Chef traditionnel atypique et intellectuel respecté, l’émir de Kano, dans le nord musulman conservateur du Nigeria, veut dépoussiérer le droit de la famille pour mettre fin à “l’oppression des femmes”. En commençant par limiter la polygamie très répandue.
Comme ses pairs à travers le Nigeria, Muhammad Sanusi II, 55 ans, deuxième dignitaire musulman du pays, géant de plus de 190 millions d’habitants, est le fier gardien du passé et des coutumes de son peuple.
Mais l’émir, qui fut avant sa nomination en juin 2014 banquier à Londres et New York, puis gouverneur de la Banque centrale du Nigeria et professeur d’université, incarne une nouvelle génération montante de chefs traditionnels au Nigeria et se pose en réformateur progressiste.
Dans l’Etat de Kano, où la charia (loi coranique) a été réintroduite en 2000, il n’hésite pas à remettre en question certains dogmes.
Depuis plus d’un an, une équipe de religieux et de juristes rassemblés par l’émir planche sur un projet de “Code de la famille”, régissant mariage, divorce ou héritage et censé mettre fin aux abus au sein des foyers, a-t-il ainsi révélé dimanche.
Ce document de 670 pages recommande notamment de punir sévèrement violences domestiques, mariages précoces et forcés répandus dans cette région, mendicité des enfants et “humiliation des femmes”.
“Le mariage est aujourd’hui devenu une farce dans le Nord”, a asséné M. Sanusi lors de noces à Kano, cité millénaire de l’islam qui compte 10 millions d’habitants et le nombre de divorces le plus élevé du pays.
L’émir ne dispose en théorie d’aucun pouvoir politique, mais exerce une grande influence sur les affaires de l’Etat de Kano, dont le gouverneur, Umar Ganduje, a déjà apporté son soutien au projet de réforme.
Un projet qui suscite toutefois de nombreuses résistances des chefferies traditionnelles et un déferlement de critiques sur les radios locales.
La polygamie est la norme chez les musulmans du nord du Nigeria, l’islam autorisant jusqu’à quatre épouses.
Imprégné d’éducation libérale et occidentale, M. Sanusi a lui-même trois épouses et de nombreux enfants.
Ce qui ne l’a pas empêché pas d’annuler récemment un décret local plafonnant le coût des mariages, estimant que cette mesure permettait à des hommes d’épouser plusieurs femmes sans avoir les moyens de les entretenir.
“Si vous êtes le père d’un enfant, vous êtes responsable de sa prise en charge. Donc, si vous savez que vous n’êtes pas capable de vous en occuper, ne le mettez pas au monde”, a aussi déclaré l’émir.
– ‘Pas de retour en arrière’ –
Dans le nord du Nigeria, beaucoup se marient et divorcent aussitôt, abandonnant femmes et enfants, livrés à eux-mêmes dans les rues de Kano, ancien carrefour commerçant et industriel en déclin depuis les années 1980, aujourd’hui frappé par le chômage.
Proies faciles, les enfants sont exposés aux trafics, aux drogues, aux abus sexuels et à l’endoctrinement idéologique de mouvements radicaux comme Boko Haram, préviennent des ONG sur place.
Mais pour de nombreux musulmans du nord du Nigeria, qui s’en remettent d’abord à Dieu pour assurer leur subsistance et celle de leur famille, si Kano enregistre un nombre record de mendiants, c’est qu’ils y étaient prédestinés.
Muhammad Sanusi II dénonce ceux qui voient dans la mendicité une “tradition” liée à la notion de charité et promet de mettre fin à l’impunité des maris.
Des efforts ont été entrepris pour lutter contre l’augmentation des divorces et aider les femmes seules à se (re)marier, comme les “mariages de masse”, programme mis en place par l’Etat et la police islamique, dont les candidats potentiels se voient offrir l’argent de la dot.
Dimanche, 1.500 couples – dont beaucoup de divorcés et de veuves – se sont ainsi mariés à la mosquée centrale de Kano devant l’émir. Les critères sont stricts: les futurs époux doivent s’être fréquentés pendant plusieurs mois avant de s’unir pour éviter le seul mirage de l’argent.
Interrogée par l’AFP, Attine Abdullahi, de l’association La voix des veuves, des divorcées et des orphelins, s’est dite “très satisfaite” des propositions de M. Sanusi. Mais les oppositions au sein de cette région conservatrice restent fortes.
“Le changement est toujours difficile à mettre en oeuvre et les gens ne sont pas nécessairement prêts à accepter et à apprécier le changement”, a admis l’émir. “Mais les gens doivent se préparer au code de la famille, il n’y aura pas de retour en arrière”, a-t-il averti
Publié: le 02-03-2017 rfi.fr