Diplômé de l’Université Paris I et titulaire d’un MBA de l’Université Mc-Gill (Montréal – Canada), Adrien Diouf est un homme du sérail. Le monde de la finance c’est son affaire. Sa tasse de thé. Après avoir longtemps travaillé en France et au Canada, il retourne au Sénégal, en 2006, et dépose ses baluchons à l’Apix où il est en charge de la structuration financière de plusieurs projets d’Etat.
Depuis Septembre 2013, il manage à l’instar d’un sismographe, l’Agence UMOA-Titres avec comme principales missions, l’approfondissement, le développement, la promotion du marché des titres publics des pays de la zone UEMOA et l’assistance aux Trésors nationaux dans leurs opérations de levée de fonds sur les marchés financiers.
Entretien.
« Nos compétences vont de la gestion globale de la dette au renforcement des capacités »
Monsieur le Directeur, décrivez-nous la nature des relations qui unissent la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et l’Agence UMOA-Titres ?
L’Agence UMOA-Titres (AUT) est une création de la Banque Centrale, à la demande des Etats membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). La création de l’Agence relève d’un constat de la BCEAO, qui s’occupait auparavant de tout ce qu’on appelle opérations d’adjudications et qui a senti le besoin après discussion avec les Etats, de mettre en place une structure souple et opérationnelle qui va être la championne sur le marché des titres publics.
Qu’est-ce que ça veut dire « être la championne sur le marché des titres publics? »
Ça veut d’abord dire reprendre en main les activités d’adjudications de Bons et Obligations du Trésor en d’autres termes reprendre en main l’animation du marché des titres publics. Cela veut également dire travailler avec les Etats pour avoir une approche plus proche des standards internationaux et plus systématique de cette activité de leur financement au travers des marchés.
Il reste entendu que le mandat de l’Agence UMOA-Titres ne se limite pas qu’aux titres mis en adjudication puisqu’aujourd’hui les Etats ont l’opportunité de faire appel à l’Agence dans toutes leurs activités de financements liées aux marchés financiers. Ainsi, quand les Etats initient une opération d’appel public à l’épargne ou une émission à l’international ou dans le cadre de la gestion quotidienne de leur trésorerie, ils peuvent faire appel à l’AUT pour un appui-conseils et une assistance sur ces opérations. Aujourd’hui, nos compétences vont au-delà de l’organisation des adjudications pour les Etats et couvrent la gestion globale de la dette mais aussi le renforcement des capacités des acteurs du marché des titres publics. Nous nous intéressons également à tout ce qui est promotion des titres publics, ce qui représente une bonne partie de notre activité, parce que comme vous le savez, un de nos objectifs c’est d’élargir la base des investisseurs sur les titres publics de la zone UEMOA.
Quel est l’apport de l’Agence UMOA-Titres dans la facilitation des interventions des Etats sur le marché financier sous régional ?
Les Etats sont plus aptes à apprécier notre action. Mais quand on fait le bilan des actions de l’Agence, il est loisible de relever quelques changements majeurs. A ce titre, nous pouvons citer l’introduction du calendrier des émissions qui permet d’avoir à l’horizon d’un an les adjudications prévues par l’ensemble des Etats. Tous les acteurs du marché s’accordent aujourd’hui à dire que cela a amélioré leur mode d’intervention. En effet, le calendrier permet de connaître, un an à l’avance avec une confirmation chaque début de trimestre, l’ensemble des interventions sur le marché de chacun de nos Etats. Vous vous imaginez bien l’impact pour le gestionnaire de la trésorerie des banques et des compagnies d’assurances qui peuvent ainsi mieux planifier leurs interventions sur le marché.
En outre, l’Agence travaille à mettre plus d’informations à la disposition des acteurs du marché afin de mieux éclairer leurs décisions d’investissement. Après, vous avez des actions un peu plus ciblées relatives notamment à la promotion des titres publics, avec l’organisation de road shows au niveau national, régional et international pour justement permettre l’élargissement de la base des investisseurs.
Il convient également de citer toutes les optimisations du point de vue administratif qui facilitent aussi bien la vie des investisseurs que celle des émetteurs, avec aujourd’hui l’introduction du système SAGETIL qui permet de dématérialiser tout le processus d’émission. Nous pouvons aussi mentionner le plafonnement des montants retenus lors des émissions à 110% des montants annoncés car cela a entrainé une discipline qui permet de maîtriser le coût de l’endettement. Voilà pris un peu dans un ordre dispersé quelques innovations et changements qui ont été apportés au marché des titres publics depuis sa création.
