REPORTAGE. Après des médecins militaires, le colonel major Jean-Pierre Palm, accusé de complicité d’attentat à la sûreté de l’État, a aussi été appelé à la barre.
Le 15 octobre 1987, le capitaine Thomas Sankara était exécuté par un commando avec douze de ses compagnons alors qu’il tenait une réunion au Conseil de l’Entente, siège du régime révolutionnaire, à Ougadougou. Le 5 mai 2015, deux mois après l’ouverture de l’instruction, l’autopsie réalisée sur le corps de l’ancien président établissait qu’à l’issue de la fusillade, il avait été atteint par trois trajectoires de tir (thoracique gauche, cervico-thoracique vertical droit, rechio-thoracique droit horizontal). Des tirs émis vraisemblablement par des pistolets automatiques et des fusils d’assaut AK47, d’après les impacts de projectiles d’un diamètre inférieur ou égal à 9 mm. Ce jeudi 4 novembre, au neuvième jour du procès de l’assassinat de Thomas Sankara, comparaissaient deux médecins miliaires, accusés de « faux en écriture publique ». Le premier, Alidou Jean-Christophe Diébré, est l’auteur du certificat de décès de Thomas Sankara comportant la mention « mort naturelle ».
« J’ai voulu rendre service », a répété ce colonel-major à la retraite de 71 ans, directeur central du service de santé des forces armées populaires au moment des faits. Arguant d’un motif « humanitaire », il a nié avoir agi sur instruction. « Tout le monde savait à Ouagadougou, et même à l’étranger, de quoi était mort le président Sankara. Sauf vous ? » a grondé le substitut du procureur militaire Arsène Sanou. « On ne m’a pas demandé la cause de sa mort, on m’a demandé un certificat de constat de décès. » Et d’expliquer que les veuves de Thomas Sankara, de Frédéric Kiemdé, employé à la présidence, et de Paulin Babou Bamouni, conseiller et responsable de la presse présidentielle, étaient venues le voir un dimanche, trois mois après les faits, pour des besoins administratifs. « J’ai établi ça très rapidement, sans avoir vu les corps », dit-il, concédant ne pas avoir « respecté la rigueur », face à « une situation exceptionnelle ».
Excuses de l’accusé
« Vous reconnaissez avoir enfreint l’éthique, mais dans ce cas, vous ne pouviez pas faire jouer votre clause de conscience en disant que vous n’aviez pas vu les corps ? », lui oppose, dubitatif, Me Nzepa, l’un des avocats de la famille Sankara. « Si j’avais écouté ma raison je l’aurais fait, mais j’ai trouvé que c’était méchant. » « Les faits se sont déroulés il y a très longtemps, on aurait imaginé que vous vous seriez repenti, que vous auriez exprimé du remords. Mais non. Vous vous réfugiez derrière cet « humanisme » pour justifier un faux. Vous avez dressé un certificat de décès avec une mention inexacte, et vous semblez prêt à répéter cet acte ? C’est vraiment très grave », a observé Me Séraphin Somé, membre du collectif d’avocats de la partie civile. « Si on m’en avait donné l’occasion, j’allais présenter mes excuses. J’ai voulu aider. Mais si ces certificats ont créé plus de douleurs aux bénéficiaires, je leur demande pardon », a exprimé Jean-Christophe Diébré. Son avocat Issiaka Ouaedraogo lui a demandé s’il avait eu une raison de dénaturer la mort de Thomas Sankara. « Non, j’avais des rapports personnels avec lui, je n’aurais pas osé faire ça. »
« Il n’y a pas de quoi s’acharner sur des personnes qui ont voulu rendre service », a conclu Me Moumouny Kopiho avocat d’Hamado Kafando, ex médecin-chef de l’infirmerie de la présidence du Faso. Il a quant à lui établi un certificat médical mentionnant la « mort par accident » de Bonaventure Compaoré, employé à la présidence au moment des faits. « On parle d’assassinat, et c’est important que ces accusés comparaissent pour que demain, des agents ne prennent pas la liberté d’écrire des choses de ce genre. Même s’ils ont voulu aider, à un moment donné, il faut être responsable. Le juge décidera », a confié Me Olivier Badolo, avocat aux barreaux du Canada et du Burkina Faso et représentant des parties civiles.
