Les présidents français et ivoiriens se connaissent depuis plus de vingt ans. Sur Le Post, deux spécialistes de l’Afrique expliquent en quoi cette proximité a pu avoir une influence politique.
Nicolas Sarkozy et Alassane Ouattara sont des amis de longue date. Depuis plus de vingt ans. Les deux hommes, qui ont eu un entretien téléphonique lundi soir, s’apprécient et ne s’en cachent pas.
“C’est mon ami”, confiait le président français en juin 2010 dans les coulisses du sommet France-Afrique de Nice.
“Lui et moi sommes d’abord des amis. Et nous l’étions bien avant cette crise. Quand je passe à Paris, je vais le voir. A vrai dire, si j’ai cinq ou six vrais amis dans le monde, il en fait partie”, déclarait à son tour le président ivoirien à L’Express en janvier dernier.
Alassane Ouattara a confirmé cette amitié “de longue date” le même mois sur Canal +, revendiquant par la même occasion des liens amicaux avec Dominique Strauss-kahn et Laurent Fabius, noués quand il était n°2 du FMI de 1994 à 1999.
Après que la France a oeuvré à l’arrestation de Laurent Gbagbo, cette “amitié” entre les deux hommes d’Etat “donne de l’eau au moulin” des partisans de l’ancien président, explique au Post Gilles Labarthe, auteur de “Sarko l’africain” (Hugo & Cie). Cela permet en effet à ces derniers de présenter Ouattara comme le “candidat de Paris, et d’affirmer qu’il a été installé au pouvoir par l’ancienne puissance coloniale. De quoi aussi relancer le procès en ingérence de la France en Afrique (Lire l’article: Côte d’Ivoire : “La France se retrouve prise au piège tendu par Gbagbo”).
1. D’où vient leur amitié ?
Ouattara est devenu un proche de Sarkozy dès 1990 par l’intermédiaire de Martin Bouygues, grand ami du futur président français, selon Le Monde (édition abonnée). Cette année là, celui qui est alors Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, le président fondateur et père de l’indépendance, confie pour quinze ans la gestion privée de l’eau et de l’électricité de Côte d’Ivoire à l’industriel français.
“Ouattara devient alors très proche de Bouygues”, explique au Post Antoine Glaser, ancien rédacteur en chef de la Lettre du continent et auteur du livre “Comment la France a perdu l’Afrique” (éditions Calmann-Lévy). L’industriel étant un ami intime de Sarkozy, un lien s’installe entre les deux hommes politiques.
2. Non, Sarkozy n’a pas marié Ouattara
La relation privilégiée entre Bouygues et l’homme politique ivoirien éclate au grand jour lors du mariage de Ouattara avec Dominique Folloroux, le 24 août 1991, à la mairie du XVIe arrondissement de Paris. “Martin Bouygues était au premier rang”, se souvient Antoine Glaser, qui a assisté à la cérémonie.
Mais contrairement aux rumeurs persistantes qui circulent notamment sur le Web, ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui a uni les époux Ouattara. “C’est du grand n’importe quoi cette rumeur !”, peste Antoine Glaser. “C’est le maire adjoint du XVIe arrondissement qui les a mariés.”
C’est à partir de ce mariage que Nicolas Sarkozy et Alassane Ouattara vont cultiver leur relation sur fond de business et de politique. Via Martin Bouygues, Nicolas et Cécilia Sarkozy deviennent proches du couple Ouattara, indique Gilles Labarthe.
L’épouse de Ouattara, française née en Algérie, devient une amie commune de Martin Bouygues et du couple Sarkozy. Elle se révèle être une femme d’affaires très influente. Elle a bâti sa fortune en gérant le patrimoine immobilier, substantiel, de Félix Houphouët-Boigny, précise Libération.
3. “Ouattara est passé prendre l’apéro à l’Elysée au moins quatre ou cinq fois”
“Sarkozy a surtout connu Ouattara en 1993 au moment de la dévaluation du franc CFA”, raconte Antoine Glaser. Le chef du gouvernement ivoirien a en effet aidé le Premier ministre français dans cette opération. Ouattara a alors dû traiter avec le ministre du Budget de l’époque. Un certain Nicolas Sarkozy.
