La chancelière allemande Angela Merkel, lors d’une cérémonie marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale, le 8 mai 2020 à Berlin.
En Allemagne, 2021 marquera une rupture. Pour la première fois depuis seize ans, le visage d’Angela Merkel ne figurera pas sur les affiches des élections prévues en septembre 2021, la chancelière n’étant pas candidate à sa réélection. Avec son départ s’annonce la fin d’un certain style et d’une pratique du pouvoir.
Discrétion, proximité, collégialité : ce sont les ingrédients du succès d’Angela Merkel en Allemagne. La collégialité est une règle dans ce pays très décentralisé, mais la chancelière a toujours mis un point d’honneur tout particulier à consulter et rassembler, quitte à perdre du temps dans la prise de décision.
La discrétion et la proximité sont, elles, des clés essentielles de sa popularité exceptionnelle. Personnalité politique préférée des Allemands, avec plus de 70 % d’opinions positives en moyenne dans les différentes enquêtes d’opinion, Angela Merkel fait ses courses elle-même, part en vacances dans des chambres d’hôtel à 50 euros la nuit, et répond à toutes les questions mêmes les plus quotidiennes, presque triviales.
Dans une émission, il y a quelques semaines, une animatrice lui a ainsi demandé : « Qu’utilisez-vous comme technologie intelligente à la maison ? Votre machine à laver ? » Un léger sourire effleure alors le visage de la chancelière qui lui répond : « La lessive, c’est mon mari qui s’en occupe ». La dirigeante la plus expérimentée d’Europe excelle également lorsqu’il s’agit de balayer d’un revers de main des situations au parfum sexiste.
En août 2020, lors de sa traditionnelle conférence de presse de rentrée, une journaliste demande s’il est vrai que « l’ambassadeur des États-Unis en Allemagne a dit que Donald Trump vous avait littéralement charmée ». À nouveau, un début de sourire apparaît au coin des lèvres de la chancelière, qui prend un malin plaisir à feindre l’ignorance et demande en plissant les yeux : « Il m’aurait quoi ? » « Charmée », doit insister la journaliste, sous les rires qui commencent à fuser dans la salle de presse. « Ach so (« allons bon »), répond la chancelière qui cette fois rit de bon cœur. « Vous savez bien que je ne commente jamais les échanges diplomatiques », ajoute-t-elle, très sérieusement.
Succession échouée ?
Le style Merkel et son mode de gouvernance n’ont pourtant pas imprimé la vie politique allemande : aucun des prétendants à sa succession ne s’en inspire.
Angela Merkel, qui s’est imposée face à un Helmut Kohl la surnommant d’un paternaliste « das Mädchen » (« la jeune fille »), a pourtant bien tenté de pousser des figures féminines sur le devant de la scène. Tout d’abord l’actuelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, il y a quelques années.
Puis, plus récemment, Annegret Kramp Karrenbauer. Mais sa ministre de la Défense et seconde dauphine a vite jeté l’éponge après des élections européennes catastrophiques, et rendu les clés de leur parti, la CDU.
Trois candidats s’affrontent désormais à fleurets mouchetés pour diriger le parti : trois hommes de l’Ouest, de plus de 50 ans et pères de famille, comme si Angela Merkel n’avait été qu’une parenthèse.
Le plus populaire chez les sympathisants reste Friedrich Merz, un vieil ennemi de la chancelière (elle l’a écarté au début des années 2000). Sa désignation serait une forme d’échec politique pour Angela Merkel et marquerait le paysage politique.
Comme le rappelle Hans Stark, chercheur et conseiller pour les relations franco-allemandes à l’Institut français des relations internationales (IFRI), Angela Merkel « a toujours mené des campagnes résolument centristes, cherchant le soutien des populations urbaines, diplômées, féminines. Et ce n’est pas le cas avec ce candidat, Friedrich Merz, qui est quelqu’un de très conservateur et qui me rappelle franchement les années Helmut Kohl. Il n’est pas populiste, mais il n’a pas cette ouverture, cette conception sociétale moderne qu’avait Angela Merkel. C’est quand même elle qui avait ouvert la voie au mariage pour tous, en disant qu’elle-même allait voter contre, mais qu’elle estimait qu’il fallait l’approuver. »
Peu de grandes réformes
Son « je ne vote pas pour ce texte, mais vous devriez le faire » est un classique de la méthode Merkel : une recherche de l’équilibre et du compromis, mais qui signerait aussi un manque d’audace, selon ses critiques.
Elle peut en réalité compter assez peu de grandes réformes sur la scène intérieure allemande à son actif. Cela même si l’annonce de la fin du nucléaire en 2011 après la catastrophe de Fukushima reste dans toutes les têtes. Ou encore le plan de relance européen lancé ce printemps avec Emmanuel Macron – ce dernier implique le principe d’une européanisation des dettes publiques, un tabou jusqu’ici en Allemagne et surtout dans son propre parti.
La chancelière a toutefois bousculé un principe : la fidélité aux États-Unis, jusqu’ici intangible dans son pays. Loin d’être une initiative ou une conversion à l’idée française de souveraineté européenne, il s’agit plus simplement d’une réaction au mandat de Donald Trump.
« Elle s’est montrée aux antipodes de Donald Trump et cela dès le départ de sa présidence, dès 2016, lorsqu’elle disait qu’aujourd’hui l’Europe ne peut plus autant faire confiance à son allié américain, comme jadis, souligne Hans Stark. Elle n’a pas clairement dit que la confiance était rompue, mais elle l’a mise un peu entre parenthèses. Elle est restée dans les années 2016-2020 comme l’opposée de Trump en termes de fidélité au multilatéralisme et d’une approche consensuelle des relations internationales. »
Pour les réfugiés, « l’Allemagne sans Merkel, c’est comme une tartine sans beurre »
On peut également la considérer consensuelle, mais capable de faire cavalier seul. C’est sans prévenir ni ses partenaires européens ni consulter dans son pays, qu’Angela Merkel décide en 2015 l’accueil inédit des réfugiés. Cela lui a été beaucoup reproché et a signifié une campagne difficile pour sa réélection en 2017 : selon des experts, cela aurait également permis à l’AfD de s’envoler et de faire son entrée au Bundestag comme troisième force politique du pays.
Pour les centaines de milliers de personnes accueillies, l’Allemagne se confond encore aujourd’hui avec sa chancelière. À l’annonce de sa retraite à la fin de son mandat, en 2018, un blogueur syrien réfugié avait résumé son sentiment : « L’Allemagne sans Merkel, c’est comme une tartine sans beurre. »
RFI