Dans un article déposé à notre Rédaction, Mevlüt Çavuşoğlu intitulé, Ministre des Affaires étrangères de la Turquie, se prononce sur des inquiétudes exprimées sur la sécurité de la population kurde en Syrie et tente de rassurer: «Les kurdes ne sont pas nos ennemis». Pour lui, la lutte contre DAECH et les autres organisations terroristes devra se poursuivre avec la contribution et la coopération de tous. «Nous sommes la seule nation qui a mis des bottes sur le terrain contre DAECH», selon le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu. Plusieurs pays européens se sont montrés réticents à permettre le retour de leurs citoyens qui ont rejoint le groupe. Cependant, fermer les yeux sur le problème ne peut pas être la politique. Ils doivent assumer leur part du fardeau, soutient-il dans cet article. «Je tiens à répéter et à souligner que la Turquie ne lutte pas contre les kurdes. Notre combat est contre les terroristes», précise-t-il. Nous publions l’intégralité de cet article.
« Pourquoi la Turquie a mené le combat en Syrie ? »
Il est consternant que l’opération militaire de la Turquie dans le nord-est de la Syrie soit présentée par les médias américains comme une attaque contre les kurdes, affaiblissant la lutte contre les restes de DAECH (ou soi-disant l’État islamique) et nuisant à la crédibilité des États-Unis avec ses alliés. Je suis contraint de rétablir les faits parce que l’alliance de soixante-sept ans de la Turquie avec les États-Unis au sein de l’OTAN n’est ni temporaire, ni tactique, ni transactionnelle.
La Turquie a lancé l’opération afin d’assurer sa sécurité nationale en éliminant le danger posé par les terroristes le long de ses régions frontalières. Cette opération libérera les syriens qui y vivent sous la tyrannie des organisations terroristes et éliminera la menace qui pèse sur l’intégrité territoriale et l’unité politique de la Syrie. Ces deux développements faciliteraient le retour en sécurité et volontaire des syriens déplacés.
La Turquie n’a jamais accepté un corridor géré par un groupe terroriste sur sa frontière. Nous avons proposé à plusieurs reprises la création d’une zone de sécurité, y compris à l’Assemblée générale des Nations Unies. Nous avons demandé aux États-Unis de cesser de fournir l’appui matériel aux terroristes.
Mais la bureaucratie de sécurité des États-Unis n’a pas pu se désengager du groupe, connu sous le nom de PYD/YPG. Ce sont même des responsables américains, dont un secrétaire à la défense, qui ont admis que le PYD/YPG, formant le noyau des forces démocratiques syriennes, est inséparable du parti des travailleurs du Kurdistan, ou le PKK, en Turquie, qui est reconnu comme une organisation terroriste par les États-Unis, l’Union européenne et l’OTAN.
Nos interlocuteurs américains semblaient convenir que ces forces devaient être éliminées le long de nos frontières et nous avions même convenu d’un calendrier. Plus récemment, les pourparlers menés entre militaires en août se sont terminés par un engagement mutuel à établir une zone de sécurité d’où le PYD/YPG était censé être retiré. Mais les États-Unis n’y sont pas parvenus et nous ont donné la forte impression qu’ils jouaient le jeu du temps alors que le groupe terroriste se retranchait encore plus profondément en Syrie.
Le PYD/YPG peut se présenter au monde comme le groupe qui a combattu DAECH, mais il contrebande aussi des explosifs au PKK en creusant des tunnels vers le territoire turc. Nous avons trouvé ses membres qui conduisent les prisonniers de DAECH vers la Turquie. Et en novembre 2017, la BBC a fait un rapport sur une entente cachée en vertu de laquelle les Forces démocratiques syriennes ont organisé le transport et permis à des centaines de terroristes de DAECH de s’échapper pendant l’opération de la coalition pour libérer la ville de Raqqa.
Nous avons dû agir. Plusieurs voix se sont inquiétées de la sécurité de la population kurde en Syrie. Je tiens à répéter et à souligner que la Turquie ne lutte pas contre les kurdes. Notre combat est contre les terroristes. Toute description de la situation comme étant « turcs contre kurdes » est malveillante et fausse. Les kurdes ne sont pas nos ennemis.
Notre cible est le complexe de terreur mené par le Parti des travailleurs du Kurdistan et le PYD/YPG, qui ont recruté des enfants soldats, intimidé des dissidents, modifié la démographie et forcé la conscription dans les zones sous leur contrôle.
