Nouvelle Guerre froide et refus de la diplomatie : Un scénario perdant pour tout le monde

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Les leaders Républicains puisent dans la nostalgie de l’ère Reagan pour unir leur parti, mais une guerre froide au XXIe siècle ne serait bénéfique pour personne.

Les événements entourant le premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont pris des allures de Guerre froide, avec l’Amérique et ses alliés alignés d’un côté et la Chine et la Russie de l’autre. Certains hommes politiques à Washington – et peut-être à Pékin – semblent à l’aise avec cette situation. Mais ils devraient être prudents. Il n’y a aucune raison de croire qu’une répétition de la guerre froide au XXIe siècle serait bénéfique pour qui que ce soit, surtout pour les États-Unis.

La semaine dernière, le président Biden a effectué une visite spectaculaire à Kiev, puis s’est adressé à une foule à Varsovie, promettant le soutien inébranlable des États-Unis à l’Ukraine. Le président Poutine a prononcé son propre discours, dans lequel il s’est entêté à dire que l’OTAN était responsable de la guerre et a suspendu la participation de la Russie à un traité vital de contrôle des armes nucléaires. Pendant ce temps, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a affronté son homologue chinois, Wang Yi, à Munich, et a averti la Chine de ne pas fournir d’armes à la Russie. Yi s’est ensuite rendu à Moscou et s’est tenu aux côtés du président Poutine pour une séance de photos.

Des courants dangereux nous entraînent vers une nouvelle guerre froide, très différente. Cette fois, la Chine et la Russie seraient opposées à une coalition dirigée par les États-Unis, composée d’alliés européens et d’alliés proches de l’Indo-Pacifique comme le Japon, la Corée du Sud et l’Australie. L’administration Biden, et certains de leurs homologues chinois, espèrent probablement s’écarter de ces courants, mais c’est de plus en plus difficile. Les événements de cette semaine ont pour toile de fond l’affaire du ballon espion chinois, la guerre commerciale et technologique entre les États-Unis et la Chine et plusieurs années de détérioration des relations diplomatiques entre Washington, Pékin et Moscou. Le temps ne joue pas en faveur des partisans de la détente.

À Washington, le système politique américain semble se préparer à une nouvelle guerre froide. Certains dirigeants républicains, par exemple, sont désireux d’utiliser la nostalgie de Ronald Reagan pour unir leur parti divisé et évoquer le souvenir d’une époque plus faste pour la politique étrangère du parti, avant le désordre des années George W. Bush et Trump. Il est révélateur que le représentant Mike Gallagher, qui préside le nouveau comité spécial de la Chambre des représentants sur la Chine, ait explicitement exprimé sa conviction que la guerre froide devrait guider la politique américaine envers la Chine.

La rhétorique anti-chinoise est également bien accueillie par le Parti républicain qui recueille aujourd’hui de nombreux votes dans les zones à faibles revenus, à prédominance blanche, où les gens sont malchanceux et prêts à accuser les Chinois d’être responsables de leurs difficultés. Cela contribue à alimenter les arguments républicains en faveur du « découplage » des économies américaine et chinoise, de la reconnaissance de l’indépendance de Taïwan et d’autres mesures qui intensifient inutilement le conflit avec Pékin. Les Démocrates, qui sont déjà irrités par les mauvais résultats de la Chine en matière de droits humains et par son soutien manifeste à Poutine, réagissent en adoptant des positions plus agressives.

Le nationalisme impatient, l’expansionnisme militaire et la diplomatie irascible de Pékin n’aident évidemment pas. La perspective que les dirigeants chinois envisagent sérieusement de fournir une assistance mortelle à la Russie – comme l’a affirmé Blinken à Munich – est particulièrement inquiétante car elle indique que Pékin ne comprend peut-être pas pleinement la profondeur de la réserve d’animosité à son encontre dans l’Amérique actuelle. Il n’est pas certain que les dirigeants autocratiques de la Chine comprennent le rôle de l’opinion publique dans la politique étrangère américaine.

Superficiellement, un retour à la bipolarité de l’ancienne impasse est-ouest pourrait sembler avantageux pour l’Occident. Après tout, le monde libre a gagné la dernière fois et, malgré la morosité de Docteur Folamour, a évité la guerre nucléaire. La Guerre froide avait aussi l’avantage de simplifier les choses. Au moins, nous savions qui était l’ennemi. Elle a également permis de contenir certains des grands problèmes de sécurité qui menacent le monde depuis lors, tels que les États en déliquescence, le terrorisme et la propagation des armes de destruction massive.

Mais une guerre froide du milieu du XXIe siècle serait très différente de son précurseur du XXe siècle. Tout d’abord, il est trop facile d’oublier que la puissance économique américaine était alors trois fois supérieure à celle des Soviétiques. En revanche, l’économie chinoise rivalise aujourd’hui avec celle de l’Amérique.

Pendant la Guerre froide, l’Amérique a pu utiliser son énorme avantage économique pour dépenser massivement dans la défense tout en construisant un système de protection sociale qui a apaisé les tensions inévitables du système libéral. Dans une nouvelle guerre froide, l’Amérique et ses alliés pourraient espérer que leur modèle économique et politique libéral leur donnera l’avantage technologique et économique qui rendrait cela possible, mais la Chine n’est pas une économie planifiée comme l’Union soviétique et aura presque certainement beaucoup plus de succès sur le plan économique.

