas grand-chose", se plaint "ATT " en novembre 2009. En écho, l’ambassadeur d’Algérie à Bamako déverse sa bile auprès de son homologue américaine un peu plus tard. Il dénonce "le haut degré de laxisme, pour ne pas dire de complicité" du Mali avec les terroristes, assurant que les islamistes sont parfois informés à l’avance des opérations menées contre eux.
L’ambassadrice américaine enregistre sans conviction cette "litanie de complaintes contre Bamako". Son analyse paraît nettement plus indulgente que celle des diplomates français. "Si le Mali ne commence pas à se montrer sérieux, les grands bailleurs de fonds internationaux devraient le menacer de couper leur aide", avertit en février 2010 l‘ambassadeur de France Michel Reveyrand de Menthon, alors qu’il se bat pour obtenir la libération de l’otage Pierre Camatte. Les Français semblent renvoyer Algérie et Mali dos à dos. "Les Algériens dédaignent le problème et refusent d’agir", estime de son côté Stéphane Gompertz, directeur de l’Afrique au Quai d’Orsay.
1 000 CARTOUCHES
Les Américains constatent parfaitement les difficultés des autorités maliennes à gérer l’aide militaire qu’ils leur fournissent. A la fin de 2009, l‘ambassadrice informe le président malien du fait que les produits – haricots, riz et carburant– achetés par les Etats-unis pour les besoins des troupes maliennes qu’ils entraînent "ont été saisis par les douanes et le ministère des finances". Sur le champ, le président ordonne la remise des denrées et de l’essence.
Dans le même registre, la diplomate américaine informe "ATT" qu’un avion transportant des blessés américains (suite à un atterrissage forcé) a été empêché de décoller pendant trois heures de l’aéroport de Bamako, sous prétexte que des taxes n’avaient pas été acquittées. "Mon Dieu !", s’exclame M. Toumani Touré avant de promettre une explication avec le ministre des transports.
La description, rapportée par un télégramme de décembre 2009, de la cérémonie marquant la fin d’une session d’entraînement de l’armée malienne par des instructeurs américains reflète la difficulté de l’exercice. Le capitaine responsable de cette formation indique que chaque soldat malien a tiré 1 000 cartouches pendant les cinq semaines d’exercices, soit autant qu’un soldat des forces spéciales américaines tire en un jour, et… "probablement plus que ce qu’un militaire malien aura utilisé tout au long de sa carrière ".
Les soldats maliens, eux, se disent satisfaits d’avoir appris à conduire un véhicule et à entretenir leurs armes. Ils figurent parmi les rares survivants d’une embuscade avec les islamistes.
L’échauffourée s’est achevée dans un bain de sang car l’unique soldat capable de conduire et de sauver ses camarades avait été tué. De même que le seul militaire formé à l’usage de la mitrailleuse qui aurait pu couvrir leur retraite.
Philippe Bernard (Le Monde du 07-12-2010)