« Les SVT sont d’un apport inestimable dans l’évaluation, par le marché, des titres les plus attractifs et les plus demandés»
Quelle est la procédure d’élaboration du calendrier des émissions de titres publics ?
C’est une procédure très simple. Elle s’appuie sur le budget de l’Etat. Chaque fin d’année, l’Etat planche sur son budget pour l’année à venir. A l’issue de l’adoption du budget par le Parlement, un déficit est constaté dans la majorité des cas et la question de son financement est posée.
Une grande part de ce déficit est très souvent financée par des emprunts auprès des bailleurs de fonds traditionnels ou conventionnels. La part restante est couverte par le marché. Et c’est sur cette part restante, financée par le marché que l’Agence intervient. Ces informations sont communiquées à l’AUT par les Services compétents des Etats.
L’Agence travaille avec les Directions de la dette des différents pays de l’UEMOA pour établir un calendrier d’intervention sur le marché. D’abord, à un niveau national, on travaille pays par pays et on regarde en fonction des montants à lever mais aussi du profil de la dette du pays, quel va être potentiellement le calendrier des émissions dudit pays.
Ce calendrier est ensuite confronté à la demande du marché. C’est à ce niveau que les Spécialistes en Valeurs du Trésor (SVT) sont d’un apport inestimable dans l’évaluation, par le marché, des titres les plus attractifs et les plus demandés. Sur la base de ces deux informations, un premier calendrier national consensuel est élaboré. Ce travail est fait au niveau de chaque pays puis après l’on procède à une consolidation de l’ensemble des calendriers des huit (8) pays pour établir un calendrier régional global. Comme vous pouvez l’imaginer, il y a souvent des difficultés à surmonter surtout quand deux Etats ou plus veulent émettre à la même date. Pour pallier à cela, il existe, au-delà des dispositions règlementaires, un « gentleman agreement » entre les différents Etats qui permet de ne pas émettre le même jour. Dans ce sens, certains arbitrages sont faits.
Les discussions entre les différents Etats sont coordonnées par l’Agence UMOA-Titres jusqu’à l’obtention d’un calendrier consensuel des émissions des Etats sur une année complète. Pour ce qu’il en est du domaine de la gestion de la trésorerie qui est basée sur des anticipations de recettes, de déficits, de financements alternatifs, ce calendrier est revu de manière systématique tous les trois (3) mois pour permettre aux Etats d’y apporter les révisions nécessaires. Il importe de souligner qu’il existe des règles qui font que les Etats ne peuvent pas le revoir n’importe comment et qui garantissent la stabilité et la fiabilité du calendrier annuel pour une meilleure prévisibilité des émissions programmées.
« Notre marché est globalement plus efficient et plus performant. »
Monsieur le Directeur, les besoins de financement de nos Etats étant énormes, les interventions peuvent-elles être plus fréquentes ?
Seul l’avenir nous le dira. Aujourd’hui, tous nos Etats sont lancés dans d’ambitieux programmes de développement qui nécessitent des financements importants dans un contexte de réduction des appuis extérieurs. Ces plans de développement sont établis sur la base de prévisions de croissance et de capacité de levée de fonds. Tous ces éléments sont primordiaux pour déterminer le montant futur qui va être levé sur le marché, en tout cas intentionnellement.
L’Agence UMOA-Titres se focalise sur la qualité des fonds levés ; ce qui implique des maturités beaucoup plus longues et des taux beaucoup plus bas. Toutes ces considérations vont déterminer les interventions des Etats. Mais, en se basant sur la petite expérience de l’Agence, l’on peut dire que cela va crescendo. Le volume des interventions global des émissions devient plus élevé parce que le marché devient plus performant et offre des taux plus intéressants, qui peuvent rivaliser avec les conditions offertes à l’international sur le financement privé. Donc, un marché plus compétitif va automatiquement entrainer plus d’interventions avec à la clé, nous l’espérons, la qualité qui rejoint la quantité.
Qu’est-ce qui explique aujourd’hui l’engouement de nos Etats à venir régulièrement sur le marché financier sous régional? Quel rôle l’AUT joue-t-elle dans la levée de ces fonds ?
