Militaires au pouvoir et meneurs de la contestation ont scellé samedi un accord historique ouvrant la voie à un transfert du pouvoir aux civils.
Après des mois de protestations populaires, l’accord sur la transition démocratique au Soudan a été signé samedi 17 août à Khartoum, sur les bords du Nil. Par cette signature, Mohammed Hamdan Daglo, numéro deux du Conseil militaire, et Ahmed Al-Rabie, représentant de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC) et fer de lance de la contestation, ouvrent ainsi la voie à un transfert du pouvoir aux civils.
L’accord a été négocié pendant deux jours au début d’août, annonçant la fin de près de huit mois d’un mouvement inédit de contestation, qui a mené, le 11 avril, à la chute du président Omar Al-Bachir. Ce dernier est resté trente ans au pouvoir, avant de se retourner contre les généraux du Conseil militaire de transition, qui a pris sa succession.
Conclu à la faveur d’une médiation de l’Ethiopie et de l’Union africaine, cet accord a été accueilli avec soulagement des deux côtés ; les manifestants célébrant la victoire de leur « révolution » et les généraux s’attribuant le mérite d’avoir évité une guerre civile. Si la voie vers la démocratie risque d’être encore longue, l’humeur est toutefois à la célébration dans la capitale, où des dignitaires étrangers et des milliers de Soudanais affluaient dès vendredi pour l’occasion.
A Atbara, une ville du centre du pays où ont eu lieu les premiers rassemblements contre la décision du gouvernement de tripler le prix du pain le 19 décembre, certains dansaient et chantaient sur les quais de la gare avant de partir pour Khartoum, selon des images postées sur les réseaux sociaux. « Pouvoir civil ! », ont-ils scandé, promettant de venger ceux qui ont péri dans la répression des manifestations.
Abdallah Hamdok désigné premier ministre d’un pays exsangue
Les premières étapes de la transition devraient suivre la signature avec l’annonce dimanche de la composition du Conseil souverain en majorité constitué de civils (6, contre 5 militaires) qui doit mener la transition. Jeudi 15 août, l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), le fer de lance de la contestation, a désigné Abdallah Hamdok, un ex-économiste de l’Organisation des Nations unies (ONU), pour devenir premier ministre. Le Conseil souverain doit annoncer mardi s’il le confirme à ce poste. M. Hamdok aura alors la lourde tâche de relever l’économie du pays qui s’est écroulée après que la sécession du Sud en 2011, la privant des trois quarts de ses réserves de pétrole. Inflation et pénuries ont été des moteurs de la contestation.
Des élections sont prévues pour 2022, mais beaucoup de Soudanais doutent d’ores et déjà des capacités des institutions de transition à limiter le pouvoir de l’élite militaire. S’ils sont minoritaires au sein du Conseil souverain (11 membres) qui doit gouverner 40 millions de Soudanais, celui-ci sera d’abord dirigé par un général pendant vingt et un mois. Et les ministres de l’intérieur et de la défense seront choisis par les militaires.
« Les dynamiques politiques auront plus d’importance que des bouts de papier », affirme Rosalind Marsden, du groupe de réflexion Chatham House établi à Londres. « Le plus gros défi du gouvernement sera le démantèlement des [entités informelles]islamistes qui ont pris le contrôle de toutes les institutions de l’Etat et des secteurs-clés de l’économie », ajoute-t-elle.
L’une des premières conséquences de l’accord en matière diplomatique devrait être la levée de la suspension en juin du Soudan de l’Union africaine. Le général Mohammed Ali Ibrahim, membre du Conseil militaire de transition, a dit vendredi que la signature « rouvrirait la porte aux relations internationales du Soudan ».
Mais au sein du mouvement de contestation certains affirment que l’accord n’est pas suffisant pour contrecarrer le pouvoir des militaires et garantir que justice soit aussi faite pour les quelque 250 personnes qui sont mortes lors des manifestations selon un comité de médecins proche des protestataires. Les grands absents de la cérémonie de signature seront les groupes rebelles des régions marginalisées du Darfour, du Nil Bleu et du Kordofan.
Le Front révolutionnaire soudanais, qui réunit ces groupes, a soutenu la contestation mais a rejeté la déclaration constitutionnelle de l’accord, exigeant de participer au gouvernement et davantage de garanties concernant le processus de paix les concernant.
Source: https://www.lemonde.fr