L’accusation du professeur Montagnier et du mathématicien Perez dans un élément vidéo est trop grave pour ne pas y consacrer une enquête complète. « Le Point » l’a fait.
Une fois de plus, l’éminent professeur Luc Montagnier, Prix Nobel de médecine pour la codécouverte du virus du sida, soutient une théorie scientifique à rebrousse-poil de l’ensemble de la communauté scientifique. Avec son ami de trente ans, le mathématicien Jean-Claude Perez, il affirme que le virus Sars-CoV-2 (responsable de l’épidémie de Covid-19) a été fabriqué artificiellement en injectant des fragments du virus VIH dans un coronavirus dans un laboratoire de Wuhan, et pourquoi pas dans le fameux P4 qui fait tant couler d’encre.
« Ce virus a peut-être échappé à ses promoteurs », déclare-t-il.
« L’hypothèse la plus raisonnable, c’est de penser qu’ils voulaient faire un vaccin contre le VIH avec un coronavirus qui, en principe, pouvait être atténué pour ne pas donner de maladie, sur lequel ils ont intégré des parties du génome du virus du sida. Le tout pour fabriquer un vaccin du sida. C’est un travail d’apprentis sorciers », poursuit le Prix Nobel de 88 ans.
Réalisé par la main de l’homme
L’accusation est grave et mérite qu’on s’y penche avec sérieux. Pas question de l’écarter d’un haussement d’épaules. La théorie de Luc Montagnier repose sur le travail de Jean-Claude Perez, un mathématicien de 72 ans qui fut un pionnier de la neuro-informatique dans les années 1980, c’est-à-dire de l’intelligence artificielle. Depuis trente ans, selon ses dires, il poursuit des travaux sur la structure numérique de l’ADN sous l’œil intéressé de Luc Montagnier. Le mois dernier, il publie, dans la revue scientifique en ligne International Journal of Research Granthaalayah, un article intitulé « Wuhan Covid-19 syntheticorigins and evolution ». Nous nous le sommes procuré. Après une savante analyse de l’évolution génomique des coronavirus, et du Sars-CoV-2 en particulier, Perez étudie le génome de ce dernier et y identifie des fragments « étrangers ». Voici ce qu’il écrit en guise de conclusion : « Nous venons de démontrer que ce génome du Covid-19 contient une insertion de six régions stratégiques du VIH, concentrées dans un mini-espace représentant moins de 1 % de la longueur du génome. » Il poursuit en indiquant que la disposition symétrique de ces fragments renforce l’idée que leur insertion a été synthétique, c’est-à-dire réalisée par la main de l’homme.
Un journal non référencé
Avant de demander leur avis sur cette théorie à des virologues respectés, un petit mot sur la revue scientifique dans laquelle Perez a publié son article. Comme on le sait, la procédure habituelle utilisée par toutes les revues sérieuses est de faire relire chaque papier qui leur est soumis par un collège de pairs afin de vérifier son sérieux avant publication. Ça, c’est la procédure habituelle, mais il existe aussi des centaines de revues, et maintenant de sites du Web, qui accueillent les travaux scientifiques sans relecture. Nous avons demandé à Éric Leroy, spécialiste de la virologie tropicale à l’IRD, ce qu’il faut penser de la revue indienne en ligne International Journal of Research Granthaalayah.
Sa réponse est nette : « Le journal en question n’est pas référencé dans la base internationale des revues scientifiques. La publication de ce Perez n’a donc pas été lue et jugée par ses pairs. » Et d’ajouter qu’elle n’a pas du tout été écrite « dans le format classique et habituel ».
Passons au fond de l’affaire. Faut-il croire le mathématicien quand il attribue six fragments du Sars-CoV-2 à différentes souches de virus VIH ? Précisons d’abord qu’il s’agit de fragments minuscules, composés d’une vingtaine de bases (une sorte d’alphabet de 4 lettres qui permettent d’écrire le grand livre de notre génome) sur les quelque 30 000 qui composent le génome entier du coronavirus.
Pour le chercheur Éric Leroy : « Trouver de minuscules fragments génomiques identiques à des séquences d’autres virus est très classique. Un génome, c’est extrêmement grand. La comparaison de séquences génomiques pour identifier un virus est habituelle et systématique. On utilise pour cela des algorithmes qui comparent les séquences d’un génome donné, ici, le Sars-CoV-2, à toutes les séquences des génomes du monde vivant connus. Plus on s’intéresse à des séquences courtes, plus on trouvera des séquences analogues à celles d’espèces virales de plus en plus éloignées. On pourrait même trouver des analogies avec de très courtes séquences génomiques de mammifères et de plantes».