Vu de l'étranger : les cent visages de Sarkozy

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"Cheval fougueux", "frère de sang", "touche-à-tout" ou "brillant", le président français irrite ou charme les dirigeants étrangers sans distinction de couleur politique.

 
Nicolas Sarkozy lors du sommet du G8 au Japon avec (de gauche à droite) le Premier ministre britannique Gordon Brown, le Premier ministre canadien Stephen Harper, le président des Etats-Unis George W. Bush, le président russe Dmitri Medvedev, le Premier ministre japonais Yasuo Fukuda, la chancelière allemande Angela Merkel, le président du Conseil italien Silvio Berlusconi et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso. AFP

Un an et demi après son arrivée à l’Élysée, l’image de Nicolas Sarkozy à l’étranger a changé. Son activisme invétéré, ses initiatives intempestives, son style direct, ses résultats surprenants ont fait dire que "La France [était] de retour". Pour le meilleur ou pour le pire, tant les prises de position du chef de l’État en épatent certains, en irritent d’autres, quelquefois les deux en même temps. Où en est-on à l’aube d’une nouvelle année qui verra Nicolas Sarkozy quitter une présidence européenne très porteuse pour lui, tant il a utilisé à fond la légitimité que lui donnait le leadership des Vingt-Sept pour agir ? Revue de détail.

Vu d’Afrique – Un soupçon de racisme

Le discours prononcé par Sarkozy à Dakar en juillet 2007 a laissé des traces délétères. L’ex-président du Mali, Oumar Konaré, confie en privé : "Le discours de Nicolas Sarkozy rappelle des déclarations fort anciennes, d’une autre époque. Je suis certain que le président souhaite la rupture. Il faut l’aider. Mais, pour cela, il a besoin de mieux connaître l’Afrique." Plus sévère encore, la réaction d’Abdoulaye Wade, président du Sénégal : "Il arrive qu’un président soit victime – passez-moi l’expression – de son nègre." Une allusion à l’auteur de la prose du chef de l’État, son conseiller Henri Guaino.

Vu d’Ankara – La Carlamania

Ce que les Turcs préfèrent chez Nicolas Sarkozy, c’est son épouse : "Elle est plus populaire que son mari", affirme le maire AKP de Gaziantep, dans le sud-est du pays, pour justifier qu’un portrait géant de Carla Bruni trône dans la "salle française" de son futur musée de la Guerre consacré à l’occupation de la ville par les Français en 1920. L’élite francophile d’Istanbul se lamente en revanche sur la distance prise par le Président avec la Turquie au sujet de son entrée dans l’Europe, alors que le chef de l’État est petit-fils d’un médecin de Salonique, Benedict Mallah, né citoyen ottoman. Cela n’a pas empêché Sarkozy et le Premier ministre Erdogan de se découvrir des points communs, lors de leur rencontre à Damas puis lors de la crise géorgienne.

Vu de Berlin – Le coup du mépris

Sarkozy agace et déconcerte en Allemagne. Pour Angela Merkel, il est à l’antipode de cette valeur qui constitue le socle de la politique allemande : la fiabilité. D’où une multitude de surnoms collés à Sarkozy sur l’autre rive du Rhin : "hyperprésident", "bulldozer", "touche-à-tout", "égomane", "assoiffé de pouvoir", "lapin Duracell". Résumé par un proche de la chancellerie : "C’est un énervé qui ne tient pas en place." Le ministre des Finances Peer Steinbrück ne le supporte pas : "Toutes les propositions faites au niveau européen par le président de l’UE aboutissent à ce que l’Allemagne paie." La dernière initiative contestée du Président – réunir à Londres un présommet à trois, sans l’Allemagne – a également arraché au ministre des Affaires étrangères un commentaire cinglant : "Ce n’est pas vraiment joli, joli."

Vu de Bruxelles – Un parlement un brin épaté

Témoignage de Martin Schulz, président du groupe socialiste au Parlement européen : "Sarkozy a fait beaucoup de bonnes choses. Il a été habile. Il a bien positionné l’Europe en Géorgie et lors de la crise financière. L’initiative du G20 était un coup intelligent. J’ai rencontré Poutine récemment : ce qui m’a frappé, c’est qu’il prenait soudain l’Europe au sérieux. Mais, parfois, Sarkozy se laisse emporter par son ego. Il a ainsi commis une erreur en faisant monter les dernières négociations sur le paquet climat au niveau du Conseil européen. C’était courir le risque du bloquage ou de l’affaiblissement du plan. Tout cela pour pouvoir dire C’est moi qui l’ai fait …"

Vu de La Haye – Un petit pays flatté

Le ministre délégué aux Affaires européennes des Pays-Bas, Frans Timmermans, social-démocrate, se montre élogieux : "Je suis impressionné par la manière dont la France a réussi à maintenir la cohérence de l’Union. En tant que vieux routier de l’Europe, j’ai de bien mauvais souvenirs de la manière dont la France a, dans le passé, eu du mal à distinguer entre l’intérêt national et l’intérêt collectif. Sarkozy a fait du bon travail. Il a cherché à trouver des solutions au niveau de l’Eurogroupe plutôt que du G4. C’était sage. En Géorgie, il a pris le risque d’y aller seul, sans mandat, et il a réussi. Cela restera un des moments les plus importants de sa présidence."

