Thèse absurde
Pour un pays comme le Sénégal, il est particulièrement mal indiqué de dire non au «Serviteur des deux saintes mosquées». Le caractère historique des «liens privilégiés» entre les deux pays est une réalité certes, mais les Saoudiens n’aiment pas qu’on leur dise niet. Pour mille et une raisons enfouies dans la psychologie de leurs rois et princes, ils ont acquis la conviction que tout leur est permis, pétrodollars obligent. Le Sénégal est enfermé dans ce complexe bédouin depuis plusieurs décennies, entretenu par la propension saoudienne à embrayer sur le facteur argent.
Question d’argent
À ce propos, il faut bien voir que dans sa course contre la montre pour donner corps au Plan Sénégal Emergent (PSE), le chef de l’Etat sénégalais ne néglige aucune source de financement. Or, la Banque Islamique de Développement (BID) dont le siège est à Djeddah (Arabie Saoudite) serait en plein dans la mise en œuvre du PSE avec la «concrétisation de 38% de ses engagements», un an seulement après le Groupe consultatif de Paris, d’après le ministre de l’Economie et des Finances. Selon Amadou Bâ, le total des actifs actuels de la BID pour le Sénégal se chiffre à 330 milliards de Fcfa. Qui contrôle la BID ? L’Arabie Saoudite.
Macky Sall peut-il dire «non» au roi Salman Ibn Abdelaziz ? En théorie, oui. En pratique, c’est non. Il y a trop de symboliques à respecter coûte que coûte. Au-delà du Plan Sénégal Emergent, le Sénégal bénéficie par ailleurs de faramineuses retombées financières à travers l’organisation (locale) du pèlerinage annuel aux lieux saints de l’Islam. Tellement faramineuses que l’opacité qui entoure la gestion du Hadj est elle-même devenue une religion d’Etat tout juste menacée par un indiscernable projet de privatisation qui se refuse à voir le jour. Et même si l’Etat décidait un jour de cracher sur cet argent là, cela pourrait ne pas changer grand-chose pour les profiteurs du système…
Le farniente du désert
Ainsi, tout devient clair dans ce deal au sommet où les véritables perdants seraient les Diambars qui n’en reviendraient pas parce que tués, qui reverraient le pays avec une jambe en moins, qui auraient leurs médailles et prendraient peut-être leurs pécules de la main gauche parce que la droite aura été explosée. Mais, comme un soldat, c’est pour faire forcément la guerre, selon nos gouvernants… Si guerre il y a dans le désert-et il y en aura à moins que les Houthistes décident miraculeusement de capituler-les soldats sénégalais y seront fatalement, car les Saoudiens n’ont jamais monnayé les services des dirigeants d’Etat pour que des cinquièmes colonnes étrangères viennent s’assoupir sous le farniente.
L’Arabie Saoudite est la principale vache laitière de l’industrie de guerre des Etats-Unis et des autres pays occidentaux, mais ses soldats ne sont pas pour autant réputés être de grands combattants au sol. D’où cette propension à privilégier les bombardements aériens en attendant l’offensive terrestre. C’est ici que la chair à canon nègre, venue du Sénégal, devra montrer que le prix payé en vaut la chandelle. C’est un mercenariat institutionnel et prébendier qui prend sa source au cœur de la République.
Problème intérieur au Yémen
Dans tous les cas, le jour où l’armée sénégalaise débutera son implication malheureuse dans les événements du Yémen, la vie de 2100 soldats sera en danger. Détail sur-important qui prend à contre-pied les déclarations fallacieuses du ministre des Affaires étrangères : ce qui se passe au Yémen est une affaire strictement intérieure à ce pays. Les Houthistes ne sont pas des étrangers dans ce pays qui est le leur. Ils sont des Yéménites à part entière dont le grand tort est de ne pas être des Sunnites, d’avoir l’Iran comme soutien et d’être soutenus par une frange de l’armée. L’une des causes fondatrices de cette double rébellion (houthiste et militaire) est que l’ex-président Mansour Hadi, portraituré comme une marionnette des Saoudiens, s’est révélé incompétent et inapte à donner un prolongement politique concret aux conclusions du Dialogue national organisé en 2011.
En vérité, l’Arabie Saoudite n’accepte pas que des régimes non inféodés à sa vision politique et stratégique de la région émergent à la tête des Etats situés dans ce qu’elle considère comme son «espace vital». C’est ainsi que dans le petit royaume de Bahreïn dont près de 70% de la population musulmane est de confession chiite, elle a aidé militairement à la brutale répression du «Printemps arabe» local en 2011.
«Les amis de nos ennemis…»
Mais les Yéménites, eux, ne sont pas des enfants de chœur. Les spécialistes et connaisseurs de l’histoire récente de la région les assimilent plutôt à des durs à cuir formatés aux rigueurs d’un environnement précaire et hostile, loin des fastes des princes voisins. Ils savent faire la guerre, car ils l’ont déjà faite récemment contre ces mêmes Saoudiens qui, alors, avaient été obligés de décamper. C’est à ces Bédouins du désert que nos Diambars risquent de faire face. Si l’on suit la logique à deux sous du ministre des Affaires étrangères -l’Arabie Saoudite fait face à un terrorisme que le Sénégal a le devoir de combattre- il faut en même temps rappeler ce que peut être la devise de tous les «terroristes» du monde. À savoir, «les amis de nos ennemis sont nos ennemis».
Le gouvernement et l’Etat sénégalais seraient donc en droit et en devoir d’être déclarés «ennemis», et pourquoi pas «ennemis combattants», par les forces rebelles houthistes. Alors, un jour prochain ou lointain, ne soyons pas surpris que nos rues, écoles, marchés, mosquées, soient la proie de «terroristes» avides de vengeance parce qu’un président de la République cynique et égoïste avait décidé de se mêler de ce qui ne le regarde point, en vendant à une opinion publique attachée à sa foi l’illusion d’une attaque contre les symboles les plus puissants de l’Islam : Mecque et Médine.
Politique-fiction
À partir de là, rien n’empêche de tomber dans la politique-fiction car la politique, après tout, c’est l’art de rendre possible tout ce qui est présumé impossible. Empêtré dans des promesses sociales, politiques et institutionnelles finalement intenables, Macky Sall s’inscrit dans une logique de fuite en avant. Face aux attentats qui secouent la capitale, paralysent l’économie et les affaires, bloquent les services, le président de la République finit par imposer des mesures extrêmes provisoires dont jaillit une nouvelle de taille : l’abandon express du projet de diminution du mandat présidentiel et la re-sacralisation de la Constitution d’Abdoulaye Wade. C’est l’avantage des situations d’exception.
Momar DIENG