« Il y a eu du grabuge »
L’audience s’est poursuivie avec un plus gros poisson, Jean-Pierre Palm, accusé de complicité d’attentat à la sûreté de l’État. Les petits pas vers la barre de cet homme de grande stature, légèrement voûté, contrastent avec son débit fluide et rapide. « Monsieur le président, je ne reconnais pas les faits, je n’avais aucune fonction à ce moment-là, je venais d’être affecté au camp militaire de Bobo-Dioulasso », déroule, voix ronde et ferme, ce colonel-major à la retraite de 68 ans, capitaine au moment des faits. Le jour du crime, il se trouvait néanmoins à Ouagadougou. Mais il cherchait, dit-il, à soigner « des maux de dents », accompagné par « Julien le Togolais », un ami de passage dans la capitale. Ayant trouvé porte close au cabinet médical, ils se sont repliés sur un plan B, dans un quartier proche du conseil de l’Entente. Ils ont alors entendu des tirs et ont décidé de se réfugier chez une connaissance, le « Vieux Barry », résidant à proximité. Ils auraient passé la nuit chez lui, jusqu’à 8 heures du matin. Le lendemain, Jean-Pierre Palm dit avoir été convoqué, comme de nombreux autres officiers, au conseil de l’entente. « J’ai attendu sur un banc, puis j’ai rencontré Blaise Compaoré. Il était avec Lengani (un des quatre capitaines de la révolution de 1983 avec Sankara, Compaoré et Henri Zongo, NDLR.), et il a dit « il y a eu du grabuge », « la situation a changé ». J’ai demandé où était le président Sankara, il m’a annoncé qu’il était mort. J’ai demandé où était le capitaine Zongo, on m’a dit qu’il était en train de venir. Blaise Compaoré m’a demandé de me mettre à disposition et de ne pas partir à Bobo-Dioulasso. »
Puis enchaîne, plus véhément : « J’ai vu les accusations, l’histoire de la table d’écoute (certains témoins indiquent dans le dossier que Jean-Pierre Palm a aidé à effacer des écoutes de la gendarmerie, et attestent notamment de la présence à ses côtés de l’ancien patron du GIGN reconverti dans la sécurité privée Paul Barril, NDLR). Ce jour-là (le 16 octobre 1987), moi je n’ai pas vu un Blanc. On peut ne pas aimer les Français, mais moi, ce Paul Barril, je le connais pas, je l’ai jamais vu au Burkina Faso. »
« Capitaine, c’était pas petit »
Le président de la chambre Ubain Méda recadre. L’accusé s’est dit réticent à répondre à la convocation de Blaise Compaoré, au lendemain du coup d’Etat, mais n’aurait eu d’autre choix que d’obtempérer. « Blaise Compaoré vous demande de vous mettre à disposition. En quelle qualité ? » « Je ne sais pas quelle était sa qualité. Mais je ne pouvais pas dire non. » « Mais il était capitaine, comme vous ! » » Oui mais il était aussi ministre d’État » « Moi j’étais encore pionnier, hein, je ne comprends pas grand-chose. Ce que je sais, c’est qu’à l’époque, capitaine, c’était pas petit », lâche débonnaire, le président, face à cet accusé qui tend à minimiser son rôle. « Moi, je n’ai pas fait le Centre national d’entraînement commando de Pô (à la différence des quatre capitaines de la révolution), je suis un gendarme, pas un « Rambo », il n’y avait personne sous mon commandement durant la révolution », a-t-il par exemple glissé.
Il est aussi question de ses relations avec les quatre leaders de la révolution. Ils se fréquentent, tous les cinq, admet-il. Thomas Sankara est le premier qu’il ait connu. Avec Blaise Compaoré, qui l’appelle « petit policier », il jouait au foot, mais n’échangeait quasiment pas. Tous venaient chez lui, certains soirs, boire, manger, discuter. Mais Blaise Compaoré « s’asseyait dans un coin et ne parlait pas. Il pouvait rester de 20 heures à minuit sans prononcer un mot, et boire son café ». Jean-Pierre Palm glisse par ailleurs être celui qui a présenté à Blaise Compaoré sa future épouse, Chantal de Terrasson de Fougères, Franco-Ivoirienne et fille d’un ancien administrateur colonial proche du président ivoirien Houphouët-Boigny.