Vu de Jérusalem – L’embellie

Nicolas Sarkozy a la cote en Israël. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien affirme que, même lorsque le président français demande le gel de la colonisation, la confiance demeure : "Lorsque l’amitié est présente, affichée, authentique, c’est elle qui prévaut. Au-delà, on peut avoir des opinions, cela ne change rien sur le fond des choses." Plus étonnant, la réaction des Palestiniens. Pour eux aussi, Sarko est "formidable" : "Je ne pourrai jamais oublier son discours à la Knesset, sans précédent. Il a été direct et clair", confie le secrétaire général de l’OLP, Yasser Abed Rabbo. Du nouveau pour la France au Moyen-Orient.

Vu de Londres – L’entente sceptique

Outre-Manche, Nicolas Sarkozy est percu comme libéral, modernisateur, anglophile et pro-américain. Il bénéficie d’une image bien plus positive que ses prédécesseurs : "Les relations franco-britanniques se sont nettement améliorées en comparaison avec les années Chirac", affirme Alastair Campbell, ancien dircom de Tony Blair. Par ailleurs, la réelle amitié qui lie le Président à Gordon Brown ne cesse de surprendre les Britanniques. Cela n’empêche pas les jugements de se nuancer avec les mois. Un sentiment exprimé par Denis MacShane, député travailliste et ancien ministre aux Affaires européennes de Blair : "Son franc-parler est apprécié outre-Manche mais, sur le fond, sa politique semble aller tous azimuts. On ne comprend pas avec quelle boussole et selon quel cap il mène la France." Preuves encore à faire.

Vu de Moscou – Un certain réchauffement

Les relations franco-russes se sont rechauffées depuis le temps où Sarkozy affirmait qu’il ne comprenait pas pourquoi Chirac serrait la main de Poutine. Aujourd’hui, la realpolitik l’a emporté, rendant le chef de l’État plus compréhensif à l’égard des préoccupations de "l’Ours". Ce qui n’empêche pas les leaders russes d’ironiser sur le Président, qui a réussi à imposer à l’arraché un accord de paix en Géorgie. Le 16 novembre, Medvedev, le président russe, a stupéfié un auditoire à Washington en se livrant à une imitation de son homologue français. Agitant ses épaules, il a moqué l’émotion de Sarko. Poutine, lui, s’est réjoui un peu vite d’entendre le Français parler du "régime de Saakachvili" : "On a une base pour poursuivre le dialogue avec nos amis européens", a-t-il affirmé, avant qu’on lui explique que le sens du mot "régime" était neutre en français… Une double méprise ?

Vu de Pékin – Le refroidissement

Inutile d’expliquer pourquoi les relations se sont détériorées : les JO et le dalaï-lama sont passés par là. Un proche du pouvoir chinois va plus loin : "Sarkozy devrait tenir compte de l’importance de la Chine au lieu de la repousser. Votre président voudrait dominer l’Europe, devenir le réformateur du système financier international et ébranler le leadership des États-Unis. Mais la Chine considère qu’elle est la seule puissance aujourd’hui à pouvoir tenir tête aux États-Unis." Les Chinois sont aussi très critiques sur les "frasques" du Président. Un ministre confie : "Il s’est remarié un peu trop vite et a trop exhibé sa vie privée. Ce n’est pas digne d’un chef d’État, qui doit conserver un peu de mystère autour de lui pour qu’on le respecte. Et puis, que de versatilité en politique ! Il doit acquérir un peu de maturité."

Vu de Rome – Un ami de vingt ans

Silvio Berlusconi ne manque jamais de rappeler ses liens anciens avec Sarkozy : "Il a été mon avocat à Paris à l’époque de La Cinq et nous sommes très amis. C’est à moi qu’il a téléphoné en premier après son élection." L’amitié résiste à tout : aux déclarations de Carla à la suite des plaisanteries de Berlusconi sur le bronzage d’Obama, comme à l’ombre que fait Sarkozy à celui qui se prend pour le "grand sage de l’Europe". Les autres leaders sont également sous le charme. Gianfranco Fini, le président de la Chambre des députés, aime être qualifié de "Sarkozy italien". Et l’ancien candidat de gauche à la présidence du Conseil Francesco Rutelli ne tarit pas d’éloges non plus.

Vu de Riyad – Un regard paternel

Le roi d’Arabie saoudite, Abdallah, 84 ans, a rendu une visite à Sarkozy en juillet 2007 pour satisfaire à sa curiosité : était-il aussi pro-israélien que le laissait penser sa réputation ? Abdallah, plutôt rassuré, dira tout de même à un de ses interlocuteurs en parlant de Sarkozy : "C’est un cheval fougueux qui n’a pas encore connu l’épreuve des rênes." Ce qui vaudra au roi d’être ainsi salué par le président français quelques mois plus tard à Riyad : "Cheval fougueux est heureux de voir son grand ami si sage." Tant qu’il y a de l’humour…

Vu de Washington – Une sarkomania un peu retombée

Le Président a rétabli des liens de confiance avec les États-Unis, au point d’être encensé par les pires pourfendeurs de l’Hexagone, souvent des conservateurs. Mitt Romney, ex-candidat à la présidence, parle de Sarko comme d’un "frère de sang". Newt Gingrich, ténor républicain, le juge "brillant". Mais Bush a été agacé par l’attitude de son ami en Géorgie comme au sujet du système antimissile et de l’organisation du G20. Et Obama, qui avait été reçu en grande pompe à l’Élysée lorsqu’il était candidat et qui avait qualifié Sarko d’ "homme énergique, avec beaucoup de talent", ne l’a pas vu depuis sa victoire du 4 novembre. Malgré tous les efforts du dirigeant français.

Publié le 26/12/2008 à 13:39 _ Le Point.fr

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