Ils l’ont déjà annoncé : l’ère Kadhafi, c’est du passé. Les étrangers venus faire le coup de feu en Libye s’en retourneront chez eux avec des trophées de chasse. Ne saurait être gratuite la mission risquée de ces justiciers accourus en Afrique pour défendre la veuve et l’orphelin. La moindre bombe larguée sur les quartiers résidentiels de Tripoli a un coût. Maintenant que ces justiciers ont aidé les Libyens à détruire leur pays, ils reviendront les aider à le reconstruire.
La guerre s’ordonne ainsi comme une industrie rentable. A faire constater aux vivants. Les morts n’ont pas ou n’ont plus voix au chapitre. Ceux qui meurent servent à justifier la guerre. Car une guerre sans morts n’en est pas une. Ceux qui survivent à la guerre sont des anciens combattants. Mais l’histoire commence par s’écrire à l’encre des vainqueurs. A charge, pour les historiens de rétablir, plus tard, la vérité des faits. Voilà la première leçon de la crise libyenne.
Kadhafi aura appris à ses dépens que 42 ans de règne sans partage, ce n’est pas raisonnable. Ses acrobaties idéologiques pour présenter son système de pouvoir comme unique, en tout cas non comparable à aucun autre dans le monde, n’est qu’un jeu destiné à perpétuer son règne. A ce jeu, l’usure aidant, une année de plus au tableau de son pouvoir, c’est une année de trop à l’horloge des ans. Les sociétés humaines se renouvellent dans leur substance humaine, d’une génération à l’autre. Et c’est, chaque fois, un nouveau peuple qui naît porteur des rêves, des attentes et des aspirations estampillés de son propre cachet. Seule une alternance intelligente au sommet du pouvoir dégage l’horizon des générations qui se suivent de la masse lourde et inamovible de la statue du commandeur, incarnée par un Chef indéboulonnable, omniprésent et omnipotent. C’est ainsi qu’il y a une majorité de Libyens qui ne connaissent de Chef que Kadhafi et qui sont bloqués jusque là dans leurs rêves d’en connaître un autre que Kadhafi. Voilà la deuxième leçon de la crise libyenne.
Le pétrole a changé le visage de la Libye. Un pays semi désertique, peuplé de tribus nomades, s’est brutalement projeté à l’avant-scène du monde. Il s’est taillé au passage un véritable leadership continental, à défaut de se faire l’élément fédérateur de la Ouma islamique qu’en avait rêvé son chef.
Mais le pétrole allait vite se révéler un couteau à double tranchant. A l’intérieur de la Libye, le pétrole ne pourrait être gage de paix que si la richesse qu’il contribuait à produire était équitablement répartie et partagée entre toutes les composantes tribales du pays. Le système de pouvoir libyen reposait sur un pivot qui était à maintenir en équilibre constant entre différentes entités aux intérêts pas toujours convergents. Comment satisfaire chacun ? Comment contenter tout le monde ? Les bouderies, les fâcheries provoquaient des ruptures d’équilibre qui ébranlaient, à saison régulière, l’architecture d’ensemble du pouvoir.
A l’extérieur, énervent plus d’un les frasques d’un Kadhafi fièrement assis sur un matelas de pétrole, un pétrole dont se montre gourmand l’Occident industriel. C’est dire que Kadhafi n’était pas aimé. Kadhafi était toléré pour son pétrole. Même après qu’on eut passé l’éponge sur son passé terroriste. Même après qu’il se fut rendu fréquentable : tapis rouge au Palais de l’Elysée à Paris, photo de famille aux côtés des plus grands de la planète à l’issue d’un sommet du G8, visite d’Etat remarquée de Berlusconi, le Président du Conseil italien, à Tripoli. Le pétrole était à la fois l’atout maître et le talon d’Achille de Kadhafi. Voilà la troisième leçon de la crise libyenne.
La quasi-totalité des Chefs d’Etat africains couraient la capitale libyenne. Le « grand-frérisme » entretenu de Kadhafi laissait ouverts à tous son pays et son porte-monnaie. Adulé ici, flatté là, il surfait gaiement et à coups de pétrodollars sur une cour de clients et d’obligés en tous genres. Kadhafi, le roi des rois africains. Kadhafi, le champion des Etats-Unis d’Afrique. Kadhafi par-ci, Kadhafi par-là. La cour du roi ne désemplissait point. Et tout d’un coup, plus rien. Le roi était seul, abandonné de tous. Comme pour donner raison à ce proverbe songhaï qui semble avoir anticipé la trahison de nombre d’entre nous : « C’est le cheval que tu engraisses qui te tue ». Voilà la quatrième leçon que l’on peut retenir de la crise libyenne.
Paul N’guessan