Le conflit indépendantiste de Casamance, dans le sud du Sénégal, a trente ans: en dépit de plusieurs accords de paix, il a fait des milliers de victimes et dévasté l’économie d’une région à fort potentiel agricole et touristique.
La récente libération de soldats sénégalais retenus en otages pendant un an par une des branches de la rébellion du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), ainsi que la suspension presque totale des hostilités depuis plusieurs mois, font toutefois renaître l’espoir d’un retour à la paix.
Tout a commencé le 26 décembre 1982 à Ziguinchor, ville principale de Casamance, lors d’une marche du MFDC réprimée par les forces de l’ordre.
Elle visait à dénoncer pêle-mêle la “confiscation des terres” au profit de populations du nord du Sénégal et de groupes hôteliers, les brimades de l’administration, le “mépris culturel” des “Nordistes” à l’égard des Casamançais, rappelle l’indépendantiste Ansoumana Badji.
A la veille des 30 ans de cette marche, “il y a un espoir de paix”, note avec satisfaction un haut responsable militaire sénégalais sous couvert d’anonymat. “Depuis presque un an, il n’y pas de confrontation majeure” entre l’armée et les maquisards, grâce à des “initiatives politiques” pour la paix, ajoute-t-il.
Le conflit a vu passer deux présidents, Abdou Diouf (1980-2000) et Abdoulaye Wade (2000-2012), qui ont signé plusieurs accords de paix restés lettre morte, dont le dernier remonte à décembre 2004.
Le nouveau chef de l’Etat, Macky Sall, élu en mars, a affirmé que le retour à la paix en Casamance était l’une de ses priorités. Il a tendu la main aux rebelles, se disant prêt à négocier n’importe où avec eux, “même sur Mars”.
Aujourd’hui, “la situation est globalement sous contrôle de l’Etat. La rébellion peut encore infliger des pertes à l’armée, mais elle est affaiblie sur les plans militaire et politique. Elle a depuis longtemps perdu une grande partie des soutiens qu’elle avait dans la population”, affirme à l’AFP le chercheur français Jean-Claude Marut, auteur d’un livre de référence sur le conflit.
Médiation de Sant’Egidio
La libération, le 9 décembre, de huit otages dont des militaires détenus depuis un an, a renforcé le sentiment que la paix pouvait revenir.
Ils étaient retenus par Salif Sadio, présenté comme le plus radical des chefs militaires du MFDC, divisé en plusieurs factions politiques et militaires depuis la mort en 2007 de son dirigeant historique Augustin Diamacoune.
“C’est la première fois que Salif Sadio pose un acte de cette envergure dans la marche vers la paix”, estime le journaliste Amadou Mbaye Loum, spécialiste de la Casamance.
Ces libérations ont été obtenues grâce à une médiation de Sant’Egidio, communauté catholique basée à Rome qui a réussi plusieurs médiations en Afrique, et avec l’appui de la Gambie. Ce pays enclavé dans le sud du Sénégal (hormis sa façade Atlantique), tout comme la Guinée-Bissau voisine, a servi de base de repli aux rebelles.
Le MFDC s’est appuyé sur la Gambie et la Guinée-Bissau qui ont “instrumentalisé la rébellion casamançaise comme moyen de pression sur Dakar: les rebelles ont trouvé dans chacun de ces pays une base arrière et des facilités de ravitaillement en armes”, selon M. Marut.
Il estime que les groupes autres que celui de Salif Sadio “ont peur d’être marginalisés et risquent de faire monter les enchères pour entrer dans le processus de négociations. Ils peuvent essayer de saboter ce processus”.
“La réconciliation entre les indépendantistes est importante pour que tous parlent d’une même voix”, estime aussi Robert Sagna, ancien ministre impliqué dans le processus de paix.
Sous l’égide de Sant’Egidio, des pourparlers entre Dakar et le MFDC ont eu lieu les 13 et 14 octobre à Rome, les premiers depuis 2009.
Le conflit a fait des milliers de victimes, civils et militaires, mais aucun bilan officiel n’a été publié.
Il a mis à genoux l’économie de la région, affirme Mamadou Diombera, enseignant à l’Université de Ziguinchor. Le nombre de touristes est passé, de 75.000 par an entre 1975 et 1980 à 22.000 actuellement.
Les nombreuses rizières, les vergers et champs cultivés de Casamance ont été abandonnés par les paysans victimes de l’insécurité née du conflit.