Turquie : feu de critiques après l’arrestation de deux journalistes

Les protestations pleuvent depuis l’arrestation de deux journalistes réputés du quotidien de gauche Cumhuriyet (Républicain), poursuivis pour espionnage et appartenance à une organisation terroriste.

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C’est le même scénario qui se reproduit depuis maintenant plusieurs mois. Des journalistes sont envoyés en prison, des déclarations d’indignation s’ensuivent et le discours des autorités ne change pas d’un iota.

Alors que Can Dündar et Erdem Gül, respectivement rédacteur en chef et correspondant à Ankara du quotidien Cumhuriyet (écoulé à 50 000 exemplaires par jour), ont été placés en détention pour avoir publié des informations sur les livraisons d’armes de la Turquie en Syrie, le parquet général d’Istanbul s’est fendu d’un communiqué aseptisé : «l’arrestation de [ces deux journalistes] n’a aucun lien avec la liberté de la presse et aucune atteinte aux droits et libertés individuels n’a été relevée».

Officiellement, ils sont poursuivis pour «aide à une organisation terroriste, espionnage politique et militaire, et révélation d’informations devant rester secrètes».

«Nous sommes des journalistes, pas des fonctionnaires de l’Etat»

Celui qui a précisément écrit une thèse de doctorat sur les secrets d’Etat et le journalisme risque la prison à perpétuité. «Nous sommes des journalistes, pas des fonctionnaires chargés de celer des secrets», répète sans relâche Can Dündar, qui a fait de la phrase attribuée à George Orwell, sa devise : «le journalisme, c’est publier quelque chose que quelqu’un ne veut pas voir publié. Tout le reste relève de la communication».

«Notre rôle est de révéler les mensonges de l’Etat. Notre information est correcte. Je ne suis ni espion, ni traître, ni membre d’une organisation terroriste. Un espion ne divulgue pas les informations qu’il obtient», a-t-il déclaré dans sa défense avant de poursuivre : «M. Erdogan a dit hier “peu importe que ces camions aient transféré ou non des armes”. Il a donc confessé et a confirmé notre information. Et moi je dis alors “peu importe que nous ayons publié cette information”».

Le journal Cumhuriyet venait de recevoir le prix 2015 de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières (RSF). Lors de la cérémonie, Can Dündar déclarait : «Mon bureau a deux fenêtres : l’une donne sur un cimetière, l’autre sur le palais de justice. Ce sont les lieux les plus visités par les journalistes turcs».

Les organisations internationales affichent leur solidarité

«Il y a une semaine, Can Dündar était avec nous à Strasbourg pour recevoir le Prix 2015 pour la liberté de la presse de RSF et TV5 Monde», a rappelé Christophe Deloire, secrétaire général de l’organisation. «Le président turc Erdogan avait personnellement porté plainte contre Can Dündar et avait publiquement promis qu’’il ne s’en sortira[it] pas comme cela’», a-t-il ajouté.

 

RSF a lancé une pétition pour la libération des journalistes en appelant l’Union européenne à ériger clairement lors du sommet UE/Turquie du 29 novembre le respect de la liberté de la presse comme une condition préalable à l’approfondissement des relations bilatérales.

Dans la journée, Maja Kocijancic, porte-parole de l’UE pour les affaires étrangères, avait fait savoir que l’Union «sui[vai]t de près une situation inquiétante». «La liberté d’expression est l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne», a-t-elle rappelé.

L’ambassadeur des Etats-Unis à Ankara, John Bass, a fait apparaître un fond noir sur son compte Instagram en écrivant : «Profondément préoccupé de voir de nouvelles voix de la presse indépendante en Turquie réduites au silence».

Ebru Africa Mali

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