Où en est vraiment la démocratie en Afrique ?

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De supporteurs du président gambien élu Adama Barrow célèbrent la prestation de serment qui a eu lieu à l'ambassade de Gambie à Dakar le 19 janvier 2017.
De supporteurs du président gambien élu Adama Barrow célèbrent la prestation de serment qui a eu lieu à l'ambassade de Gambie à Dakar le 19 janvier 2017. © MOUSSA SOW / MOUSSA SOW / AFP

CHRONIQUE. D’une présidentielle à une autre, l’Afrique expérimente combien le chemin vers la démocratie est semé d’embûches. Illustration.

En deux années (2015 et 2016), la moitié du continent devait se rendre aux urnes pour élire ou réélire pas moins de 27 présidents sur les 54 États officiellement reconnus. Et force est de constater que 25 consultations ont bel et bien eu lieu dans ce créneau calendaire. Bel et bien n’est pas tout à fait l’expression adéquate, et nous avions eu l’occasion de faire le point sur ce sujet aux trois quarts du parcours, en juillet 2016, alors qu’il ne restait que sept scrutins à organiser.

À partir des critères de crédibilité que nous avions retenus, l’année 2015 avait réservé une heureuse surprise : le Nigeria qui, avec ses 68 millions d’électeurs et son territoire peu sécurisé, avait réussi une alternance incontestable et incontestée. À la charnière de 2015 et 2016, le Burkina Faso et la Centrafrique avaient donné la preuve que les citoyens comptent encore beaucoup sur des élections pour sortir d’une crise.

Au contraire, plusieurs pays avaient transgressé une ou plusieurs des règles de bonne conduite démocratique : le Tchad et le Congo Brazzaville, notamment en coupant les communications internet pour empêcher les comptages parallèles, ou le Niger pour avoir probablement « joué » avec le fichier électoral. Comme – malheureusement – prévu, le Soudan, Djibouti et la Guinée équatoriale sont restés hors des clous d’un processus démocratique crédible. Quant au Burundi, il a tristement illustré la tendance récurrente des autocrates à se pérenniser au pouvoir en s’arrangeant avec leur Constitution.

Des élections, des désillusions aussi

Au second semestre 2016, plusieurs échéances étaient donc programmées, aux enjeux variables. En Zambie et au Cap-Vert, les scrutins se sont déroulés normalement et les présidents sortants ont été reconduits. Dans le cas zambien où le résultat était serré, l’opposition a contesté le verdict, mais sans preuves ni véritable conviction. En fait, la plupart des regards étaient tournés vers le Gabon, où Ali Bongo, le président sortant, semblait davantage menacé que lors du scrutin précédent en raison d’une candidature quasiment unitaire de l’opposition. Or, l’élection au Gabon se déroule en un seul tour et celui qui arrive en tête a gagné.

On se souvient que le pouvoir en place a (bien que tardivement) coupé les réseaux internet au moment des opérations électorales et des comptages, à partir du 27 août 2016. Apparemment, il a aussi manipulé les chiffres dans la province d’origine du sortant, le Haut-Ogooué. Et Ali Bongo a officiellement battu de quelques milliers de voix son challenger Jean Ping, qui continue à contester les résultats mais sans être entendu. La communauté internationale semble d’ailleurs s’être résignée.

En Gambie, c’est contre toute attente que l’autocrate Yahya Jammeh a été non seulement battu lors de l’élection du 1er décembre 2016 mais a reconnu sa défaite dans l’instant. La bonne surprise a malheureusement été de courte durée, et le dictateur schizophrène a rapidement changé d’avis, ouvrant une grave crise postélectorale qui ne s’est achevée que sous la menace d’une intervention armée de la Cédéao. Finalement, l’alternance à laquelle personne ne croyait, y compris le nouveau chef de l’État Adama Barrow, s’est réalisée le 21 janvier 2017. Le dictateur a été exilé hors de son pays et a trouvé refuge en Guinée équatoriale, où le chef de l’État Obiang Nguéma règne sans partage depuis 38 ans et vient d’être réélu avec 93,7 % des suffrages exprimés.

Au terme de ces deux années, la carte actualisée s’affiche donc comme suit. On rappelle que la distinction entre élections « considérées comme crédibles » et élections « dont la crédibilité est douteuse » repose sur plusieurs critères énoncés précédemment, et que les nuances de vert ou de rouge sont proportionnelles au nombre de suffrages obtenus par l’élu par rapport aux inscrits, de manière à accentuer le poids de la légitimité ou de l’illégitimité.

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D’un pays à un autre, entre ratés et inquiétudes…

Mais le compte n’y est pas tout à fait, car plusieurs élections programmées en 2016 n’ont pas eu lieu. En Somalie d’abord, où le processus électoral est compliqué puisque le président est élu par un collège électoral composé de 54 sénateurs et 275 députés (eux-mêmes désignés, de manière plus ou moins honnête, par 14 000 délégués des tribus). Ce collège n’étant toujours pas complet, l’élection présidentielle a été reportée de mois en mois et n’aura lieu qu’en 2017.