Ce qui l’explique, c’est un peu tout ce que je vous ai indiqué tantôt. Le marché des titres publics devient de plus en plus performant avec une capacité de réaction de plus en plus présente. Aujourd’hui, on est capable d’organiser très rapidement des opérations de levées de fonds sur des montants assez conséquents. En atteste, l’opération de l’Etat du Sénégal pour laquelle nous avons levé en mars dernier, 150 milliards d’un coup. Il s’agissait d’une adjudication ciblée. Cette opération a été réitérée au mois de juin pour l’Etat du Benin qui a permis de mobiliser également 150 milliards. Je ne cite pas le cas de l’Etat de Côte d’Ivoire qui vient régulièrement pour des montants analogues.
Donc, notre marché est devenu un marché qui dispose d’une base d’investisseurs permettant de mobiliser des montants assez conséquents. Ayant réglé la problématique du volume, il se pose désormais celle de la maturité. Certes, nous n’en sommes pas encore à des maturités très longues, mais nous avons réussi à réaliser des opérations avec des maturités d’une dizaine d’années. Donc, de ce côté également, le marché devient plus performant. Viennent ensuite, les conditions de taux qui sont aujourd’hui à la baisse. Nous venons d’enregistrer deux années et demie où les taux sont de plus en plus intéressants pour les Etats. De fait, ces taux vont leur permettre d’avoir recours plus facilement à notre marché qui est globalement plus efficient et plus performant.
L’arrivée de nouveaux acteurs que sont les SVT démocratise un peu le marché des titres publics et augmente l’engouement des investisseurs pour ce marché.
Maintenant vous posez la question à savoir quel rôle joue l’agence dans tout ça. L’agence se veut la championne de cette activité. Cela veut dire que l’agence entent être la structure qui va centraliser toutes les actions qui vont être prises par les différents acteurs pour dynamiser ce marché. L’agence va être en charge de regarder le marché de façon globale mais aussi de défendre et faire la promotion du marché des titres publics.
A côté de ça, il y’a les prérogatives ou les objectifs dont on a parlé en début qui sont de faire la promotion du marché des titres publics bien sûr mais aussi d’assurer le renforcement de capacité pour que l’ensemble des acteurs soient à niveau pour une meilleure gestion de la dette à savoir une meilleure planification de la dette à travers un endettement responsable qui rentre dans une politique économique cohérente. L’agence y travaille tous les jours avec les Etats pour un respect des critères qui sont définis par la commission de l’UEMOA mais aussi avec les institutions internationales de Bretton Woods pour une meilleure gestion et un meilleur suivi de notre endettement en particulier.
Cinq mois après l’entrée en activité des Spécialistes en Valeurs du Trésor (SVT) sur le marché, quelles sont vos premières impressions ? L’avènement des SVT a-t-il un impact réel dans la mobilisation des ressources par voie d’adjudication ?
Un bilan va être dressé mais il est un peu tôt pour le faire. De façon générale, nous avons une bonne appréciation de l’état d’avancement des activités de cette contrepartie. Comme vous l’avez indiqué, les SVT ont commencé leurs activités en mars et l’on peut relever principalement deux faits majeurs : une meilleure mobilisation autour des opérations sur lesquelles ils agissent et une capacité de réaction plus rapide. Comme mentionné plus haut, nous avons réussi à organiser, dans des délais très courts, des opérations de taille assez conséquente avec un prix de sortie intéressant ; cette réalisation ne peut pas passer sous silence. Ces résultats appréciables sont à mettre à l’actif des SVT.
De plus, il y a tous les échanges avec les SVT, qui sont difficiles à quantifier, mais qui sont très importants parce qu’ils nous donnent la tonalité juste du marché. Et comme vous le savez, le marché ce n’est rien d’autre qu’une conjonction d’acteurs. Ainsi, il importe d’avoir la tonalité juste pour pouvoir faire correspondre le bon besoin à la bonne offre ; c’est ce qui permet d’avoir un marché efficient.
Le bilan des activités des SVT à date peut être jugé positif. L’on espère que le futur sera plus prometteur avec un objectif attendu particulièrement des SVT, à savoir la dynamisation du marché secondaire. C’est cette dynamisation qui va nous permettre de travailler sur des maturités plus longues, de pouvoir rallonger la durée de notre dette et d’avoir plus d’instruments à notre disposition pour répondre aux besoins des Etats.
