“Nous ne laisserons pas la Libye devenir une autre Syrie ou un autre Irak”

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VIDÉO. La poudrière libyenne va-t-elle exploser ? L’opinion du ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Tripoli, non reconnu par la communauté internationale.

Ancien journaliste, professeur universitaire, contraint à 20 ans d’exil aux États-Unis après avoir été arrêté et torturé par le régime du colonel Kadhafi, Aly Abuzaakouk est ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Tripoli. Soutenu par des milices islamistes, contrôlant une partie importante du territoire libyen, le gouvernement de Tripoli ne reconnaît pas l’exécutif d’unité nationale de Fayez Al Serraj soutenu par les Nations unies et siégeant à Tobrouk. Malgré un accord signé en décembre entre les Parlements représentant les deux parties, Tripoli et Tobrouk menacent une nouvelle fois d’entrer en guerre. Aly Abuzaakouk de passage à Rome a accordé une interview au Point.

Le Point : Pourquoi les autorités de Tripoli refusent-elles de reconnaître le gouvernement d’unité nationale de Tobrouk soutenu par les Nations unies ?

Aly Abuzaakouk : Il n’y a pas de gouvernement d’unité nationale. Il n’existe qu’un document politique rédigé sous l’égide de Bernardino Leon, l’envoyé spécial des Nations unies, qui s’est révélé être un agent à la solde des Émirats arabes. Bernardino Leon a tout fait pour que le GNC (gouvernement de Tripoli, NDLR) n’ait aucun rôle dans le processus politique libyen. Il a fait ratifier le document par des membres de la société civile qui ne représentent personne, des députés sans mandat particulier et des maires qui n’ont aucune légitimité pour décider de l’avenir du pays. De quel droit ?

Les Nations unies ont remplacé Bernardino Leon par Martin Kobler. Ça ne suffit pas à mettre fin à la crise politique ?

Quand Martin Kobler a remplacé Leon, il était censé résoudre les problèmes posés par son prédécesseur. En réalité, il a repris exactement le même plan, sauf qu’il a augmenté à 8 le nombre de membres du conseil présidentiel. En outre, le document a besoin de la ratification du Parlement et il faut amender la Constitution. Cela n’a pas eu lieu. Ça n’empêche pas la communauté internationale de ne reconnaitre que le gouvernement de Tobrouk et Fayez Al Serraj de se comporter comme le patron de la Libye. C’est absurde.

Au-delà des difficultés et des maladresses, pouvez-vous arriver à faire un accord avec Tobrouk pour unifier les autorités de la Libye ou êtes-vous destinés à rester des ennemis ?

Bien sur qu’on peut s’entendre ! En décembre, des représentants du GNC du HOR (Parlement de Tobrouk, NDLR) se sont rencontrés à Malte. Je peux vous révéler que le Premier ministre de Malte avait alors téléphoné à Martin Kobler pour lui dire que les deux parties étaient prêtes à collaborer et qu’il devait sauter dans un avion pour résoudre la crise. Kobler a répondu : « Non, je ne viens pas. » Vous devriez lui demander pourquoi. Plus récemment, la semaine dernière, 30 membres du Parlement de Tobrouk sont venus à Tripoli pour négocier pendant une semaine avec leurs homologues du GNC. Ils ont stipulé un document équilibré demandant la formation d’un gouvernement composé de 10 représentants de Tobrouk et 10 de Tripoli. J’espère que la France, l’Europe, les États-Unis et les Nations unies vont comprendre que les Libyens ne vont accepter aucune solution imposée. Les Nations unies doivent jouer le rôle de « facilitateur », pas celui de dictateur.

Vous refusez pourtant de négocier avec le général Haftar, l’homme fort de Tobrouk. Pourquoi ?

Outre Daech, la Libye a deux problèmes : le général Haftar et les groupes salafistes. Haftar a commis des crimes contre l’humanité. Il a attaqué Benghazi, la ville qui s’est soulevée contre Kadhafi, et son université, la mère des universités libyennes. Je ne comprends pas pourquoi la France soutient Haftar. Tous les révolutionnaires libyens s’allieront pour combattre Haftar. Les groupes salafistes répondent directement au prince saoudien Mohammed Bin Sayef (fils du roi Salam et récemment décoré de la Légion d’honneur , NDLR) et combattent aux côtés du général Haftar.

Sans aide extérieure, pensez-vous pouvoir gagner la guerre contre Daech ?

Qui a battu Daech sans aide extérieure à Derna et à Sabratha ? Les Libyens. Qui combat en ce moment à Syrthe et Ras Lanuf ? Les Libyens. Notre islam est modéré et il n’y a pas de Libyens dans les rangs de Daech. On n’a jamais vu un Libyen se faire sauter dans un attentat kamikaze, cela ne fait pas partie de notre culture. Mais Daech n’est pas un danger pour la seule Libye, c’est un danger pour toute la Méditerranée. La meilleure façon de combattre Daech, c’est de nous soutenir avec des armes, des munitions et des moyens logistiques. Mais nous ne voulons pas de « foreign boots » (de bottes étrangères, NDLR) sur le sol libyen. Si une coalition envahit notre terre, ce sera une violation de notre souveraineté et notre peuple le considérera comme un acte de guerre. Nous ne laisserons pas la Libye devenir une autre Syrie ou un autre Irak.

Certaines ONG évoquent la présence de plus de 500 000 migrants qui attendraient sur les côtes libyennes l’occasion de s’embarquer pour l’Europe. Ces chiffres sont-ils crédibles ?

Il n’y a pas de chiffres officiels, mais c’est moins que ça. Le cœur du problème vient des pays d’origine des migrants : la pauvreté, le manque de développement. C’est le résultat d’années d’exploitation colonialiste. Si on veut aider ces personnes, il faut une vraie politique de développement sur place pour qu’ils ne veuillent plus quitter leur pays. Ce sont des êtres humains qui veulent simplement une vie décente. Mais nous faisons notre possible pour limiter cette immigration. À Zuara, les habitants ont créé leur propre organisation pour arrêter l’immigration illégale et plus un seul immigrant ne part de Zuara.

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Publié le 21/03/2016 à 09:00 – Modifié le 21/03/2016 à 11:15 | Le Point.fr

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