Le paradoxe viendra peut-être de l’organisation, dans le même temps (27 mars 2017) d’un nouveau scrutin présidentiel dans l’État voisin du Somaliland, qui en sera à sa quatrième consultation de ce type depuis la proclamation de son indépendance en 1991, et qui connaîtra peut-être une nouvelle alternance démocratique. Malheureusement, le Somaliland n’existe pas puisqu’il n’est pas reconnu par la communauté internationale.

La RDC

Mais l’attente la plus vive se situera en République Démocratique du Congo (RDC). On pressentait depuis des mois que le scrutin présidentiel prévu constitutionnellement avant le 19 décembre 2016, date de la fin du dernier mandat de Joseph Kabila, aurait du mal à être organisé faute d’un fichier électoral non remis à jour, et difficile à actualiser dans un pays très vaste dont le pouvoir central ne contrôle plus qu’une petite partie. Simple prétexte sans doute, mais incontournable du point de vue de la légitimité démocratique. Des négociations ont donc été entreprises sous l’égide de l’Église congolaise pour préparer une transition devant conduire à ces élections avant la fin de 2017. Mais les équilibres politiques restent fragiles, et la rue peut à tout moment mettre le feu au pays.

Rwanda, Kenya, Angola

Outre la RD Congo, plusieurs pays connaîtront à leur tour une échéance présidentielle en 2017. Au Rwanda (4 août 2017), on suivra une élection sans surprise puisque le sortant Paul Kagamé s’est taillé une Constitution sur mesure pour se maintenir longtemps au pouvoir. On notera, d’ailleurs, que la communauté internationale et de nombreux chercheurs s’en sont facilement accommodés au motif que l’autocrate était garant d’une grande stabilité politique favorable à une assez belle réussite économique.

Quelques jours plus tard, les enjeux seront plus sensibles au Kenya (8 août 2017) où des tensions sont réapparues au cours des derniers mois, sur fond de mécontentement social et de risques de cristallisation ethno-régionale. Le souvenir de l’année 2008 où le président sortant (Mvaï Kibaki), pourtant battu dans les urnes, était resté au pouvoir en « accordant » au candidat vainqueur (Raila Odinga) le poste de Premier ministre est resté en mémoire. Cette formule, également retenue au Zimbabwe la même année, avait failli faire jurisprudence en 2010 en Côte d’Ivoire, et a même effleuré certains esprits en Gambie en janvier 2017…

Entre temps (août 2017), l’Angola, où le président est élu au suffrage indirect, aura peut-être tourné une page importante de son histoire puisque José Eduardo Dos Santos aura atteint la fin des mandats auxquels lui donne droit la Constitution, en même temps qu’un âge avancé (75 ans). Il a d’ailleurs laissé entendre qu’il se retirerait, mais la démarche lui sera sans doute douloureuse après 38 années de pouvoir.

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L’ex-président Yahya Jammeh au moment de son départ vers la Guinée équatoriale le 21 janvier 2017. © STRINGER STRINGER / AFP

Liberia, Sierra Leone, Sénégal

Deux pays affaiblis par Ebola seront également concernés par une échéance présidentielle en 2017. Le Liberia (10 octobre 2017) connaîtra même forcément une alternance puisque Ellen Johnson-Sirleaf a accompli ses deux mandats. En Sierra Leone, Ernest Bai Koroma sera, lui aussi, touché par la limitation des mandats, mais la date du scrutin n’a pas encore été fixée avec précision (entre novembre 2017 et février 2018).

Le Sénégal aurait pu figurer dans cette programmation 2017. Encore eût-il fallu que le président Macky Sall respecte sa promesse de campagne de faire passer la durée du mandat de 7 à 5 ans. N’ayant pu faire admettre par le Conseil constitutionnel la rétroactivité de cette mesure, il attendra 2019.

Voilà donc une trentaine de pays, représentant environ 660 millions d’habitants et près de 210 millions d’électeurs, qui auront en trois ans participé à un processus électoral destiné à désigner leur chef d’État. Les écarts par rapport à l’orthodoxie démocratique restent encore marqués, puisque 11 pays – soit 180 millions d’habitants, et plus d’un quart de l’électorat concerné – sont en rouge sur notre carte. Mais les progrès sont manifestes, notamment grâce au contrôle exercé par les sociétés civiles et la communauté internationale. Bien que cette dernière ne soit pas toujours constante dans ses principes.

* Chercheur au LAM (Sciences Po Bordeaux), professeur émérite de géographie politique, université Bordeaux-Montaigne.

Publié le 01/02/2017 à 13:11 | Le Point Afrique

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