Quatre anciens militaires français de la force Licorne, dont un colonel, sont jugés à partir de mardi 26 novembre à Paris pour le meurtre en Côte d’Ivoire, en 2005, de Firmin Mahé. Ils affirment avoir reçu l’ordre d’éliminer le jeune Ivoirien.
Firmin Mahé, 29 ans, avait été étouffé avec un sac plastique fixé sur sa tête avec du ruban adhésif, alors qu’il était transporté dans un véhicule blindé français en Côte d’Ivoire. Pour les militaires français, c’était un “coupeur de route”, un criminel attaquant les voyageurs et terrorisant les populations dans la “zone de confiance”qu’ils étaient chargés de surveiller, dans un pays à l’époque coupé en deux par une guerre civile qui avait éclaté trois ans plus tôt.
Pour les proches de Firmin Mahé, ce n’était pas un bandit, il y a eu erreur sur la personne. Une dizaine de membres de sa famille comptent venir de Côte d’Ivoire pour assister au procès, prévu devant la cour d’assises jusqu’au 7 décembre. Ils espèrent “sa réhabilitation”, a dit leur avocat, Fabien Ndoumou.
Firmin Mahé avait été interpellé le 13 mai 2005 près de la localité de Bangolo, après avoir été blessé à une jambe lors d’un accrochage avec des militaires français. Il avait été conduit à une infirmerie, puis dirigé vers la ville de Man sur ordre du général Henri Poncet, alors commandant de la force Licorne. C’est en route qu’il est mort.
UN ORDRE “LIBÉRATEUR”
Les accusés, qui ont quitté l’armée, sont le colonel Eric Burgaud, 50 ans, chef de corps à l’époque, et les trois militaires présents dans le blindé : l’adjudant-chef Guy Raugel, 48 ans, qui a étouffé Firmin Mahé, le brigadier-chef Johannes Schnier, 35 ans, qui le maintenait, et le brigadier Lianrifou Ben Youssouf, 32 ans, qui conduisait le véhicule. Les faits avaient été dénoncés par d’autres militaires.
Au début de l’enquête, le général Poncet avait été mis en examen pour complicité d’homicide volontaire, le colonel Burgaud ayant affirmé avoir reçu de lui “un ordre pas clair dont l’interprétation était très claire”, explique son avocat, Alexis Gublin.
“‘Roulez doucement, vous me comprenez’ (…). Cela signifiait que la solution idéale était qu’il décède en route”, avait déclaré le colonel durant l’enquête. Mais le général Poncet a démenti avoir donné un tel ordre et a bénéficié d’un non-lieu. Henri Poncet est parmi la trentaine de témoins attendus au procès, de même que l’ancienne ministre de la défense Michèle Alliot-Marie.
L’adjudant-chef Raugel, lui, “a toujours dit ce qu’il avait fait”, rappelle son avocat, Jacques Trémolet de Villers : “Il a mis fin aux jours de Mahé sur ordre de son colonel.” “Un ordre qu’il trouvait ‘libérateur’, parce qu’il ne savait pas quoi faire du coupeur de route”, dit-il. En plein conflit ethnique, “il se disait : ‘si je le remets au Nord, il sera tué à la machette, si je le remets au Sud, il sera libéré et continuera'”.
La défense va mettre en avant la difficulté pour les hommes d’une force telle que Licorne, déployée en soutien de l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci), de remplir leur mission de maintien de l’ordre, sans cadre juridique. “L’Onuci n’a aucun pouvoirde police judiciaire, de rétention, de détention… “, souligne Me Gublin. “Il y a un mandat politique, mais en pratique, c’est ‘débrouillez-vous’.” Les faits s’étaient déroulés dans un contexte très tendu, six mois après le bombardement d’un camp de Licorne à Bouaké qui avait fait dix morts dont neuf soldats français. Paris avait répliqué en détruisant l’aviation ivoirienne.
La force française Licorne
La force française Licorne a été déployée en Côte d’Ivoire en septembre 2002, quelques jours après le début d’une rébellion, officiellement pour protéger les ressortissants français et étrangers et tenter de stabiliser son ex-colonie d’Afrique de l’Ouest.
Le 19 septembre, une rébellion armée, avec des attaques visant le cœur du pouvoir à Abidjan, Bouaké (Centre) et Korhogo (Nord), avait tenté de renverser le régime de Laurent Gbagbo avant de s’emparer de la moitié nord du pays. Les effectifs de la force Licorne, sous commandement français mais sous mandat onusien, ont culminé à 5 300 hommes après le bombardement par l’aviation loyaliste d’un cantonnement militaire français qui avait tué neuf soldats français à Bouaké le 6 novembre 2004.
Le Monde.fr | 27.11.2012 à 07h52