Guerre des tracts
Le parquet militaire cuisine ensuite l’accusé sur les dissensions au sein du Conseil national de la révolution (CNR), instance dirigeante durant la révolution, de 1984 à 1987. Il est question des appartenances de chacun des leaders à divers groupuscules politiques, et des divergences idéologiques qui se seraient intensifiées. « Ce n’était pas un problème de militaires, nous, on était amis », lâche Jean-Pierre Palm. Il mentionne bien l’appartenance de Sankara à « l’organisation secrète » OMR (Organisation des militaires révolutionnaires), une des quatre organisations politiques présentes au sein du CNR, avec l’ULCR (Union des luttes communistes reconstituées), l’UCB (Union des communistes burkinabè) et le GCB (Groupe communiste burkinabè), qui avait la préférence selon lui de Blaise Compaoré et de son frère Jean-Marc Palm – premier ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré. Mais Jean-Pierre Palm, lui, affirme ne pas faire de politique. « Vous faites quand même parti d’un groupe politique ? », insiste le procureur. « À l’époque, si vous dites non, vous êtes un ennemi ». « Mais vous n’ignoriez pas que ça n’allait pas au sein du CNR ? » « Les quatre dirigeants nous ont toujours assuré qu’ils se concertaient et qu’il n’y avait pas de problème. »
Entre 1984 et 1986, Jean-Pierre Palm était pourtant directeur de la sûreté nationale. Il chapotait notamment les Renseignements généraux. « Ce n’est pas revenu dans vos oreilles qu’il y avait une crise au sein du CNR ? « « Aux RG, on accumulait toutes les rumeurs qui circulaient dans la ville… » « Mais vous les catégorisiez, dont certaines en source très sûre ? » « Oui, j’en recevais une copie, et j’en remettais une autre à la présidence du Faso. » « Et que saviez-vous de la guerre des tracts ? », insiste le procureur adjoint Arsène Sanou à propos des tracts orduriers qui ont abondamment circulé avant l’assassinat de Thomas Sankara. « Les tracts ont toujours existé au Burkina Faso… Honnêtement, je ne m’intéresse pas aux tracts. »
L’homme, qui affirme ne pas avoir « le guidon du pouvoir », n’est guère plus prolixe, à propos de l’arrestation par la gendarmerie d’un certain Kennedy, après qu’il aurait déclaré que Blaise Compaoré s’apprêtait à prendre le pouvoir.
Régime d’exception
La procureure militaire Pascaline Zougrana choisit quant à elle de pointer une contradiction quant à son alibi. Le « vieux Barry », chez qui il affirme avoir dormi le soir de l’assassinat de Thomas Sankara, a déclaré qu’il n’était pas chez lui ce soir-là. « Oui c’est, sa femme qui était là, je me suis trompé et je l’ai dit au juge d’instruction », balaie sans ciller Jean-Pierre Palm. « Mais vous dites être parti à 8 heures et Mme Barry ne vous a pas vu à la porte ? »
Elle revient aussi sur cette mission officielle française, venue faire le point sur le matériel de transmission de la gendarmerie fin novembre, et notamment sur les instruments d’écoute. « Il est ressorti que l’ordre a été donné d’arrêter des personnes à l’issue de cette visite », relève la magistrate. « On n’arrête pas les gendarmes, on les note, et ça joue sur leur avancement », réplique, placide, l’accusé. Puis : « C’était un ordre qui venait du commandant Lengani, qui suis-je pour dire non ? C’était un régime d’exception. »
Interrogé par Me Jean-Patrice Yaméogo, avocat de la partie civile, il opère enfin un distinguo entre la « toile d’araignée » des brigades de gendarmerie qui assuraient la mission de transmission d’informations par radio et le service des renseignements. « À l’époque, il y avait le CRTI (Centre de recherche et de traitement de l’information), créé en 1984 par des Cubains pour nous aider à mettre en place le renseignement. Mais c’était trop lourd pour être intégré dans la gendarmerie, ça allait gréver le budget. (…) Je sais où vous voulez aller, mais quand on est dans une cour pénale on amène des preuves », lâche Palm. La réponse de Me Yaméogo fuse : « Ce service de transmission avait une table d’écoute et avait placé les leaders du CNR sous écoute, et c’est dans ce centre de transmission que s’est rendue la mission française un mois après le coup d’État. »
Les débats reprendront ce lundi 8 novembre à 9 heures, avec l’interrogatoire de Jean-Pierre Palm par les autres avocats de la partie civile, puis par la défense. Il sera aussi question de sa nomination à l’état-major de la gendarmerie un mois après l’assassinat de Thomas Sankara, le 16 novembre 1987.
SOURCE: https://www.lepoint.fr/afrique