« Consolider les armées afin de sécuriser les frontières », c’est l’une des conclusions découlant du sommet Etats-Unis/Afrique qui vient de se tenir à Washington. Barack Obama, l’hôte du sommet a décidé de débloquer une enveloppe de 65 millions dollars pour ce projet et le Niger est l’un des six pays bénéficiaires de cette initiative.
Mahamadou Issoufou, président du Niger, est l’invité Afrique de RFI. Il est au micro d’Anne-Marie Capomaccio, notre correspondante à Washington.
RFI : Monsieur le président bonjour… Vous venez de participer au Sommet Etats-Unis–Afrique. Le président Obama a annoncé hier une initiative pour six pays dont le Niger fait partie, avec un budget de 65 millions de dollars pour la consolidation des armées, afin de sécuriser les frontières. Est-ce que vous pouvez me donner des détails sur ce programme ?
Mahamadou Issoufou : Je pense que cette initiative permettra à ces pays de renforcer leurs capacités de renseignement, leurs capacités opérationnelles. Puisque dans le cadre de l’initiative, les armées et les forces de défense et de sécurité, d’une manière générale, seront appuyées dans la formation, dans l’entraînement, dans leurs équipements.
Et j’espère que cette initiative permettra à l’Afrique de renforcer ses capacités de défense. Parce que ce n’est pas normal plus cinquante ans après l’Indépendance, que nous soyons à sous-traiter notre sécurité, que nous soyons à assurer notre sécurité par procuration, si je peux dire. Il faut que nous soyons en situation, désormais, de faire face nous-mêmes aux menaces.
Pour revenir aux crises que vous évoquiez dans les pays frontaliers du Niger… Au sud, le Nigeria, Boko Haram, c’est la région de Diffa, je crois, qui est touchée. Comment faites-vous face ? Il y a des réfugiés.
C’est vrai que cette zone du Lac Tchad qui est infestée par Boko Haram est une zone fragile. Moi, j’ai fait même la liaison entre la dégradation de la situation sécuritaire dans cette zone et la dégradation de la situation sociale, parce que vous savez que le Lac Tchad est en train de s’assécher, et cela a une conséquence sur le plan social. Il y a eu certainement un appauvrissement, une paupérisation de la population dans cette zone. Cela a été un terreau sur lequel s’est développé le terrorisme de Boko Haram.
Maintenant, comment on y fait face ? Récemment, il y a eu des réunions à Paris et à Londres également, pour voir comment les pays de la sous-région vont faire face ensemble à cette menace, en mutualisant leurs capacités de renseignement et de défense. Toutes ces mesures sont en train d’être mises en place.
Ça, c’est pour le Sud. Votre voisin à l’ouest, votre voisin malien, est aussi en crise. Il y a des négociations en cours. Quelles sont les conséquences sur le Niger ? Et là encore quelles réponses pouvez-vous apporter ?
La situation s’est relativement améliorée au Mali, après l’intervention Serval, après l’intervention aussi des forces africaines et puis maintenant dans le cadre des Nations unies, il y a de nouvelles autorités qui sont en place, qui ont engagé des négociations à Alger avec les mouvements armés du nord du Mali. On fonde beaucoup d’espoir sur ces négociations en cours en Algérie. Parce que moi, j’ai toujours considéré que la situation sécuritaire du Mali est une question aussi de sécurité intérieure pour le Niger.
Et la sécurité en Libye aussi, ça c’est votre frontière nord. C’est une véritable guerre civile qui est engagée en Libye et c’est une catastrophe pour le Niger !
Nous ne sommes pas surpris, parce qu’on l’avait annoncé. Je me rappelle qu’au Sommet du G8 à Deauville, j’avais attiré l’attention sur le fait que si on n’y prend pas garde, la solution qu’on va mettre en place en Libye risque d’être pire que le Mali. Je faisais allusion au risque de somalisation, je faisais allusion au risque que le pouvoir tombe entre les mains d’intégristes en Libye.
Vous nous disiez à l’instant que les pays d’Afrique ne peuvent pas sous-traiter leur sécurité cinquante ans après les Indépendances. En même temps, dans la crise libyenne il y a peut-être une responsabilité internationale.
Pour le cas de la Libye, je pense qu’il est urgent que le service après-vente – qui n’a pas été fait après la disparition de Kadhafi- puisse se faire. Notez que quand la décision d’intervenir en Libye a été prise, nous on n’était même pas au courant. On nous a mis devant le fait accompli. Et malheureusement, c’est nous qui en subissons les conséquences. Ceux qui sont à la base de cette situation doivent contribuer à la réparer.
Passons aux dossiers économiques, Monsieur le président. Ce premier Sommet Etats-Unis–Afrique a-t-il répondu à vos attentes ? Je sais que vous avez énormément de rendez-vous, notamment avec des entrepreneurs.
Ce premier sommet Etats-Unis–Afrique est le premier du genre qui est donc un Sommet historique, a vraiment répondu à mes attentes. Parce que d’abord le Sommet a été précédé par un forum des affaires. Donc on sent qu’il y a une mobilisation ; il y a une prise de conscience au niveau américain, de l’importance économique de l’Afrique. En particulier, j’ai noté l’intérêt qu’il porte aux infrastructures. L’Afrique a besoin de routes, l’Afrique a besoin de chemins de fer. L’Afrique a surtout besoin d’énergie pour se développer. Et là, je constate qu’il y a un engouement.
Avez-vous signé des contrats ? Est-ce qu’il y a des engagements concrets ?
En ce qui concerne le Niger, j’ai eu des discussions avec des investisseurs qui sont intéressés à venir investir dans le secteur de l’énergie. On va déjà avec eux, signer ce qu’on appelle des M.O.U. Donc c’est un premier pas. Les discussions vont se poursuivre. Ce matin même, j’ai été [à un rdv] avec une entreprise américaine qui investit dans l’exploitation du charbon. Je pense que c’est surtout dans le secteur de l’énergie que les investisseurs américains viendront au Niger.
Une question de politique intérieure, monsieur le président… En mai dernier, l’accord entre Areva et le Niger a enfin été signé. Et aujourd’hui, l’opposition nigérienne vous accuse d’avoir défavorisé le pays au profit d’Areva, d’avoir trop favorisé Areva.
Moi j’estime que l’accord que nous avons signé avec Areva, après plusieurs mois de négociations, est un accord équilibré. C’est un accord gagnant-gagnant. C’est un accord que nous avons discuté et négocié dans des conditions très difficiles, compte tenu du rapport de force sur le marché de l’uranium où les prix se sont effondrés surtout après les accidents de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon. Mais je pense que nous avons pu obtenir un accord équilibré en faveur du Niger.
Par rfi.fr