Les incohérences et invraisemblances sont tellement nombreuses que le traitement du dossier concernant Bachir Sémoun, auteur d’un attentant contre l’ambassade de France, laisse croire que la Sécurité d’Etat cache des choses. Autopsie d’une curieuse affaire…
Le 28 février 2011, un communiqué du Gouvernement annonce l’évasion de Bachir Sémoun du bunker de la Sécurité d’Etat. Le même jour, le patron du service, le colonel-major Mamy Coulibaly est limogé et remplacé, à titre intérimaire, par son adjoint, le contrôleur général de police Hildebert Traoré. Franchement bizarre. Car une source qui a longtemps travaillé à la SE nous annonce que le terroriste était au mitard. Impossible de s’évader d’un tel endroit à moins de pouvoir se métamorphoser en courant d’air. Selon les informations distillées par la boîte, le prisonnier était sous la garde d’un militaire qui serait allé prendre du thé. Notre source apporte un démenti catégorique : «C’est un mensonge. Personne ne passe la nuit, surtout pas un terroriste, au clair de lune, avec comme seul compagnon un militaire. Je n’ai jamais vu ni entendu au cours de ma carrière qu’un suspect classé dangereux était surveillé par un seul soldat ou autre. Il y a une procédure claire de garde des suspects dans la boîte, je ne vais pas l’expliquer mais elle est très différente de celle d’un poste classique de police ! »
Il y a ensuite la précipitation avec laquelle le colonel Coulibaly a été limogé. Cette manière d’agir ne porte pas la marque d’ATT, peu enclin aux sanctions immédiates. Puisque ce service relève directement de la présidence, notre source penche plutôt du côté de l’état-major particulier. Cette information n’est pas vérifiable mais on peut légitimement se demander les raisons pour lesquelles un adjoint qui, dans ce genre de circonstances, est aussi coupable que le chef, hérite du fauteuil. En tant qu’adjoint de Mamy et policier de métier, Hildebert Traoré était responsable direct des enquêtes sensibles et rien ne se faisait à son insu.
Le plus troublant encore, c’est qu’à Gao (où l’on prétend l’avoir repris), personne parmi les gendarmes sur place, ne parle de cette affaire. Notre source nous rapporte qu’elle n’est jamais arrivée à connaître les circonstances exactes de l’arrestation de Bachir à Gao, la brigade dont relève le gendarme auteur de cet « exploit » et les conditions de son transfèrement à Bamako. « Le plus troublant dans cette suite de bizarreries, c’est qu’un terroriste qui se sait terroriste présenté à la télévision nationale, s’évade de la Sécurité d’Etat pour se rendre tout simplement à la gare routière. De là, il emprunte un transport en commun pour sillonner le Mali jusqu’à Gao. C’est totalement stupide de croire qu’un homme déterminé à démontrer à AQMI sa force de frappe individuelle agisse avec autant d’insouciance ! » Mieux, aucun habitant de Gao ne peut se dire témoin de cette arrestation. Bachir Sémoun, a-t-il jamais échappé aux forces de sécurité ? A-t-il vraiment pu s’évader ? Nos autorités qui ne communiquent jamais sur ce genre de faits ne sauront nous éclairer.
Comment alors expliquer la version de la Sécurité d’Etat et la facilité avec laquelle l’opinion publique a adhéré à cette thèse ? Notre interlocuteur se veut plus large dans son analyse : « Il y a très sérieux problème aujourd’hui et je ne peux analyser que par recoupements et déductions, à l’aide de faits » nuance-t-il. Il nous cite des actes qui tendent à croire que la vérité est loin de ce que l’on nous raconte. « Il y a environ six mois, la police arrêté un Espagnol et un Vénézuélien accusés d’avoir assassiné et découpé à la tronçonneuse un compère roumain, tous étaient des trafiquants de drogue, des individus louches. De prime abord, il s’agit d’un vulgaire crime qui relève de la police et de la Cour d’assises. Or, ces assassins présumés ont été extraits de la prison centrale de Bamako par des éléments cagoulés et armés de la Sécurité d’Etat pour interrogatoire. Il semble de plus en plus évident que ces meurtriers ont un lien avec l’affaire Air Cocaïne. Curieusement, on dit que Bachir Sémoun venait d’arriver à Bamako. Cela est faux ! Il était dans notre pays au moins depuis plus d’un an, précisément dans le Septentrion avant de débarquer à Bamako. J’ai appris que ceux qui ont interrogé les criminels à la tronçonneuse sont aussi ceux qui avaient la charge de cuisiner le Tunisien. Bizarre quand même ! S’il s’agissait d’un simple crime impliquant des bandits et trafiquants de drogue, qu’est-ce que la SE vient y chercher ? Pourquoi des agents qui interrogent Sémoun interrogent aussi des présumés auteurs d’un crime de droit commun ? »
Notre source d’avancer que la diversion a atteint quasiment le seuil de la farce avec l’arrestation de la Directrice générale de l’ANAC pour les besoins de l’enquête : « La procédure en la matière est claire. C’est le ministère de la Défense qui accorde les autorisations de vol au-dessus de notre territoire. L’ANAC ne s’occupe que des aspects techniques. Si des trafiquants de drogue utilisent un avion immatriculé au Panama avec des pilotes sud-américains pour arriver au Mali, ce n’est pas le rôle de l’ANAC de savoir ce qu’ils transportent ! Mieux, cette histoire d’autorisation de vol est une diversion. Aujourd’hui, vous pouvez passer la journée à survoler le Mali, si vous ne vous signalez pas, nous n’avons aucun moyen de savoir qui vous êtes et d’où vous venez. Tout l’espace aérien du Septentrion malien est géré par… le Niger. » Selon lui, il n’y avait aucun intérêt à arrêter et enquiquiner Tènè Issabéré de l’ANAC.
Il faut aujourd’hui dire que le Mali en général et la Sécurité d’Etat en particulier sont soumis à une très forte pression sécuritaire de la part des pays occidentaux. La France, la Grande-Bretagne et les USA n’entendent plus rigoler à propos de ce qui se passe chez nous. Ils sont convaincus qu’AQMI, les trafiquants de drogue, les Salafistes et certains bandits armés du Septentrion forment une seule et seule nébuleuse bénéficiant de protection occulte dans les hautes sphères de l’Etat et entendent obliger le Gouvernement malien à prendre ses responsabilités pour y parvenir. Les informations parcellaires et les omissions ne feront que renforcer la méfiance, pas la dissiper.
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