Armes russes, instructeurs pour les militaires centrafricains… Dans une interview à Sputnik, Faustin-Archange Touadéra a évoqué les missions russes dans son pays, au centre de l’attention médiatique en Occident. Il estime cependant que les liens entre les deux pays ne devraient pas se limiter à la Défense et espère de nouvelles coopérations.
Sputnik: En trois ans, de nombreux changements dans les relations entre la Centrafrique et la Russie se sont produits. Quels sont les plus importants?
M.Touadéra: «Comme vous l’avez mentionné, c’est vrai que depuis trois ans, il y a eu beaucoup d’avancées. Beaucoup d’avancées dans la volonté du peuple centrafricain d’aller vers la paix, la stabilité et le développement. Je pourrais tout simplement mentionner l’accord politique de paix pour la réconciliation qui, à notre avis, est un événement majeur dans le cadre du rétablissement de la paix et de la sécurité. Aujourd’hui, le gouvernement travaille pour remplir sa part d’engagements et il travaille aussi avec les autres partenaires pour que cet accord puisse vraiment nous conduire à la paix. Il y a des avancées, il y a des défis encore sur lesquels nous continuons à travailler. Il y a eu aussi des efforts qui ont été faits sur les forces de défense et de sécurité. Vous savez qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de formations. Il y a une montée progressive de nos forces de défense en puissance. Ce n’est pas encore cela, mais c’est prometteur. Aujourd’hui, il y a des formations avec l’EUTM, des formations avec des instructeurs russes sur l’utilisation des armes. Je pense que près de 3.000 militaires ont déjà suivi cette formation. [Samedi dernier,] avant de venir ici, j’ai assisté à la sortie d’un contingent de cette formation. Cela se passe très bien. Et, il y a eu aussi la fourniture d’armes, une gracieuse fourniture d’armes [de la part de] la Fédération de Russie. Il y a eu une première livraison, il y a quelque temps. Et tout récemment, les deux dernières livraisons au mois de mai. Ce qui a donné des moyens à nos forces de défense [pour] remplir leur mission. Un des aspects positifs, c’est qu’après l’accord et la fourniture d’armes par la Fédération de Russie, des contingents – les FACA – ont été déployés sur le terrain. Et ils sont aujourd’hui même à Birao, ils sont à Bria, à Kaga-Bandoro, à Bouar et dans [d’autres] régions de notre pays. Et nous poursuivons le déploiement des forces de défense et de sécurité à travers le pays pour le retour de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire».
Sputnik: Concernant les livraisons d’armes russes. Deux ont déjà eu lieu. D’autres sont-elles prévues? Durant le forum, avez-vous passé des accords en ce sens?
M.Touadéra: «Vous savez que la Russie avait accepté de fournir à la République centrafricaine 5.000 armes d’assaut. Ces livraisons ont été faites. Aujourd’hui, nos forces ont encore besoin d’autres capacités. Donc, c’est ce que j’ai, dans mes propos et dans les rencontres, demandé, sollicité encore [auprès] de la Fédération de Russie: si elle peut consentir une aide supplémentaire à la République centrafricaine pour permettre à notre armée de remplir sa mission. C’est une armée qui va aller au-delà des 12.000 hommes. Or nous avons 5.000 armes. Vous comprendrez bien que c’est en-deçà … c’est une armée, donc il lui faut vraiment tous les moyens nécessaires pour remplir correctement sa mission».
Sputnik: Est-il prévu que Russie et Centrafrique passent de nouveaux accords? Si oui, dans quels domaines?
M.Touadéra: «La Fédération de Russie a fait des dons en matériels létaux, à la République centrafricaine. Et cela dans le domaine sécuritaire. Mais aussi, des instructeurs russes qui forment nos militaires à l’utilisation de ces armes. Mais, je pense que la coopération avec la Fédération de Russie doit élargir ses domaines. Comme cela a été dit par l’ensemble des Présidents africains ici, nous sommes dans le cadre d’une coopération multisectorielle».
