Dans une nouvelle expertise judiciaire, dévoilée lundi, des médecins belges pointent la responsabilité des gendarmes dans la mort d’Adama Traoré. Selon eux, le jeune homme, à l’état de santé fragile, aurait été victime d’un “coup de chaleur” qui se serait aggravé suite aux “manœuvres momentanées de contrainte” des gendarmes.
Encore un nouvel élément dans l’affaire Adama Traoré, devenue symbole des violences policières en France : une expertise judiciaire belge, dévoilée lundi 8 février, conclut que le jeune homme est décédé, il y a près de quatre ans, d’un “coup de chaleur”, qui n’aurait “probablement” pas été mortel sans l’interpellation des gendarmes.
Pour l’avocat de la famille Traoré, Me Yassine Bouzrou, cette expertise est un “tournant” et justifie une mise en examen des trois militaires impliqués, dont les avocats ont au contraire défendu la légitimité des “gestes réglementaires” de leurs clients.
Adama Traoré, un jeune homme noir de 24 ans, est décédé le 19 juillet 2016 dans la caserne de Persan, près de deux heures après son arrestation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise, dans le Val-d’Oise, au terme d’une course-poursuite, un jour de canicule où la température avait frôlé les 37°C.
Ce rapport médical, dévoilé lundi par L’Obs et consulté par l’AFP, a été commandé en juillet dernier par les juges d’instruction parisiens, dans l’impasse après quatre ans de bataille d’expertises contradictoires.
Plusieurs collèges d’experts de la justice ont écarté la responsabilité des gendarmes sans s’accorder sur les causes du décès, tandis que la famille et ses médecins accusent les militaires d’avoir pratiqué un “plaquage ventral” qui a causé une “asphyxie positionnelle” fatale de la victime.
Une “procédure d’immobilisation” dénoncée dans le rapport
S’ils rejettent cette dernière piste, les auteurs belges de la nouvelle expertise estiment que “l’intervention dans le processus létal d’une période d’asphyxie ‘par contrainte physique’ ne peut être écartée”.
Les gendarmes, seuls témoins de la scène dans l’appartement où Adama Traoré s’était caché après avoir fui une première interpellation, ont raconté avoir menotté le jeune homme, qui se débattait allongé sur le ventre, en s’y mettant à trois, l’un d’eux appuyant ses genoux sur son dos.
“La procédure d’immobilisation ne semble pas particulièrement agressive mais n’est pas particulièrement prudente non plus d’autant que le sujet semblait un instant auparavant, selon un témoin, déjà en situation de difficulté respiratoire”, écrivent les médecins.
Les experts concluent que “M. Adama Traoré a très vraisemblablement développé un coup de chaleur” après une course poursuite “relativement brève mais intense”, sous adrénaline et en pleine canicule. Deux heures après le décès, la température de son corps était de 39,2 °C.
Pour expliquer l’aggravation de son état de santé “inhabituellement rapide”, les médecins évoquent deux possibles facteurs : les manœuvres momentanées de contrainte” des gendarmes et, “dans une plus faible mesure”, les “états pathologiques sous-jacents” du jeune homme.
Adama Traoré souffrait d’une maladie génétique, la drépanocytose, associée à une pathologie rare, la sarcoïdose. En 2018, un premier collège d’experts, aux conclusions balayées par les médecins de la famille, avait retenu ces maladies parmi les causes principales du décès.
Au terme de leur rapport d’une centaine de pages signé le 13 janvier, les médecins belges concluent que “cette évolution” fatale du coup de chaleur “n’aurait probablement pas eu lieu sans l’intervention de ces facteurs aggravants”.
En outre, les médecins affirment avoir un “doute sérieux” sur la possibilité qu’Adama Traoré ait pu se relever et marcher jusqu’au véhicule des gendarmes, comme l’ont affirmé ces derniers.
Des antécédents médicaux inconnus des policiers
Pour leurs avocats, “les gestes réglementaires opérés par les trois gendarmes l’ont été au regard de la rébellion d’Adama Traoré”. “Ces trois agents étaient dans l’ignorance la plus complète des antécédents médicaux de cet homme et de ce qui pouvait s’être produit physiologiquement pour lui” avant leur arrivée, poursuivent Mes Rodolphe Bosselut, Pascal Rouiller et Sandra Chirac Kollarik.
“Cette expertise médicale est un tournant car pour la première fois des experts nommés par les juges affirment que les gestes des gendarmes ont causé la mort d’Adama Traoré. Jusqu’alors, seuls les médecins mandatés par les parties civiles l’avaient affirmé”, s’est félicité Me Bouzrou.
Le premier rapport commandé par la famille auprès de quatre médecins avait été rendu en mars 2019 alors que l’enquête, terminée sans mise en examen des gendarmes, s’orientait vers un non-lieu. En réponse, les juges avaient missionné un nouveau collège d’experts, qui avaient attribué en mai 2020 le décès à un “œdème cardiogénique”, “dans un contexte de stress intense et d’effort physique”.
Pour protester contre leurs conclusions, Me Bouzrou avait immédiatement remis un deuxième rapport rédigé par un des co-auteurs du premier.
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