“En 1997, Nicolas Sarkozy effectue son premier voyage en Côte d’Ivoire. Il y accompagne Martin Bouygues en tant qu’avocat d’affaires pour rencontrer à Abidjan Henri Konan Bédié [président ivoirien de 1993 à 1999, ndlr] et défendre les contrats noués par son ami dans le pays”, raconte Gilles Labarthe. “Ouattara est alors un ami personnel de Sarkozy. Il a intégré ses cercles familiaux et il est possible qu’ils se soient vus lors de cette visite plus économique que politique.”
Ensuite, entre Ouattara et Sarkozy, les liens seront de plus en plus étroits. “Quand Sarkozy était ministre de l’Intérieur, avec Cécilia, ils ont reçu le couple Ouattara à plusieurs reprises”, précise Antoine Glaser. “Et depuis qu’il est devenu président en 2007, Ouattara est passé prendre l’apéro à l’Elysée au moins quatre ou cinq fois”, affirme encore le spécialiste de l’Afrique.
4. Cette amitié a-t-elle motivé Sarkozy à prendre parti pour Ouattara face à Gbagbo ?
“Il ne faut pas surestimer le poids politique de leur proximité”, avertit Antoine Glaser. Au début de sa présidence, Nicolas Sarkozy a d’abord noué des relations détendues avec Gbagbo. Il a adopté une attitude pragmatique vis-à-vis de celui qui présidait la Côte d’Ivoire depuis 2000 pour ne pas insulter l’avenir au cas où gagnait la présidentielle de novembre 2010, expliquent les spécialistes.
“Si Gbagbo avait gagné, Sarkozy aurait fait avec”, estime Antoine Glaser. “D’autant qu’avant la présidentielle de 2010, l’ancien président ivoirien faisait beaucoup de business avec Bolloré et Bouygues”, deux amis du président français. En 2008, Gbagbo a en effet attribué à Vincent Bolloré un nouveau terminal à conteneurs au port d’Abidjan. De son côté, le groupe Bouygues a noué de nombreux contrats dans les secteurs du gaz et de l’électricité.
Une fois que Ouattara a été reconnu internationalement comme le vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, “l’amitié a repris ses droits”, constate Antoine Glaser.
À partir de ce moment là, Nicolas Sarkozy prend clairement partie pour Alassane Ouattara. Les intérêts politiques et les liens amicaux se rejoignent.
5. “Ouattara convient mieux à Sarkozy que Gbagbo”
“Le profil de Ouattara, qui est un économiste libéral, avec une formation de diplomate et de fonctionnaire rompu à l’économie de marché, correspond parfaitement aux intérêts de la France et des Etats-Unis en Afrique de l’Ouest”, observe Gilles Labarthe. “Il convient mieux à l’Elysée que Gbagbo, qui est difficile à gérer, imprévisible… Et en plus, Sarkozy et Ouattara ont des liens amicaux donc c’est encore mieux.”
Si les deux spécialistes s’accordent pour dire que la proximité entre Sarkozy et Ouattara ne va pas forcément plomber la présidence de ce dernier, ils sont d’accord pour dire qu’elle ne va pas lui faciliter la tâche.
“Ouattara va déjà commencer à gouverner dans les pires conditions : il est vu par une grande part d’Ivoiriens comme le candidat de la France et des Etats-Unis”, souligne Gilles Labarthe.
Selon ce dernier, Ouattara devra montrer qu’il n’est pas sous la tutelle de la France, des Etats-Unis et d’institutions comme le FMI ou la Banque mondiale. Il a également tout intérêt à former un gouvernement d’ouverture, qui tiendra compte des 45 % d’électeurs ayant voté pour Gbagbo. Et faire en sorte que les ressources du pays soient redistribuées au grand nombre.
Vaste programme…
Sources : Le Post, Le Monde (édition abonnée), Le Parisien, L’Express, Libération – 13/04/2011 à 12h26