La France, les États-Unis et la Russie ont vendu les équipements qui ont permis de réprimer les populations arabes, révèle Amnesty International.
La France aurait livré des armes à la Libye, à Bahreïn et à la Syrie, jusqu’à 2009 au moins, révèle un rapport d’Amnesty International. © Anwar Mirza / Reuters
On peut saluer le Printemps arabe tout en armant les dictatures qu’il combat. Voici le triste constat effectué par Amnesty International. L’organisation révèle que les États-Unis, la Russie et plusieurs pays européens, dont la France, ont fourni de très nombreuses armes à des gouvernements répressifs au Moyen-Orient et en Afrique du Nord avant les soulèvements de cette année, tout en sachant qu’il existait un risque considérable que ces armes soient utilisées pour commettre de graves violations des droits humains.
Dans le rapport intitulé Transfert d’armes vers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, les leçons pour un traité efficace sur le commerce des armes, l’ONG se penche sur les transferts d’armes effectués vers cinq pays arabes depuis 2005 : Bahreïn, l’Égypte, la Libye, la Syrie et le Yémen. Ses sources, des rapports nationaux sur les exportations de 35 pays, dont les 18 États de l’UE, ainsi que la base de données de l’ONU sur le commerce extérieur de ses membres jusqu’en 2009. D’après Aymeric Elluin, chargé de campagne "armes et impunité" chez Amnesty, le rapport s’arrête à cette date, car les informations publiques et disponibles en la matière ne dépassent pas 2009. "Mais cela ne signifie pas que les exportations d’armes se sont interrompues depuis lors." Amnesty International reconnaît toutefois que la communauté internationale a pris "quelques mesures cette année afin de limiter les transferts internationaux d’armes" vers les cinq pays étudiés.
La France : quatrième vendeur d’armes mondial
Quatrième exportateur d’armes mondial avec 8,16 milliards d’euros de prises de commandes en 2009 (et 16,39 milliards de dollars entre 2000 et 2009), la France figure en bonne position de ce rapport. D’après celui-ci, Paris aurait livré une "certaine quantité d’armes à Bahrein", où la minorité sunnite au pouvoir a maté en mars la rébellion chiite populaire grâce notamment à l’intervention de l’armée saoudienne. En Libye, Paris a autorisé de 2005 à 2009 la vente d’armements, de munitions et d’équipement militaire au régime de Kadhafi, qui les a utilisées pour commettre des "crimes contre l’humanité" contre les populations civiles et rebelles. Mais les forces anti-kadhafi ont également été armées cette année par la France, en violation de la résolution 73 de l’ONU, qui ne prévoit pourtant que la "protection des populations civiles en Libye".
Après avoir accueilli, fin 2007, la tente du Guide libyen dans la cour de l’Élysée, la France a invité l’année suivante sur les Champs-Élysées le président syrien Bachar el-Assad pour assister au défilé du 14 Juillet. Selon le rapport, Paris a vendu de 2005 à 2009 près d’un million de dollars de munitions au régime syrien. "Ce n’est pas la quantité d’armes vendues qui importe, insiste Aymeric Elluin. Une telle vente pose problème dès lors qu’elle alimente des dictatures dont on sait qu’elles violent depuis des décennies les droits humains."
Utilisation illicite et illégale
Or cette somme n’est rien en comparaison de la Russie, deuxième exportateur d’armes au monde et principale alliée de Damas. Moscou rejette pour l’instant toute résolution onusienne condamnant la violence en Syrie. Il se trouve que la Syrie représente 10 % des exportations d’armes russes. Mais le champion toutes catégories reste les États-Unis, premier exportateur d’armes au monde avec 64,89 milliards de dollars de ventes de 2000 à 2009 (et 52,4 % du total mondial entre 2004 et 2008). Principaux fournisseurs de l’Égypte de Hosni Moubarak, avec 1,3 milliard de dollars de contrat d’armes par an, les Américains auraient repris les livraisons après la chute du dictateur, et cela, alors que l’armée est toujours au pouvoir et que les violences ont repris.
"Sur les cinq pays arabes étudiés par le rapport, aucun ne présente aujourd’hui les garanties nécessaires pour s’assurer que les armes exportées ne seront pas utilisées à des fins illicites et illégales", relève le chargé de campagne d’Amnesty International. Aymeric Elluin ne remet pas pour autant en cause le droit des États à s’armer, au nom du "principe de légitime défense individuelle et collective" garantie par la charte des Nations unies. Mais, selon l’organisation, le principal problème réside dans le manque de transparence de ces ventes. En France, il n’existe aucune base de données publique ni aucun chiffre précis, hormis un maigre rapport remis chaque année à l’Assemblée par le ministère de la Défense. "Ce document n’est pas publiquement débattu à l’Assemblée, déplore Aymeric Elluin. Or c’est le seul moyen de se conformer au droit international."
D’après Amnesty International, la solution serait de réglementer au niveau mondial le commerce des armes dites "classiques", dans le cadre d’un traité international que l’ONG souhaiterait négocier en juillet 2012 à l’ONU. "Il s’agirait d’adopter une règle d’or : une évaluation au cas par cas de chaque transfert d’armes envisagé, de sorte que, s’il existe un risque important que les armes en question soient utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves des droits humains, le gouvernement concerné soit tenu de mettre le holà", indique Helen Hughes, experte du commerce des armes ayant contribué au rapport d’Amnesty International. Et la spécialiste de prévenir : "Les embargos sur les armes arrivent généralement trop tard, une fois que les crises des droits humains sont là."
Le Point.fr – Publié le 21/10/2011 à 13:04 – Modifié le 21/10/2011 à 16:11