Au siècle dernier, le début de la Guerre froide n’a pas non plus nécessité de processus de découplage économique. Mais cette fois-ci, les bouleversements du découplage économique entraîneraient presque certainement une volatilité politique intérieure. Cela rendrait les politiques étrangères des deux parties plus imprévisibles, et probablement plus belliqueuses.

Pendant ce temps, l’Amérique devrait financer un renforcement de l’armement non seulement en Europe, mais aussi en Asie. Cela créerait une charge fiscale encore plus lourde en Amérique, d’où une augmentation des impôts et une pression inflationniste accrue. Si la Chine se défaisait de ses avoirs massifs en dollars, ce qui semble probable, la situation fiscale s’aggraverait encore.

Une autre différence encore est que de nombreux alliés des États-Unis auraient du mal à payer leurs propres factures de défense tout en maintenant une séparation économique avec la Chine. En fait, ils pourraient même ne pas le vouloir. Alors que l’idéologie soviétique appelait à un renversement de leurs systèmes politiques libéraux et à l’appropriation de la propriété bourgeoise, l’idéologie de la Chine d’aujourd’hui ne représente pas une telle menace.

Surtout dans les premières années d’une nouvelle guerre froide, le risque d’une guerre accidentelle serait élevé. Les premières crises de la Guerre froide, par exemple à propos de Berlin en 1948, ont presque conduit à la guerre avant que des esprits plus calmes ne l’emportent. Il n’y a aucune garantie qu’une crise aujourd’hui serait également résolue de manière pacifique. L’incertitude des deux parties quant aux lignes rouges et aux capacités militaires augmenterait le risque de malentendus et inciterait à prendre des risques militaires, surtout si la communication est rompue. Dans ce contexte, les mesures militaires défensives visant à prévenir la guerre pourraient accidentellement la déclencher. Les coûts de la guerre seraient dévastateurs : même les estimations les plus prudentes d’une impasse à propos de Taïwan font état de pertes de plusieurs milliers de milliards de dollars.

Les États-Unis et l’Union soviétique ont réussi à éviter une guerre thermonucléaire mondiale au XXe siècle, mais cela ne doit pas nous inciter à être trop confiants quant à ce qui pourrait se passer à l’avenir. Le monde du XXe siècle a plus d’une fois frôlé le destin, par exemple lors de la crise des missiles de Cuba en 1962 et de l’exercice « Able Archer » de l’OTAN en 1983. [Exercice militaire mené par l’OTAN dans le but d’entraîner ses postes de commandement militaires aux procédures d’utilisation des frappes nucléaires. Ce moment est comparé au niveau de risque atteint lors de la crise des missiles de cuba en 1962, NdT] La création de la stabilité stratégique – une situation dans laquelle aucune des parties n’a intérêt à déclencher une guerre nucléaire – sera déjà assez compliquée dans un monde où la Chine et la Russie sont susceptibles de disposer d’arsenaux nucléaires de la taille d’une superpuissance. La concurrence politique et sécuritaire d’une nouvelle guerre froide pourrait la rendre impossible.

Parfois, la confrontation entre les puissances mondiales est nécessaire. Elle peut même être constructive. Mais je doute que l’administration Biden se réjouisse de la tendance à une nouvelle impasse bipolaire et j’espère que Pékin est plus préoccupé qu’il ne le laisse paraître. La guerre froide est peut-être le modèle de concurrence entre grandes puissances avec lequel Washington est le plus à l’aise, mais c’est un modèle dangereusement trompeur auquel il faut résister.

Christopher S. Chivvis est directeur du programme American Statecraft au Carnegie Endowment for International Peace.

Source : The Guardian, Christopher S. Chivvis
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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7 COMMENTAIRES

  1. LE MONDE NE DOIT PAS APPARTENIR AUX MALADES MENTAUX OCCIDENTAUX

  2. Le monde appartient aux puissants, c’est une (mauvaise) loi de la nature .
    Dans le règne animal il y a une hiérarchie et cette chaine de valeur c’est “qui dévore l’autre”
    Le monde humain est organisé de la même façon , qu’il soit unipolaire, bipolaire et multipolaire …. les hommes (et les États) se dominent entres eux . Cette hiérarchie est immuable depuis la nuit des temps car le plus petit est toujours dominé par plus puissant (même dans un jeux d’alliance)

  3. Le Monde ne sera plus comme avant, c’est l’ephemisme de parler d’une nouvelle guerre froide! C’est Une Guerre tendanciellement Mondiale. Deux Armées qui s’affrontent et chacune ayant d’autres pays comme soutiens et appuis. La ligne rouge sera franchi quand une des parties utilise un engin nucléaire ( riche ou pauvre).

  4. Un monde multipolaire doit être démocratique, les Russes, les Chinois, l’Iran, la Corée du nord ne veulent pas d’un monde multipolaire car cela serait la fin de leurs régimes autocratique.

    • La democratie a l’Occidental n’est pas la pilule a prescrire pour tout le monde sinon ce sera le meme monde unipolaire que nous rejetons de toute force, laissons les autres vivre leur système politique comme ils veulent et ne pas croire que l’Occident Esclavagiste, Criminel, Colonialiste et Exploiteur est e chemin pour tout le monde, arrêtons les idiotes et les animosités!

  5. Ce n’est pas une question de guerre chaude ou de guerre froide mais d’un monde multipolaire que nous sommes en train de construire et nous sommes dans cette dynamique et allons gagner car la domination de l’Occident imperialiste et exploiteur ne peut continuer, nous sommes tous des Humains avec les memes droits, les memes devoirs et les memes libertés!

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