Face aux rumeurs de confiscation imminente du journal Zaman, nous publions le communiqué du quotidien le plus vendu de Turquie, harcelé depuis plus de deux ans par le pouvoir turc.
Nous traversons les jours les plus sombres de notre histoire en matière de liberté de la presse, l’un des indicateurs les plus importants de la démocratie et de l’Etat de droit. Intellectuels, hommes d’affaires, artistes, organisations de la société civile, groupes de médias, journalistes, ils sont tous réduits au silence par des menaces et le chantage. Nous sommes entrés dans la dernière phase en termes de pression sur la presse qui reste obstinément indépendante. Les journalistes fréquentent dorénavant plus les tribunaux que leurs rédactions. Un nombre important de nos confrères, qui ont été à plusieurs reprises placés en garde à vue et poursuivis, sont toujours en prison.
Le rédacteur en chef de Cumhuriyet, Can Dündar, et son correspondant d’Ankara, Erdem Gül, sont les dernières victimes de cette campagne. Ils ont été libérés à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle après être restés en détention pendant trois mois. Mais il semble que l’euphorie ne va pas durer pour les démocrates. En effet, les tribunaux sont sous le feu des critiques après les propos du président de la République Recep Tayyip Erdogan qui a déclaré qu’il ne respectait pas la décision et qu’il ne lui obéirait pas. «Ils seront à nouveau arrêtés», ont déjà annoncé les cercles pro-gouvernementaux.
Rien que cette semaine, deux chaînes de télévision, situées aux antipodes du spectre politique, Bengütürk TV (nationaliste) et IMC TV (pro-kurde), ont récemment été retirées du satellite géré par l’opérateur public, Türksat. D’autres chaînes de télévision du groupe Samanyolu et du groupe Koza İpek avaient subi le même sort, peu de temps avant. Des dizaines de chaînes sont ainsi réduites au silence. L’autre méthode pour faire taire les médias consiste à nommer des administrateurs à leurs têtes. Avant les élections législatives du 1er novembre 2015, les artificiers du pouvoir ont ainsi été nommés à la direction des chaînes Bugün TV et Kanaltürk et des journaux Bugün et Millet, qui faisaient partie des rares médias indépendants en Turquie. Il y a à peine une semaine, tous ces médias ont été tout bonnement fermés, les administrateurs les ayant poussés à la faillite…
Cependant, le droit national, dont la Constitution turque, ainsi que les accords internationaux consacrent et garantissent très clairement la liberté de la presse et son corollaire, le droit d’accès à l’information. L’article 26 de la Loi fondamentale garantit la liberté de pensée et d’expression, les articles 28 et 30 la liberté de la presse. Et en vertu de l’article 30, «les imprimeries et leurs dépendances, ainsi que leurs moyens de presse, créées en tant qu’entreprises de presse d’une manière conforme à la loi ne peuvent être saisis ou confisqués ni interdits d’exploitation, sous le prétexte qu’ils constituent l’instrument d’un délit». Enfin, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) lie les tribunaux turcs.
Le journal qui a le plus gros tirage en Turquie, Zaman, subit des pressions depuis plus de deux ans, pressions qui vont des refus d’accréditations aux contrôles fiscaux en passant par les menaces contre les annonceurs publicitaires voire les lecteurs ! Et, aujourd’hui, nous sommes confrontés au risque de confiscation par le biais de nomination d’administrateurs.
Nous sommes profondément préoccupés par tous ces développements qui dégradent le niveau de la démocratie turque. Nous croyons que le seul moyen de sortir de cette atmosphère cauchemardesque est de retourner à la démocratie et à l’Etat de droit. Nous avons décidé de faire part de notre préoccupation à nos concitoyens, aux intellectuels qui croient en la démocratie et au monde entier.