Migrants : terminus Niger (6/8). Sur les 14 000 Nigériens expulsés par Alger en 2018, la moitié sont des femmes et des mineurs qui fuyaient les crises alimentaires.
Depuis la benne du camion, elles jettent quelques vêtements, roulés en boules dans des couvertures. Puis, à bout de bras, elles font descendre leurs enfants de la bétaillère avant de s’en extirper elles-mêmes. Une centaine de personnes débarquent ainsi de trois camions, au terme d’une route de plusieurs milliers de kilomètres à travers l’Algérie puis le Niger. La plus jeune d’entre elles a 7 jours. C’est une petite fille, elle s’appelle Mariam. Sa mère raconte qu’elle a vu le jour dans un commissariat algérien, avant que toutes deux soient expulsées du pays.
A Agadez, dans le nord du Niger, l’arrivée par convois de Nigériens refoulés d’Algérie est devenue une scène courante. Ils restent quelques heures à peine sous un grand hangar à l’extérieur de la ville, avant d’être renvoyés dans leurs régions d’origine. En 2018, ces vagues d’expulsions se sont accélérées. Plus de 14 000 Nigériens ont ainsi été déportés sans préavis par Alger, contre 6 800 en 2017 et 9 290 en 2016. S’ajoutent des milliers de migrants ouest-africains expulsés eux aussi d’Algérie, mais abandonnés pour leur part au niveau de la frontière, en plein désert.
« Ça me fait mal, la façon dont nous avons été traités », confie Ouma, une Nigérienne de 30 ans rencontrée à Agadez. Tout en s’arrangeant un coin de natte sur lequel s’installer pour passer la nuit avec ses enfants de 2 et 6 ans, elle raconte son interpellation dans la banlieue d’Alger : « Nous étions un groupe d’une dizaine de personnes en train de mendier. Et nous avons été pourchassés dans la rue par huit policiers en civil. Ils m’ont pris mon téléphone et mon argent. » Ouma raconte qu’au Niger, elle et ses enfants ne mangeaient pas à leur faim. Pour rejoindre Alger, elle a dû débourser 140 000 francs CFA (213 euros). « J’ai obtenu un crédit auprès d’amis qui étaient déjà en Algérie, explique-t-elle. Je pensais que je pourrais les rembourser. »
Camions à bétail
Ouma, comme l’écrasante majorité des Nigériens qui migrent en Algérie, est originaire de la région de Zinder, dans le sud du pays. Là-bas, la population vit surtout de l’agriculture pluviale. Plus d’un habitant sur deux a moins de 15 ans et le taux de fécondité dépasse les huit enfants par femme. La forte densité et la saturation foncière ont fait de l’insécurité alimentaire la « cause principale de la migration », analysait en 2017 un rapport réalisé par l’association nigérienne de défense des droits humains Alternative Espaces citoyens. « La production céréalière est généralement insuffisante pour couvrir les besoins alimentaires de la plupart des ménages au-delà de neuf mois », expliquent ses auteurs, qui soulignent que si la migration saisonnière est « une tradition ancienne », elle « a pris de l’ampleur au cours des dix dernières années », sous l’effet notamment d’une succession de crises alimentaires.
En outre, compte tenu de l’effondrement de la Libye depuis 2011 et de la présence de Boko Haram dans le nord du Nigeria voisin, « l’Algérie est devenue la principale destination des migrants saisonniers ». Alger a rapidement voulu contrecarrer l’augmentation des mouvements migratoires en provenance du Niger. En 2014, les deux pays se sont mis d’accord sur le principe des expulsions collectives, et c’est ainsi que, depuis, des camions à bétail immatriculés en Algérie et marqués du logo du Croissant rouge passent la frontière chargés des migrants indésirables. Un drame est à l’origine de cette entente : en octobre 2013, à une dizaine de kilomètres de la frontière algérienne, 92 corps avaient été découverts dans le désert nigérien, dont une majorité d’enfants et de femmes. Ils avaient vraisemblablement été abandonnés par leurs passeurs après des pannes de voiture et étaient morts de soif.
Sur les plus de 14 000 Nigériens déportés en 2018, près de 5 000 étaient mineurs et, parmi les adultes, près de 2 000 étaient des femmes. « Lors des refoulements, des femmes avec des bébés sont transportées dans des conditions déplorables. Cela entraîne des troubles psychologiques et des problèmes de déshydratation », s’inquiète Johannes Claes, de Médecins du monde Belgique au Niger. L’ONG est présente à Agadez, où elle soigne les populations migrante et locale. En mai, une femme est décédée dans un camion à l’entrée de la ville. Elle souffrait d’une intoxication alimentaire sévère. Son mari était décédé en Algérie. Ses deux enfants ont été hospitalisés et pris en charge à Agadez pour malnutrition et déshydratation.
Pour les autorités nigériennes, l’exode des femmes de Zinder nuit à l’image du pays. « Elles vont se prostituer ou mendier avec des enfants qui ne sont parfois même pas les leurs. Elles gâtent l’image du pays, juge un journaliste nigérien. C’est un fléau à ne pas accepter. »
Mendiants et domestiques
Malgré les risques encourus, des gens de Zinder continuent de migrer à la recherche de meilleures opportunités de vie. Sur la route vers l’Algérie, ils font étape à Agadez, dans des ghettos de fortune improvisés sur des parcelles non construites à l’écart du centre-ville. Dans l’un d’eux, une cinquantaine de personnes se sont établies. Le plus jeune des enfants a 6 mois. Tous sont originaires de Matamèye, un département de la région de Zinder. Certains sont à Agadez depuis cinq mois, d’autres un an. Ils ont construit des petites tentes où s’abriter en recouvrant de pagnes, de nattes, de tissus ou encore de vêtements des branches d’arbre. « Ça ne nous protège pas de la pluie », regrettent-ils.
Ici, les enfants ne sont pas scolarisés mais mendient. A Agadez, une journée de mendicité rapporte entre 500 et 1 000 francs CFA (entre 0,76 et 1,52 euro), ou bien du riz et des pâtes. Certaines femmes travaillent aussi pour des particuliers comme domestiques, pour 4 000 à 10 000 francs CFA par mois. Baraka a 35 ans et quatre enfants. Elle envoie une partie de ce qu’elle gagne à ses parents restés au village : « On fait aussi sécher une partie de la nourriture qu’on nous donne et on l’envoie à nos familles quand quelqu’un voyage là-bas », explique-t-elle.
Même si la route est dangereuse, Baraka dit qu’elle ira en Algérie « s’il y a une opportunité ». Car elle croit savoir que « les Algériens donnent, ils ont les moyens ». Deux hommes à côté d’elle acquiescent. Dans le pays voisin, eux pensent pouvoir gagner 10 000 francs CFA par jour sur des chantiers, contre 2 000 francs par jour à Agadez. D’autres disent avoir renoncé. La route est trop dangereuse et les risques de refoulement trop importants. Selon le rapport d’Alternative Espaces citoyens, les expulsions massives des migrants par les autorités algériennes « ont durement affecté les moyens d’existence des populations », en particulier celle des femmes et des enfants.
Par www.lemonde.fr
C’est Canberras qu’ils devraient expulser…
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