Une volonté de changement affichée mais des actions souvent illisibles voire inadaptées: la France peine à réinventer ses relations avec l’Afrique, à l’heure où le continent est courtisé par de nombreuses autres puissances, jugent des parlementaires et des experts.
Depuis sa première élection en 2017, le président Emmanuel Macron a tenté de prendre un nouveau cap en Afrique, annoncé dans le discours de Ouagadougou l’année de son arrivée au pouvoir puis réitéré en février 2023, pour mettre fin aux relations asymétriques et paternalistes avec le continent.
C’est le début d’une longue série de promesses et d’initiatives, esquissant une approche moins militaire centrée sur les relations avec la société civile et le “soft power”, qui va du travail mémoriel (Algérie, Rwanda) à la restitution d’oeuvres d’art en passant par l’augmentation de l’aide publique au développement et de nouveaux partenariats hors de son pré carré francophone. “La Françafrique est morte”, a encore insisté M. Macron en septembre.
Mais “au-delà du vocabulaire renouvelé et de l’accumulation d’initiatives, souvent bienvenues, il manque peut-être l’essentiel: une offre stratégique précise et de long terme qui donne envie aux pays africains de maintenir des liens nourris et plus égalitaires avec la France”, juge un rapport parlementaire français plutôt sévère publié mercredi.
Pointant du doigt une stratégie souvent “illisible” et une connaissance du continent africain “qui fait aujourd’hui cruellement défaut à la France”, ses auteurs préconisent “une plus grande concertation” à travers des échanges “plus transparents et institutionnels pour éviter (la) personnalisation excessive” des décisions. Les Africains, affirment-ils, “demandent une autre politique à la France” et il “faut agir d’urgence pour éviter un risque de contagion et de perte de confiance”.
Si de nombreux présidents français ont affiché leur volonté de refonder ce partenariat par le passé, “Emmanuel Macron est sans doute celui qui, par rapports à ses prédécesseurs, a eu l’ambition la plus large”, estime Paul Melly, chercheur au centre d’études sur les affaires internationales Chatham House.
Accepter la concurrence
“Il s’est toutefois heurté à une réalité: la défiance bien ancrée de la jeunesse urbaine et d’une partie des élites intellectuelles et médiatiques en Afrique de l’Ouest” à l’égard de l’ancienne puissance coloniale qui s’est si souvent vue reprocher son arrogance, dit-il à l’AFP.
Emmanuel Macron lui-même n’a pas échappé à ces écueils. Lors d’une coupure de courant durant son discours à l’université de Ouagadougou, en 2017, il choque en tentant un trait d’humour, affirmant que ce n’est pas son rôle de s’occuper de l’électricité et lâche: “Il est parti réparer la climatisation” alors que son homologue burkinabè Roch Marc Christian Kaboré vient de s’absenter.
De même, le sommet de Pau a marqué les esprits en janvier 2020, lorsqu’il réunit les chefs d’Etat du G5 Sahel à propos de la situation sécuritaire dans la région où des milliers de soldats français de l’opération Barkhane sont alors engagés. Une rencontre perçue par beaucoup comme une convocation aux relents de Françafrique.
Depuis, des coups d’Etat au Mali (2020, 2021), au Burkina Faso (2022) puis au Niger (2023) ont précipité le divorce avec Paris. Les juntes militaires parvenues au pouvoir dans ces pays ont poussé dehors l’armée française, marquant la fin d’une ère, après une décennie d’intervention antijihadiste dans une région où la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader.
La France s’est aussi vue reprocher ses incohérences. Si elle a condamné le coup d’Etat au Niger, elle s’était accommodée du premier putsch au Mali en 2020 et avait adoubé l’année suivante Mahamat Idriss Déby Itno, arrivé au pouvoir au Tchad sans processus constitutionnel.
“Ces maladresses ont aggravé les tensions et entretenu la perception que les dirigeants français, même jeunes, font toujours preuve d’une certaine condescendance à l’égard de l’Afrique”, estime le fondateur du groupe de réflexion ouest-africain Wathi Gilles Yabi.
En Afrique de l’Ouest circule aussi l’idée que Paris cherche surtout à maintenir ses parts de marché face à l’arrivée de concurrents aux relations plus neutres et décomplexées comme l’Inde, la Turquie, l’Arabie Saoudite et la Russie, mais surtout la Chine, qui a supplanté la France comme premier partenaire commercial dans ses anciennes colonies ces 20 dernières années.
“Sans forcément parler de rejet de la France, il existe aujourd’hui un besoin d’affirmation, d’autonomisation dans le choix des partenaires internationaux”, souligne Gilles Yabi. “Les nouvelles générations attendent que les acteurs français jouent le jeu de cette concurrence sur un pied d’égalité avec les autres”.