Un Premier ministre presque aphone, qui s’est replié dans sa tour du building administratif, écarté du dispositif, un ministre de l’Économie et des finances, déjà essoufflé dans ses calculettes… l’opération de levée de fonds, prévue les 24 et 25 février par le Sénégal devant le Groupe consultatif Paris, sera-t-elle un franc succès ou un ballon de baudruche ? Décryptage.
Le gouvernement sénégalais s’exporte sur la paisible avenue Iéna (16e arrondissement parisien). À moins d’une dizaine de jours de la très attendue table ronde avec le pool de bailleurs de fonds, sujet d’attraction pour les milieux politiques et financiers, une quinzaine de ministres, une trentaine de chefs d’entreprise et de hauts responsables du secteur privé devront faire le déplacement de Paris. Coup d’éclat ! coup de théâtre ! entre les deux symphonies, une vaincra l’autre et fera tilt. Le président Macky Sall himself, compte tenu de la dimension internationale de son grand oral, a décidé de jouer sur la grosse timbale, afin de mobiliser les ressources financières nécessaires au développement du Sénégal. L’homme fort de Dakar sait que son passage devant les bailleurs est loin d’être une sinécure. Lui-même avait joué sa partition dans les précédentes tables rondes sous l’ère Wade. L’échec de ce raout avec les bailleurs (partenaires financiers et organismes bilatéraux et multilatéraux) lui serait fatal pour la conduite des affaires de la République. À moins de dix jours de la réunion gouvernement-Groupe consultatif sur les Bords de la Seine, on s’affaire aux derniers réglages.
Tout l’establishment s’essaye à mettre du blé dans le moulin avant de l’égrener. En route pour Paris, le gouvernement qui est à la recherche de plus de 2 500 milliards de f CFA semble donner l’impression de bien tenir les cartes en main. Rien n’est acquis d’avance et la bataille de séduction ne sera pas un gâteau sur la cerise. Jeudi 13 février, dans un somptueux palace dakarois, la cellule de coordination du Plan Sénégal Emergent (task-force mixte) en appoint au gouvernement a opéré son ultime casting avant le jour J. Un brainstorming croisé de haut niveau au finish qui a permis aux uns et aux autres de requinquer les troupes.
Communication désarticulée à tête de chéquier
La réunion gouvernement-Groupe consultatif de Paris, avant la lettre, fait les frais de l’averse d’une communication hypertrophiée, désarticulée et impertinente entre ses principaux pôles mis à contribution (ministère des Finances et cabinet du conseil drivé par l’ancien argentier, le banquier Amadou Kane). En clair, les plans de communication et les stratégies concoctées pour les besoins de ce grand raout de Paris manquent de mordant. La mayonnaise peine à prendre et ses animateurs aux mains inexpertes, ergote-t-on, n’ont au finish pu apporter de la valeur ajoutée à l’information financière dont a besoin le gratin économique.
Aussi bien au ministère des Finances et de l’économie que dans les missions économiques étrangères, en passant par le cabinet du banquier Amadou Kane, la communication flotte et reste sous-évaluée face au poids de l’événement. De plus en plus, on s’aperçoit que le gouvernement sénégalais et sa task-force mixte n’ont pas dans leurs rangs des gourous, des éminences grises, des lobbyistes chevronnés qui ont une masse critique pour faire bouger les lignes. Une des fausses notes du dispositif médiatique du PSE, pour lequel la com stratégique n’a pas produit, pour l’instant, des effets concrets en termes d’attractivité auprès des décideurs économiques et financiers. Certes le président Macky Sall, qui s’est taillé les habits de chef d’orchestre dans cette opération sur les Bords de la Seine, va mettre les bouchées doubles pour sauver les meubles. A priori, sa participation donne une tonalité aux discussions avec les partenaires financiers. À l’opposé du casting de l’État sénégalais, les gouvernements de Côte d’Ivoire, du Niger et du Tchad, qui ont réussi leur grand oral au Groupe consultatif avaient dans leurs rangs des têtes fortes, des ministres capés, dont certains étaient habitués aux road-shows sur les grandes places financières.
La Côte d’Ivoire a son Daniel Kablan et Koffi Deby, le Niger a son Gilles Baillet (ministre des Finances) et le grand lobbyiste de la finance, l’un des plus capés de l’establishment financier du pays, Amadou Cissé, ministre du Plan, et non des moindres le Tchad s’était adossé sur le tandem Kordje Bedoumra et Atteib Doutoum, pour la levée des fonds. Les ministres Amadou Ba et Mouhamadou Makhtar Cissé, le tandem sur qui compte s’adosser le président Sall manque d’un carnet d’adresses fourni. À la différence des ministres des Finances et du Budget des autres pays cités qui ont réussi avec brio leur table ronde de Paris les deux années passées. Quid de la galaxie et Connexion PSE (Plan Sénégal Emergent) ? Selon des sources bien informées, même si le réseautage a péché, le dispositif ne manque pas d’hommes compétents, fins connaisseurs de la finance, dont entre autres le jeune et discret banquier Amadou Hott, PCA de Aibd, qui est un produit de la haute finance, Serigne Diop Gueye, un cadre de haut niveau, directeur du Centre de recherche de Nestlé à Abidjan, qui a mis à contribution son expertise dans le domaine de l’agro-business et de la formation professionnelle, l’entrepreneur Diagna Ndiaye. La Banque atlantique, à dix jours du Groupe consultatif, a déjà déboursé sa contribution d’un montant de 250 milliards f CFA pour appuyer le PSE, d’autres partenaires financiers et organismes devront suivre lors des discussions des 24 et 25 février à Paris.
Des institutions internationales de financement et de développement, comme la BID, la Banque mondiale, la BAD, l’AFD, l’Uemoa, la Boad, la Badea, ont donné leur accord de participation à la table ronde. Le président Macky Sall qui a réussi l’onction du chef de l’État français, François Hollande, porte désormais le lourd défi des urgences sociales et économiques qui devra nécessiter des investissements financiers massifs. Tout dépendra des contenus des plaidoyers et des communications qui seront présentés durant les consultations de deux jours. L’ambition en est une chose, mais l’État sénégalais a-t-il les moyens de ses ambitions et les hommes d’un temps précieux pour mettre en musique tout le dispositif ? Sinon, ce serait un énorme gâchis, un trou dans la serrure du Plan Sénégal Emergent, tant vanté par les gourous du régime Macky Sall.
PAR ISMAEL AIDARA
(Article publié dans le magazine Les Afriques n°273, paru jeudi 20 février)