Paris entre realpolitik et nouvelle méthode en Côte d’Ivoire

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par Gérard Bon

PARIS (Reuters) – D’abord réticente, la France a finalement fait le choix de l’intervention en Côte d’Ivoire pour faire respecter le choix des urnes et éviter que le chaos s’installe durablement dans son ancienne colonie.

Elle a cependant pris soin, comme en Libye, d’agir sous l’autorité des Nations unies et a mis en avant la nécessité d’éviter un bain de sang en se défendant de vouloir restaurer les pratiques de la “Françafrique”.

Nicolas Sarkozy s’était engagé après son élection à faire en sorte que Paris ne soit plus “le gendarme de l’Afrique” et à en finir avec le système post-colonial qui convenait à la fois à la France et aux potentats du Continent noir.

Des analystes voient dans l’intervention en Côte d’Ivoire, où vivent 12.000 Français, l’amorce d’une nouvelle méthode consistant à continuer à peser sur le continent mais dans un cadre multilatéral, avec une coloration morale et humanitaire.

“Il y a une volonté de ne plus apparaître en ‘front-line’, de soutenir une partie, un acteur régional qu’on défend, sans que cela apparaisse comme une ingérence”, estime Anne Giudicelli, spécialiste des questions stratégiques en Afrique et au Moyen-Orient.

“L’idée que la France a la capacité de peser ou de changer un président africain reste ancrée. On met donc un vernis pour éviter ce reproche”, ajoute-t-elle.

D’autres analystes considèrent que la France n’a de toute manière plus les moyens d’une relation bilatérale avec ses anciennes colonies et qu’elle agit en fonction de ses intérêts, en particulier énergétiques.

AFFICHAGE

Ainsi, pour Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique, Paris n’a pas de doctrine définie et agit “au coup par coup” avec des mobiles distincts s’agissant de la Côte d’Ivoire ou de la Libye.
“Il y a un affichage sur les droits de l’homme et l’humanitaire. Mais en réalité, c’est la realpolitik en fonction des intérêts économiques et financiers français”, dit-il.

Selon lui, la France a plutôt agi “à son corps défendant” en Côte d’Ivoire, d’où elle avait véritablement la volonté de se retirer puisque la base militaire qu’elle y entretenait a été la première à fermer en Afrique en 2009.

Paris a maintenu sur place sa force “Licorne”, mais il s’agit d’une participation des armées françaises au maintien de la paix d’une façon complémentaire à l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci).

Antoine Glaser estime que Nicolas Sarkozy aurait continué à “s’accommoder de Laurent Gbagbo” si ce dernier avait remporté une nouvelle fois les élections.

Au lieu de quoi, le président sortant, battu par son rival Alassane Ouattara, a refusé de céder le pouvoir et entamé un bras de fer de quatre mois avec la communauté internationale.

“La situation était bloquée et l’Onu impuissante: la France a fait la différence”, estime Dominique Moïsi de l’Institut français des relations internationales (Ifri), dans Libération.

AVERTISSEMENT AUX DICTATEURS

Le Premier ministre, François Fillon, a répété mardi que la France n’avait “pas vocation à rester en Côte d’Ivoire” et a mis en avant l’exemplarité de la chute de Laurent Gbagbo.

“Nous avons envoyé avec l’Onu un message symbolique extrêmement fort à tous les dictateurs”, a-t-il dit lors des questions d’actualité à l’Assemblée nationale.
“Nous leur avons indiqué que la légalité, la démocratie devaient être respectés et qu’il y avait des risques pour ceux qui ne le faisaient pas”, a-t-il ajouté.

Pour Dominique Moïsi, il s’agit aussi d’un “avertissement” à Mouammar Kadhafi alors que l’intervention lancée le 19 mars par la coalition internationale est menacée d’enlisement.

Dans le cas de la Libye, Paris a agi par “opportunisme politique” pour se racheter de la lenteur de sa réaction aux révoltes arabes en Tunisie et en Egypte mais aussi pour défendre ses intérêts géostratégiques, estime Antoine Glaser.

Nicolas Sarkozy avait justifié le tapis rouge déroulé en 2007 à Paris pour le dirigeant libyen par la signature de mirobolants contrats dont seule une partie s’est concrétisée.

“Il est bien évident Nicolas Sarkozy s’est senti floué par Kadhafi qui avait promis 14 milliards d’euros de contrats”, dont dix fermes, avance Antoine Glaser.

Les interventions en Côte d’Ivoire et en Libye ont permis à Nicolas Sarkozy de redorer son blason sur la scène internationale. Mais cette politique comporte des risques.

“Le coût diplomatique et politique risque d’être énorme”, estime Jean-François Bayart, du Ceri-Sciences-Po. “Pour nombre d’Africains, y compris dans la population ivoirienne, Paris a renversé un président pour mettre à sa place un ami de Sarkozy, du FMI et des Américains”, dit-il dans Libération.

Edité par Yves Clarisse

REUTERS – mardi 12 avril 2011 15h58

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