Le procès d’un «golden boy» aux Etats-Unis provoque des sueurs froides à Ankara

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Le procès, aux Etats-Unis, de Reza Zarrab où apparaissent les noms du président Tayyip Erdogan et de plusieurs anciens ministres embarrasse au plus haut point le pouvoir turc qui pensait avoir étouffé les affaires de corruption en 2013.

La corruption, c’est le ventre mou de l’AKP, le parti de la justice et du développement, dont l’arrivée au pouvoir en 2002 avait été marquée par le slogan «la lutte contre les 3 Y», «yolsuzluk» pour corruption, «yoksulluk» pour pauvreté et «yasaklar» pour interdictions.

Mais la révélation de plusieurs affaires en décembre 2013 avait créé un séisme politique qui, visiblement, n’a pas encore épuisé toute son énergie.

Une vieille affaire de transactions illicites, promptement et savamment enterrée il y a deux ans en Turquie, a refait surface aux Etats-Unis. L’arrestation en Floride du «golden boy» turco-iranien, Reza Zarrab (ou Riza Sarraf) et les rebondissements de l’affaire sèment un vent de panique à Ankara.

 La justice turque l’avait enterré, la justice américaine réouvre le dossier

Le 19 mars dernier, l’homme d’affaires turco-iranien est interpellé à son arrivée à Miami et écroué. Le procureur du district sud de New York, Preet Bharara, alias le «tombeur de Wall Street» du fait de ses enquêtes acharnées sur les évasions fiscales, l’accuse d’avoir contourné l’embargo américain sur l’Iran.

L’événement aurait pu passer inaperçu si ce n’est que Zarrab est au cœur d’une vaste affaire de corruption qui a ébranlé le pouvoir turc en 2013. Le 17 décembre, il était en effet arrêté pour trafic illicite d’or avec l’Iran, facilité par quatre ministres du gouvernement de Tayyip Erdogan, à l’époque chef du gouvernement, aujourd’hui, président de la République.

Une semaine plus tard, le 25 décembre, c’est le raïs qui était directement mis en cause par le biais de son fils Bilal. Le pouvoir avait alors crié au complot des «gülenistes», des sympathisants de l’imam Fethullah Gülen, Erdogan créant au passage une expression qui a fait florès depuis, «la structure parallèle».

Un tsunami juridique avait englouti les affaires. La justice, rendue par des juges triés sur le volet, avait classé les enquêtes. Le parlement avait refusé de créer une commission, la députée Ayse Türkmenoglu allant jusqu’ à assurer que «même si les ministres acceptent tout, je n’ai aucun soupçon raisonnable pour penser qu’ils aient commis une infraction»…

«L’accusé arrive à s’en sortir grâce aux responsables turcs de haut rang»

Les policiers et les magistrats qui étaient à l’origine des investigations avaient été révoqués de la fonction publique. L’inculpation de Zarrab a donc fait l’effet d’un véritable coup de tonnerre dans un ciel serein.

«Je suis sûr que certains ne vont pas pouvoir dormir cette nuit», s’était réjoui Kemal Kiliçdaroglu, le président du CHP, principal parti d’opposition. «Les États-Unis vont-ils laver les linges sales de la Turquie ?», s’est-il demandé, jeudi 26 mai.

En détention depuis deux mois, le golden boy a vu sa demande de libération contestée par le procureur qui estime qu’au regard de ses liens, il pourrait fuir en Turquie. Dans son ordonnance rendue publique le 25 mai, il épingle un système de corruption et met directement en cause les trois ministres ainsi que le directeur de la banque Halkbank qui avaient pourtant échappé à la justice turque en 2013.

Mieux, Bharara va jusqu’à inclure dans les pièces du dossier le réquisitoire du procureur turc et affirme que «l’accusé arrive à s’en sortir grâce aux responsables turcs de haut rang». Selon Bharara, les données du réquisitoire et celles du FBI concordent. Ses photos sur l’iPhone ont été versées au dossier. On y voit des lingots d’or, des billets de banque et un pistolet en or.

Sueurs froides à Ankara

Le procureur de New York, Preet Bharara a élargi ses investigations à la Turquie et aux Emirats arabes unis. Avant sa visite aux Etats-Unis, Erdogan avait tranché, «ça ne concerne pas la Turquie».

«C’est une décision rendue par un magistrat aux Etats-Unis. C’est un processus en cours. Il ne serait pas convenable que nous nous prononcions sur celui-ci», avait ajouté le ministre de la Justice, Bekir Bozdag. «Reza Zarrab n’a rien à voir avec l’AKP ni avec le président de la République», avait abondé Ömer Celik, le porte-parole de l’AKP, aujourd’hui ministre des Affaires européennes.

Or, force est de constater que la procédure met à mal l’ancien ministre de l’Économie, Zafer Caglayan (dont la montre à 240 000 euros avait provoqué un scandale), l’ancien directeur de la banque Halkbank, Süleyman Aslan (4,5 millions de dollars avaient été trouvés dans des boîtes à chaussures), l’ancien ministre de l’Intérieur Muammer Güler (des coffres-forts à taille humaine avaient été découverts chez lui) et l’ancien ministre des Affaires européennes Egemen Bagis (qui avait déclaré le plus naturellement du monde que le fait de s’offrir des cadeaux est une tradition turque).

Mais c’est surtout le nom du raïs qui a fini par apparaître. Le dossier permet de constater les dons qu’a reçus TOGEM-DER, une fondation créée par la First Lady turque, Emine Erdogan. Zarrab lui a versé 5 millions de dollars mais assez étrangement, son nom ne figure pas sur la liste des donateurs sur le site Internet.

L’une des 17 administrateurs est l’épouse d’Egemen Bagis, Beyhan Bagis. D’après Ilhan Tanir, qui suit le procès pour le quotidien Cumhuriyet, le réquisitoire devrait compter 1000 pages et 91 Turcs seraient impliqués.

Zarrab sera défendu par l’avocat de Dominique Strauss-Kahn

Reste à savoir si l’implication des ministres peut avoir des conséquences juridiques. Si le système de corruption mis en place a permis de contourner l’embargo américain, la réponse est affirmative ce qui aura pour conséquence de réduire les déplacements des concernés non seulement aux Etats-Unis mais dans tous les pays qui ont un accord d’extradition avec Washington.

Zarrab, qui a engagé l’avocat Benjamin Brafman, celui qui avait défendu Dominique Strauss-Kahn, risque 75 ans de prison à moins qu’il ne choisisse la voie de la collaboration avec la justice américaine.

Son associé iranien, Babek Zencani, a été condamné à mort par la justice iranienne.

Selon le magazine Nokta, dans un dossier qu’il a consacré à l’affaire le 6 avril, Zencani a versé 8,5 milliards de dollars de dons mais il aurait volatilisé 2,8 milliards de dollars au ministère du Pétrole.

Les trois ministres turcs auraient empoché 137 millions de livres. Le juge de New-York, Richard Berman, devrait trancher jeudi 2 juin sur la demande de libération conditionnelle de Zarrab. Ilhan Cihaner, député du CHP et ancien procureur, a saisi, lui, le parquet d’Istanbul pour demander la réouverture de l’enquête au vu des éléments nouveaux.

ZAMAN FRANCE

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