Vu de Suisse : Édouard Philippe, l’homme qui fait trembler Macron

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Le Premier ministre français a déployé son talent de pédagogue durant la crise du Covid-19. Il a aussi incarné la puissance de l’administration. Seul dans son palais de l’Élysée, Emmanuel Macron a compris le danger, écrit le correspondant du Temps à Paris.

“Il ne faut pas ‘virer’ Édouard Philippe. Il faut le remplacer sans crise. S’il redevient maire du Havre après le second tour des municipales, l’occasion sera parfaite. Espérons juste qu’elles n’auront pas lieu trop tard…” L’homme qui nous parle ainsi a l’oreille de l’Élysée. Durant une heure, ce conseiller de l’ombre nous a plusieurs fois répété qu’il “échange tous les jours” avec le président. Soit. À l’entendre, le couperet est donc assuré de tomber sur le Premier ministre, au sortir de la crise du Covid-19.

En France, le président peut à tout moment révoquer le chef du gouvernement : “L’exemple à ne pas suivre est celui de Sarkozy, poursuit notre interlocuteur. Celui-ci s’est plombé en gardant François Fillon à la tête du gouvernement durant sa présidence, entre 2012 et 2017. Résultat : il a peu à peu perdu l’initiative. Sa force, qui était de tenir tête à l’administration, s’est émoussée devant la résistance de Matignon. Aujourd’hui, c’est le même scénario…”

“Il s’est persuadé que l’État, c’est lui”

Le feuilleton serait donc écrit. Il ne reste plus qu’à tourner l’épisode “Édouard Philippe, le départ”, sans que le divorce s’avère dommageable pour un Emmanuel Macron fragilisé par les critiques sur sa gestion de la plus grave crise sanitaire jamais traversée par la France. L’éditorialiste Alain Duhamel a détaillé l’inévitable rupture dans Libération“Le président aime le risque, le Premier ministre préfère la méthode. L’un choisit de s’exposer, l’autre préfère exposer. La hiérarchie est toujours respectée mais la décision n’en est pas moins partagée. Le président est créatif, voire téméraire, le Premier ministre est réaliste, voire vétilleux. Le confinement n’avait pas évité les couacs, le déconfinement relatif ne les évite pas plus.”

Avec une once de piment ajoutée au fil de l’état d’urgence sanitaire, proclamé le 23 mars : “La crise du Covid-19 a définitivement convaincu Édouard Philippe que Macron est mal entouré, complète un parlementaire de La République en marche (LREM), le parti majoritaire. Il s’est persuadé que l’État, c’est lui…”

Leur histoire n’a de toute façon rien de passionnel. Lorsqu’il comprend, au soir du premier tour de la présidentielle de mai 2017, qu’il a gagné la course à l’Élysée, Emmanuel Macron, alors âgé de 39 ans, a besoin d’un chef de gouvernement qui puisse cocher trois cases : celle de la compétence, celle du ralliement d’une partie de la droite, et celle de la rectitude, histoire de limiter les traîtrises ultérieures. Édouard Philippe, né en 1970, disciple en chef d’Alain Juppé dont il a dirigé la campagne pour la primaire perdue face à François Fillon, est supposé avoir ces qualités.

Banco. Et tant pis pour le renouvellement à la tête du pays, puisque tous deux sont diplômés de l’École nationale d’administration (Macron, inspecteur des finances, promotion Senghor 2002-2004 ; Philippe, conseiller d’État, promotion Marc Bloch 1995-1997). Même si, dans les faits, leurs tempéraments s’opposent : “Édouard Philippe a tout reçu. On lui a ‘donné’ la mairie du Havre, puis Matignon. Macron a tout conquis”, note un magistrat du Conseil d’État. Un sénateur LREM complète :

Le Premier ministre est un chef d’équipe. Il met tout le monde au carré. Le président, en vrai libéral, aime fédérer les initiatives individuelles. Au risque de la confusion…”

Philippe un rempart, Macron un assaillant

Ce que la crise du Covid a changé n’est pas le logiciel. Le tandem Macron-Philippe fonctionne. C’est leur système d’exploitation qui diverge aujourd’hui. Pour le président, l’urgence est de se réinventer à deux ans de la fin de son mandat. En jouant sur son empathie réelle, ses qualités d’écoute, sa conviction intacte que la France doit être transformée et sur la diabolisation du populisme de Marine Le Pen.

Pour son Premier ministre, commandant en chef contre le Covid-19, le seul boulevard politique ouvert est celui de l’efficacité, et de la cohésion de l’administration. “Philippe est un rempart. Macron un assaillant. C’est assez contradictoire”, notait, en mars, le politologue Frédéric Dabi, de l’institut IFOP. Ajout de Bernard Poignant, ex-conseiller de François Hollande : “L’entourage du Premier ministre tient toujours, en France, les rênes de l’État. C’est par lui que tout passe, même si la décision ultime ne lui appartient pas. Problème : Macron a réalisé, avec la crise du Covid, qu’il est en train de perdre les leviers de commande.”

Autre motif de friction : les ministres. Matignon les tient serrés. L’Élysée leur dit de “foncer” : “L’une des seules à résister à Édouard Philippe est la porte-parole Sibeth Ndiaye. Et on voit le résultat. Du grand n’importe quoi”, fulmine notre sénateur LREM.

Le Drian à Matignon ?

Mais qui pour remplacer ce si efficace – et jusque-là loyal – chef du gouvernement ? “Il faut quelqu’un positionné plus social et territoire, capable de diriger une large majorité, comme on le répète depuis deux ans. Quelqu’un de solide et d’authentique”, juge un député LREM dissident, membre du nouveau groupe parlementaire “Écologie, démocratie, solidarité” créé le 18 mai autour du mathématicien Cédric Villani et de Matthieu Orphelin, proche de l’ancien ministre Nicolas Hulot.

Un nom revient : celui du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. “Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, venu de la droite, n’apporterait rien. Et personne à gauche n’a le profil du second respecté dont Macron a besoin”, poursuit notre interlocuteur. Problème : Le Drian alias “Le Menhir”, taiseux breton de 72 ans, fait tout pour esquiver. L’ancien socialiste aurait en effet beaucoup à perdre : “Les coups vont pleuvoir d’ici à 2022, note un proche. Or même s’il fut ministre de la Défense, son blindage n’est pas à toute épreuve. Pire : lui aussi trouve souvent que l’Élysée, version Macron, est rempli d’amateurs.”

Richard Werly – Publié le 

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2 COMMENTAIRES

  1. il faut reformer la sème république.
    un roi en 2020, personne n’a besoin, comme un chef de gouvernement qui n’a pas de pouvoir de décision.
    idris debi et macky sall ont résolu le problème de 1er ministre.
    la constituions de 58 est une dictature sur mesure. un seul homme, même élu, ne peut pas à lui seul gérer un pays, ce qui est le cas sous la sème république (président épicentre de toute prise de décision).
    le monde a beaucoup évolué et appris, en conséquence, on peut mieux gérer les états de nos jours sans élections et représentations.
    les fonctionnaires, mieux payés, responsabilisés feront mieux.

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