Les frontières artificielles sont une source de conflit permanent entre de nombreux pays africains. Au cours des dernières décennies du siècle dernier, la Corne de l’Afrique a été marquée par des conflits armés : Éthiopie et Érythrée (1998-200), Érythrée et Djibouti (1996) et Kenya et Somalie (1963 et 2019). Pour comprendre cette situation, un rappel s’impose. Le peuple somali est reparti dans quatre Etats postcoloniaux. Lors de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine – qui a précédé l’Union Africaine, la Somalie indépendante avait rejeté le principe de l’intangibilité des frontières coloniales. Tout comme le Maroc.
Dans cette région, il y a des conflits frontaliers entre des régions d’un même pays comme l’Éthiopie et la Somalie suite à la chute des régimes autoritaires de Mengistu Hailé Miriam et Mohamed Syad Barreh. La réorganisation territoriale en Éthiopie en 1991 n’a pas résolu une délimitation artificielle des frontières ethnolinguistiques. La «fin» du récent conflit entre le Tigré et le gouvernement central a soulevé la question de la délimitation entre certains villages du Tigré et de la région Amhara. Quant à la Somalie, la séparation du Somaliland et la création du Puntland ont conduit à de nouveaux conflits frontaliers entre ces deux régions. La première s’est déjà «séparée» du reste de la Somalie, organisant des élections présidentielles et législatives, elle dispose d’une administration centrale, d’un drapeau, d’une force armée, d’une police depuis 1992… Mais elle n’est pas reconnue comme Etat par l’Union africaine, l’organisation régionale IGAD, la Ligue Arabe (La Somalie est un pays membre)…
Plusieurs organisations interviennent dans ces conflits ethno-frontaliers et de contrôle de ressources naturelles. Mais c’est la première fois que les pays recourent à la Cour Internationale de Justice de la Haye. Entre le Kenya et la Somalie, les enjeux du conflit frontalier ont changé d’une dispute ethnique, ils portent sur l’appropriation et le contrôle des ressources naturelles, donc sur l’économie.
De la dispute ethnique…
Dès les années 1940, un mouvement nationaliste du peuple somali apparaît; on parlait du pan-somalisme. C’est un mouvement de la jeunesse nationaliste qui devient un acteur important dans le jeu politique somalien et pan-somalien. La première victoire de ce mouvement est la réunification de la colonie britannique, Somaliland et celle de l’Italie, somalie italienneC’est un fait historique dans l’Afrique postcoloniale. La commune appartenance ethnique, culturelle et religieuse des habitants des régions revendiquées, sous souveraineté britannique, éthiopienne et française par le gouvernement somalien ne fait pas de doute.Au-delà de l’indépendance des deux colonies, le principal objectif poursuivi par le gouvernement nationaliste est la réunification des territoires habités par le peuple somali.
Dès les années 1960, le gouvernement a entrepris des actions pour atteindre cet objectif en aidant des groupes somalis ou en intervenant directement. Bien avant les indépendances des deux pays, le gouvernement somalien disputaient sur une région habitée par des nomades somali dans la colonie britannique, le Nord-Est d’un peu plus 120.00 km2. Elle a fait l’objet d’un différend entre l’Italie et le Royaume Uni. Alors que cette province devait revenir dans la colonie italienne, tout change avec le contrôle du Royaume Uni en 1941 après la fin d’une hypothétique unification des territoires somalis (sauf l’ex TFAI). Comme en Ogaden, les autorités britanniques nomment une commission, celle-ci décide maintien de la province somali dans la colonie. Les populations somalies protestent contre cette décision, elles demandent un référendum sur le futur de leur province. Le gouvernement somalien les a appuyées. Mais le gouvernement kenyan post-colonial, s’appuyant sur l’un des principes de l’Organisation de l’Unité Africaine, a refusé l’organisation d’un tel référendum. Comme toute organisation internationale et régionale, l’Union Africaine n’a pas les moyens, ni la volonté politique pour régler des conflits entre ses membres.
Du contrôle territorial sur la base ethnique, les deux s’affrontent sur un plan économique et stratégique.
… au contrôle des réserves de gaz et de pétrole.
Depuis quelques années, la Somalie et le Kenya ont un différend sur un espace maritime de 100.000 km2. C’est une zone qui n’a pas été délimitée clairement. L’enjeu de ce différend estle contrôle d’une zone, potentiellement riche en ressources gazières et pétrolières. Et cela crée forcément une convoitise entre les deux pays. C’est un conflit qui rappelle celui avait opposé le Nigéria au Cameroun sur la péninsule de Bakassi.
Au lieu de négocier bilatéralement, chaque gouvernement s’arroge la souveraineté de cette zone maritime. Tout commence au début de l’an 2000 par l’attribution des licences d’exploration par le gouvernement kenyanaux entreprises pétrolières Total, Anadarko Petroleum et Eni SpA.La Somalie a saisi la Cour Internationale de Justice en 2014, celle-ci se déclare compétente en février 2017.Ces entreprises ont sans doute joué sur le risque entre le Kenya, politiquement stable avec une forte croissance économique. Par ailleurs, c’est un des contributeurs de l’Amisom. Quant à la Somalie, elle est embourbée depuis 1991 dans une instabilité politique, avec un gouvernement central qui ne contrôle pas tout le territoire, une administration centrale en reconstruction après tant d’années de guerre civile et des risques d’actes terroristes existent toujours.Pour la Somalie, la délimitation de cet espace devrait suivre la frontière terrestre et s’étirer au sud-est tandis que le Kenya a opté une délimitation en ligne droite, partant de la frontière terrestre, parallèle à la latitude. Après les attaques meurtrières du groupe Sheibad au Kenya en 2017, le gouvernement kenyan avait décidé de construire un mur de séparation entre les deux pays. En 2019 le gouvernement a mis aux enchères.Entre 2019 et fin 2020, la tension s’est manifestée par le renvoie des diplomates. Mais un autre fait a marqué le clash diplomatique : la visite «officielle» du président du Somaliland au Kenya. En effet, ce dernier a été reçu comme un Chef d’Etat alors qu’il dirige une région de la Somalie. Pour le gouvernement somalien, c’est une implication kenyane dans les affaires intérieures. Sans attendre une probable solution diplomatique. La Somalie a portéle différend territorial à la Cour Internationale de Justice, en février 2014 après l’échec des négociiations. Or, Nairobi s’opposait à cet arbitrage juridique et a opté pour la voie diplomatique.Le procureur général, Githu Muigai, affirmait que “Nairobi contestait la compétence de la CIJ dans ce domaine”.En fait, c’est une stratégie pour gagner du temps tant son poids et ses soutiens diplomatique favorisent la position kenyane face à une Somalie, mal représentée dans les instances régionales et continentales. Lors d’un sommet des Chefs d’Etat en décembre 2020, l’organisation régionale, Igad, a nommé une délégation, composée essentiellement de diplomates et militaires de la République de Djibouti sur le différend frontalier.
BAHDON ABDILLAHI MOHAMED