«Bien entendu, nous avons sollicité l’appui de la Fédération de Russie dans le domaine de l’agriculture, dans le domaine de l’éducation. Le Président Poutine a accepté que les universités, les centres de formation de la Fédération de Russie [acceptent] des étudiants centrafricains. Et aussi, il y a un certain nombre de domaines [ouverts aux] investissements. Nous savons que les investisseurs russes et les hommes d’affaires russes ont beaucoup de capacités. La République centrafricaine aujourd’hui est complètement dans le domaine du commerce et de l’industrie. Et ce sont des secteurs libéralisés. Donc ils peuvent réaliser des activités, investir en République centrafricaine en respectant nos lois et la loi sur le commerce».
Sputnik: Quelles nouvelles formes de coopération militaire pourraient être développées entre les deux pays? Des négociations sur la création d’une base militaire russe sont-elles en cours?
M.Touadéra: «Nous avons un accord de coopération qui suit son cours. Bien entendu, il y a des possibilités si le gouvernement de la Fédération de Russie consent [à] nous aider dans un certain nombre de domaines. Vous savez qu’aujourd’hui nous avons opté pour une armée de garnison au lieu d’une armée de projection. Donc, il y a plusieurs garnisons en construction. Et c’est un défi pour la République centrafricaine. Donc, nous sollicitons tous nos partenaires [pour] nous aider à mettre en place ces garnisons dans le cadre du plan national de défense. Et les défis sont énormes. Nous demandons à tous les partenaires, aux amis de la République centrafricaine, de nous aider à mettre en œuvre ce plan national de défense».
Sputnik: Il n’est donc pas question d’une base militaire russe en Centrafrique?
M.Touadéra: «Nous continuons à travailler dans ce cadre-là avec le ministère de la Défense nationale et le ministère de la Défense russe pour étudier des possibilités de coopération».
Sputnik: Sergueï Lavrov a demandé que l’enquête sur le meurtre des trois journalistes russes soit accélérée. Où en est-elle actuellement? Progresse-t-elle?
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M.Touadéra: «Cet événement nous a beaucoup touchés, tout comme de tels actes puissent se produire en République centrafricaine… Ce que le gouvernement centrafricain a fait, c’est déjà de tout entreprendre pour faire la lumière sur cette affaire, sur l’assassinat de ces trois journalistes. Aujourd’hui, il y a une enquête. Le gouvernement est tout à fait disposé et a mis tous ses services à disposition pour faciliter, pour aider à ce que la lumière puisse se faire sur cette question. Nous restons disposés, aussi bien nos services de sécurité que la justice ou la police centrafricaine, à continuer de travailler pour que la lumière se fasse sur cette affaire».
Sputnik: Une question sur l’entreprise russe installée en Centrafrique, Lobaye Invest. Quel est le bilan de ses activités et quelles sont les perspectives de collaboration ?
M.Touadéra: «Je n’ai pas beaucoup d’éléments sur le plan de développement de cette entreprise. C’est une société de droit centrafricain qui travaille. Je n’ai pas vraiment [d’] idée précise sur le succès de tous ses travaux, de toutes ses activités».
Sputnik: Le nom de Lobaye Invest a été beaucoup cité dans la presse.
M.Touadéra: «C’est une société comme [une] autre. Soit une société privée qui travaille, qui est de droit centrafricain, qui a payé ses droits. Donc, nous n’avons pas d’éléments précis».
Sputnik: Pourquoi la présence de sociétés privées russes [Affaire Wagner] inquiète-t-elle tant certains médias, qui vont jusqu’à utiliser le terme de mercenaires?