Voilà ce qu’on peut dire des SVT aujourd’hui. Je vous donne rendez-vous dans six (6) mois, ce qui correspond à une année pleine de leur activité, pour dresser un bilan complet de l’activité des SVT.
Pouvez-vous nous faire un point sur les réformes en cours et à venir ?
L’une des grandes réformes a porté sur les règles de modification du calendrier. Cela a été une des choses les plus importantes sur cette année 2016 depuis la création de l’Agence. C’est la réforme primordiale et la plus importante. Maintenant, un certain nombre de réformes ont également été initié et vont dans le sens d’une meilleure information du marché notamment deux réformes phares déjà mentionnées.
Sur les réformes en cours, je voudrais particulièrement évoquer trois dossiers, à savoir la refonte de la note d’information, la notation financière des Etats et l’élaboration d’une courbe des taux.
L’Agence travaille actuellement à la production d’une note d’information améliorée qui, je l’espère, sera disponible pour tous les pays d’ici la fin de l’année. La nouveauté réside dans les informations plus complètes et axées sur la dette à communiquer au marché. La nouvelle note d’information contiendra donc un ensemble d’informations pertinentes permettant aux investisseurs de prendre, en toute sérénité, une décision d’investissement.
A côté de cette réforme, l’AUT souhaite qu’à une échéance de deux à trois ans, l’ensemble des Etats de l’Union soient notés par des agences dédiées afin de permettre, sur une échelle nationale, d’instaurer un système de différenciation et d’appréciation du crédit.
Pour l’avenir, nous travaillons à dynamiser le marché secondaire et à mettre en place un système d’adjudication d’échange pour permettre un meilleur reprofilage des dettes nationales.
« L’année 2016, se présente sous de très bons auspices »
Comment se présente l’année 2016 et quel bilan tirez-vous du 1er semestre écoulé ?
L’année 2016 se présente sous de très bons auspices. Elle est une année charnière pour l‘Agence. En effet, elle consacre l’aboutissement de plusieurs initiatives qui avaient était prises à la création de l’AUT en mars 2013. De plus, c’est véritablement la première année d’exercice avec une équipe plus complète. Au niveau du volume des émissions l’agence est assez contente de ce qui se fait au niveau des prix, même si la baisse des prix observée est différente de celle de 2015. Maintenant si on regarde du point de vue des projets que nous avons initié, on note également un avancement certain. Dans l’ensemble, l’agence espère pouvoir atteindre les objectifs qu’elle s’est fixé à savoir la production de la nouvelle note d’information qui avance à un bon rythme.
Nous comptons également mettre en œuvre, d’ici la fin de l’année, un programme de tournées promotionnelles dans tous les Etats pour présenter à certains acteurs notamment les compagnies d’assurances, dans notre quête de l’élargissement de la base d’investisseurs et d’opportunités d’investissements sur le marché des titres publics. L’année 2016 verra l’achèvement de la refonte de la note d’information et le démarrage du processus de notation financière. Si nous arrivons d’ici la fin de l’année à noter des Etats et je pense que nous y parviendrons, alors nous aurons fait un grand pas vers la conformité de notre marché aux standards internationaux.
Pour me résumer, l’année 2016 se présente bien. L’activité au cours du premier semestre a été bonne. Nous allons maintenir le même élan d’ardeur dans les réformes pour un marché de plus en plus performant au service de nos Etats.
« Le bilan est positif »
Trois ans après votre prise de fonction, où en êtes-vous dans la réalisation des objectifs qui vous ont été assignés ?
Si je me réfère aux différents échanges que j’ai avec les Etats de l’Union, la Banque Centrale et la BOAD qui sont tous membres du Conseil d’Orientation de l’AUT, instance chargée de définir, d’orienter et de contrôler les actions de l’Agence, je puis dire que le bilan est globalement positif.
Très humblement, je voudrais relativiser la satisfaction de tous et me focaliser sur l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir. Je suis conscient des défis majeurs qui restent à être relevés pour arriver à un marché des titres publics de l’Union répondant aux standards internationaux. C’est un objectif que nous voulons atteindre pour attirer plus d’investisseurs. Ceci fera notre fierté d’avoir aidé à asseoir une institution performante et crédible qui apporte, à chaque fois que de besoin, la solution appropriée au problème de financement de nos Etats.
Propos recueillis par Ismaila BA
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