Les kurdes, les arabes, les chrétiens et les autres qui ont souffert sous le joug du PYD/YPG seront mieux quand ils seront libérés. Le Conseil mondial des chrétiens araméens l’a affirmé avec insistance.
Avant de procéder à cette opération, nous avons pris toutes les mesures afin de minimiser les risques pour les civils et de prévenir une crise humanitaire. Au cours des dernières années, la Turquie a fourni un abri à un grand nombre de réfugiés du nord-est de la Syrie, y compris les arabes, les kurdes et les turkmènes.
La plupart d’entre eux, y compris plus de 300.000 kurdes, ont été chassés de chez eux par les terroristes. Nous leur avons offert sécurité, abri et moyens de subsistance en Turquie. Nous avons partagé notre pain et les avantages de nos services publics. La Turquie est le pays qui dépense le plus d’argent pour l’aide humanitaire dans le monde et accueille le plus grand nombre des réfugiés dans le monde entier.
La Turquie a établi un modèle crédible au cours des trois dernières années. Les opérations de la Turquie dans le nord-ouest de la Syrie – en 2016 et 2017 dans et autour de Jarabulus et 2018 à Afrin – ont nettoyé une vaste zone de la présence terroriste. Au lendemain de ces opérations, les communautés qui ont souffert à cause des terroristes ont commencé à vivre en paix et à bénéficier d’une gouvernance ordonnée. Quelque 365.000 réfugiés sont rentrés chez eux dans le nord-ouest de la Syrie.
Nous avons mis en place des services publics, y compris des écoles pour plus de 230.000 élèves. Six hôpitaux avec 55 ambulances emploient plus de 2.000 personnels syriens et turcs dans les zones libérées du nord-ouest de la Syrie. Des dizaines d’installations récréatives et sportives ont été construites, dont un stade de football. Les entreprises ont été réhabilitées et une porte d’accès a été ouverte pour faciliter le commerce. L’agriculture et l’élevage ont commencé à recevoir un soutien matériel.
Comparez les opérations précédentes de la Turquie à la destruction de Raqqa par la coalition et vous verrez comment nous gérons avec soin les opérations antiterroristes. Les leçons tirées de ces opérations nous aideront à l’améliorer encore cette fois-ci.
Le PKK et le PYD/YPG ont fait du chantage à la communauté mondiale en prétendant que la lutte contre DAECH serait vouée à l’échec sans eux. Mais la lutte contre ces terroristes brutaux ne chancellera pas, surtout si nos alliés gardent le cap et coopèrent avec la Turquie. Nous sommes la seule nation qui a mis des bottes sur le terrain contre DAECH. La lutte contre DAECH et les autres organisations terroristes devra se poursuivre avec la contribution et la coopération de tous. Plusieurs pays européens se sont montrés réticents à permettre le retour de leurs citoyens qui ont rejoint le groupe. Cependant, fermer les yeux sur le problème ne peut pas être la politique. Ils doivent assumer leur part du fardeau.
En Turquie, nous sommes convaincus que nous ouvrons la voie au retour des réfugiés syriens chez eux et que nous veillons à ce que DAECH et d’autres groupes terroristes ne réapparaissent pas.
Je suis conscient que le retour en sécurité et volontaire des réfugiés syriens chez eux doit être soigneusement planifié et géré. Cela doit se faire dans le respect du droit international et en coopération avec les institutions compétentes des Nations Unies. La Syrie abrite plusieurs ethnies et des conseils locaux viables et représentatifs doivent être établis jusqu’à ce qu’une solution politique soit trouvée au conflit syrien.
Après notre dernière opération antiterroriste, dans des régions où les kurdes étaient majoritaires, la Turquie a facilité la création de conseils de gouvernance locaux avec une majorité kurde pour refléter la population.
Les Syriens veulent rentrer chez eux maintenant. Ils ont plus qu’assez souffert. Nous prenons l’initiative afin d’aider à créer les conditions pacifiques nécessaires pour le retour de millions de réfugiés au pays. Contrairement aux malentendus qui prévalent, notre opération aidera à traiter la dimension humanitaire du problème, contribuera à préserver l’unité du pays et à renforcer le processus politique.
Mevlüt Çavuşoğlu, ministre des Affaires étrangères de la République de Turquie
(Article publié dans le journal « New York Times » le 11 octobre 2019)