M.Touadéra: «Vous savez, notre coopération avec la Fédération de Russie se fait dans la transparence. Nous nous sommes adressés au ministère des Affaires Etrangères et au Président Poutine dans le cadre du don ou de l’octroi d’armes à la République Centrafricaine. Cela s’est fait sous le contrôle du Comité des Sanctions des Nations Unies sur l’embargo en République Centrafricaine. Et c’est sur cet accord de levée partielle que les armes ont été livrées à la République Centrafricaine les deux fois que vous avez citées. Il a été prévu que des formateurs russes puissent venir former les militaires centrafricains à l’utilisation de ces armes. C’est au ministre de la Défense de la Fédération de Russie que le ministre de la Défense centrafricain s’est adressé pour cette question. C’est une coopération d’Etat à Etat et nous ne comprenons pas que de tels propos se tiennent».
Sputnik: Il y a beaucoup d’inquiétude dans les médias occidentaux à propos de votre conseiller Valéry Zakharov. Qu’en pensez-vous? Comment évaluez-vous son travail?
M.Touadéra: «Monsieur Zakharov est mon conseiller en matière de sécurité. Vous savez qu’il y a des instructeurs russes qui forment des militaires centrafricains à l’utilisation d’armes. Pour établir des relations de contact, pour voir l’évolution de cette formation et de tout ce qui concerne la sécurité, Monsieur Zakharov nous aide et nous conseille dans l’évolution de cette formation et suit pour nous ce qu’il se passe pour établir de bonnes relations. J’ai besoin de suivre de près cette situation puisque c’est une problématique qui est très importante pour la défense, la reconstitution de l’armée. Donc nous avons besoin d’un conseiller qui sert de lien entre la formation et nous pour savoir régler rapidement les problèmes. Cela se passe très bien et en toute transparence».
Sputnik: Hier, vous avez demandé de l’aide pour que l’embargo sur les armes soit levé. Comment cela s’est-il passé?
M.Touadéra: «Les récents développements font justement état d’un allègement. Mais pour nous, ce n’est pas un allègement qu’il faut. Nous voulons la levée totale de l’embargo pour permettre à notre armée nationale d’avoir les moyens de sa mission. Vous comprenez bien que c’est une armée nationale qui est la force légitime du pays, ayant pour mission la protection de la population et des institutions. Au vu de cette lourde charge, notre armée a besoin de tous les moyens. Aujourd’hui il n’y a aucun contrôle sur les groupes armés, qui se ravitaillent en contrebande. Les groupes armés sont mieux armés que l’armée nationale. C’est quelque chose qui est inacceptable. Donc nous demandons à ce qu’il y ait une levée totale de l’embargo en direction des forces de défense et de sécurité qui, comme vous le savez, sont formées par la communauté internationale. Il y a une mission de l’EUTM qui les forme. Il y a les instructeurs russes qui les forment. Aujourd’hui, certains Etats acceptent de former nos militaires qui vont dans un certain nombre d’académies. Nous voulons une armée qui soit professionnelle, pluri-éthnique. Toutes les conditions sont réunies pour que cet embargo soit levé pour permettre à nos forces de défense d’avoir les moyens de leur mission. Ce n’est donc pas d’une levée partielle ou d’un allègement dont nous avons besoin actuellement. C’est de la levée totale de l’embargo et c’est ce que nous demandons à tout le monde. Nous sommes venus ici et nous demandons à la Fédération de Russie qu’elle nous soutienne. Nous savons qu’elle nous soutient dans ce cadre-là. Mais il faut aussi convaincre les autres Etats de nous soutenir pour qu’il y ait une levée totale de l’embargo sur les armes pour les forces de défense. A Lomé, il y a quelque temps, une réunion au sommet des chefs d’Etat de la CEDAO et de la CEEAC a aussi fait une recommandation parce que les chefs d’Etat en ce moment-là ne comprennent pas qu’il y ait toujours [un] embargo en direction des forces légitimes du pays. Donc, à chaque fois, nous faisons ce plaidoyer et nous demandons à tous nos amis des pays amis de nous soutenir dans cette demande».
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