François Mitterrand, qui aurait eu cent ans cette année et dont on a commémoré ce 8 janvier le 20e anniversaire de la mort, entretenait des relations houleuses avec son homologue du Burkina Faso Thomas Sankara. Pourfendeur du néocolonialisme, ce dernier n’a jamais ménagé le président français, qui n’avait pas rompu avec la Françafrique. Au point que beaucoup ont vu la main de la France et de certains de ses alliés africains dans l’assassinat du bouillant « père de la révolution » burkinabè. Retour sur la rencontre entre deux hommes que tout opposait.
Les relations furent difficiles entre la France de François Mitterrand et le Burkina Faso sous Thomas Sankara. Loin d’être un épiphénomène de la politique africaine de la France, ces difficultés étaient emblématiques des limites de la diplomatie du bâton et de la carotte que l’ancienne puissance coloniale a longtemps pratiquée dans son « pré-carré » africain, surtout dans les décennies qui ont suivi l’indépendance de ses colonies. Avec l’arrivée au pouvoir à Ouagadougou en 1983 d’un « ovni » nommé Thomas Sankara, le président Mitterrand s’est retrouvé confronté à une nouvelle génération de dirigeants politiques qui étaient à mille lieues des potentats avec lesquels la France avait l’habitude de travailler.
Le capitaine Sankara n’était en effet ni Bokassa, ni Eyadéma, ni Houphouët-Boigny. Fils d’un Peul et d’une Mossi, ce militaire de carrière s’était fait connaître lors de la malheureuse « guerre des pauvres » qui avait opposé son pays au Mali en 1975. Ses actes de bravoure pendant la guerre avaient fait de lui le militaire le plus populaire de la Haute-Volta, comme se nommait à l’époque le Burkina Faso. « C’était un militaire pas comme les autres », se souvient Bruno Jaffré, auteur d’une biographie de Thomas Sankara (1). « A l’affût des connaissances et des savoirs, ce commandant de l’unité de parachutistes allait chaque mois, raconte le biographe, emprunter des livres à la bibliothèque du Centre culturel français à Ouagadougou. Il encourageait aussi les militaires sous ses ordres à lire. »
Marxiste et anti-impérialiste
Arrivé sur le devant de la scène à la faveur d’une série de coups d’Etat militaires, qui ont ponctué la vie politique de ce petit pays enclavé dès le début de la décennie 1980, Sankara fut successivement secrétaire d’Etat à l’Information, puis Premier ministre et enfin président, à la faveur du coup d’Etat d’août 1983 soutenu par les courants gauchistes. Il prit la tête du nouvel exécutif en sa qualité de chef du Conseil national de la révolution (CNR), composé de jeunes officiers. Il proposa de réformer profondément le pays et de combattre le sous-développement. Qualifiant son régime de marxiste et d’anti-impérialiste, le nouveau chef de l’Etat développa un discours nationaliste et populaire qui allait susciter l’enthousiasme à l’intérieur et la méfiance à l’extérieur, notamment au sein de la cellule africaine de l’Elysée.
Devenue la principale cible de de la rhétorique révolutionnaire du nouveau régime, la France fut pointée du doigt comme le principal frein au développement de l’Afrique. Cette mauvaise humeur du bouillant capitaine à l’égard de l’ex-puissance coloniale trouvait ses origines, semble-t-il, dans un épisode malencontreux de la diplomatie bilatérale survenu pendant le passage de Sankara à la primature. « Le 16 mai 1983, Guy Penne, conseiller aux Affaires africaines de Mitterrand, atterrit à Ouagadougou. Le 17 mai 1983, un putsch écarte Sankara du poste de Premier ministre », raconte Bruno Jaffré.
L’intéressé imputera sa mise à l’écart à la France, par « Monsieur Afrique » de François Mitterrand interposé. « Guy Penne a fait utiliser les chars contre nous », aurait déclaré Sankara à son biographe. L’affaire prit l’allure d’un véritable drame diplomatique lorsque ce même Guy Penne fut dépêché à Roissy, en octobre 1983, pour recevoir Sankara venu assister au sommet franco-africain. Comme on pouvait s’y attendre, cet accueil fut ressenti comme une provocation et il faudra tout le tact de l’Elysée et du Quai d’Orsay pour que le chef de l’Etat burkinabè consente à poursuivre sa visite. Il boycottera les sommets France-Afrique suivants pour manifester sa volonté de rompre avec les rituels d’une diplomatie franco-africaine qu’il qualifiait de « néocoloniale ».
A ces incidents diplomatiques qui envenimaient les relations entre Paris et Ouagadougou, étaient venus s’ajouter des différends sérieux entre les deux capitales concernant les accords de coopération que le Burkina voulait renégocier. Paris, pour sa part, voyait avec un agacement croissant le rapprochement de Sankara avec le bloc soviétique, et en particulier la Libye de Kadhafi, avec qui la France était en guerre à cause de ses visées sur le Tchad. Les voisins africains du Burkina, eux aussi, vivaient mal l’appel à la révolution du fougueux capitaine, qui était devenu un héros pour la jeunesse du continent. Au point que, explique Bruno Jaffré, « les chefs d’Etat africains n’osaient plus inviter le président burkinabè de peur d’être débordés par des manifestants venus soutenir leur icône ».
Une joute oratoire
C’est dans ce contexte que se déroula le 17 novembre 1986 la visite à Ouagadougou de François Mitterrand, au retour du sommet France-Afrique de Lomé. Une visite de courtoisie qui allait déboucher sur une joute oratoire entre les deux présidents, comme on a rarement vues dans les réunions franco-africaines.
Au dîner de gala, au lieu de prononcer le discours convenu de bienvenue, le jeune capitaine-président du pays hôte prit la parole pour dire avec la franchise impertinente qui le caractérisait tout le mal qu’il pensait de la gestion par la France de ses relations avec ses anciennes colonies d’Afrique. Ce fut une véritable diatribe sur les thèmes du néo-colonialisme, de l’apartheid, des relations entre le Nord et le Sud. L’Histoire se souviendra aussi de la réplique cinglante que fit François Mitterrand au jeune impertinent, improvisant à son tour un cours de géopolitique en termes aussi mesurés qu’ironiques.
Cet échange a fait couler beaucoup d’encre en son temps. La droite française, revenue au pouvoir en 1986, quelques mois avant la rencontre de Ouagadougou, aurait pris ombrage des propos peu diplomatiques de Sankara. On ne s’adresse pas ainsi au chef de l’Etat de la France ! « En France, c’est une levée de boucliers de la part des parlementaires qui fustigent ” l’impertinence ” du président CNR », a écrit dans les pages de Jeune Afrique (2) Frédéric Lejeal. Aujourd’hui rédacteur en chef de l’influente Lettre du Continent, celui-ci avait eu accès aux archives confidentielles de l’ambassade de France à Ouagadougou. Il ajoute que cette outrecuidance était d’autant plus mal tolérée par la droite française que le Burkina conforta son hostilité à l’égard de la France en soutenant aux Nations unies en décembre 1986 une résolution proposée par les pays du Pacifique proposant d’accorder une large autonomie à la Nouvelle-Calédonie.
Je reste certain que Thomas SANKARA pouvait faire autrement en évitant de se donner à la mort de façon précoce. Il était trop téméraire et cela n’est pas bon pour un dirigeant qui veut construire son pays qui ne se fait pas sur une courte période. C’est dommage qu’il soit parti si tôt sans pouvoir avoir le temps nécessaire pour poser un bon socle de la construction de son pays. Il était exceptionnel.
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