Sans précision sur le chiffre relatif au nombre de victimes de la répression du soulèvement populaire en Libye, plusieurs sources s’accordent à affirmer que ce ne sont pas moins de 500 Libyens qui sont tombés, à ce jour, sous le feu des militaires de Kadhafi dont la plupart seraient des mercenaires asiatiques et ouest-africains. Face à l’aggravation de la situation, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni, hier mardi 22 février, pour discuter de cette crise libyenne. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a intimé à Kadhafi l’ordre de faire cesser les violences contre les manifestants et à respecter "les libertés fondamentales et des droits de l’homme, y compris le droit de réunion et à l’information". Mais sera-t-il entendu par Mouammar Kadhafi qui voit son régime s’effondrer de jour en jour comme du beurre au soleil ?
Kadhafi serait-il en train de vivre ses derniers jours comme chef d’Etat ? Tout porte à le croire, au rythme où évolue la révolution libyenne, clone de la révolution du jasmin en Tunisie et de la révolution Facebook en Egypte. Kadhafi aura certes tenu la situation pendant une semaine, c’est-à-dire jusqu’à lundi dernier, jour de la débandade des forces armées et de sécurité, à Benghazi, une des villes bastion de l’opposition. cela fait suite à une bataille rangée de près de 48 heures. Et une à une des localités commencent à tomber entre les mains des opposants.
A ce moment, c’est un Kadhafi déboussolé qui se met à bombarder son peuple à l’arme lourde, à la mitrailleuse et par des obus lâchés à partir d’avions de guerre. Le peuple qui l’est censé défendre devient, en quelques jours, une cible de guerre qu’il faut foudroyer par la puissance militaire. Le régime Kadhafi est donc en train de vaciller pour si peu, au point d’être comparé, par beaucoup d’analystes, à un géant aux pieds d’argile. En effet, comme le disait le directeur de l’Observatoire des pays arabes, Antoine Basbous, dans une interview accordée au journal français Le Point : " De tous les régimes arabes, celui de Kadhafi est le plus usé. Premièrement, parce que son chef exerce un règne absolu depuis 42 ans. Deuxièmement, parce qu’il est orphelin : ses deux voisins autocrates Ben Ali et Moubarak, qu’il a maladroitement soutenus y compris après leur chute, sont très rapidement tombés. Aujourd’hui, la peur a changé de camp. La nouvelle génération est celle d’une jeunesse décomplexée, qui n’a pas subi la répression de ses parents et dispose d’Internet".
En effet, internet est en train de révolutionner le monde et Kadhafi est en train d’en payer le prix. Grâce à cet outil, les peuples en révolte peuvent diffuser des mots d’ordre pour se soustraire de l’étau des services de sécurité, comme ce fut le cas en Egypte. Mais aussi et surtout, Internet empêche les génocides en diffusant en temps réel des massacres de populations. Une belle façon d’ameuter la communauté internationale. les dictateurs n’ont donc plus la possibilité de fermer les frontières de leur territoire, pour uniquement procéder à des répressions illimitées, à l’insu de la communauté internationale.
Le seuil critique de répression dépassé
En Libye, Kadhafi a coupé le téléphone, fait sortir du territoire tous les journalistes étrangers, brouillé toute une panoplie de chaînes de télévision qui diffusaient les événements en direct, mais les Libyens, qui entendent prendre le monde à témoin, passent en Tunisie et en Égypte pour poster sur Internet ce qu’ils ont réussi à filmer avec leur téléphone portable.
Avec une défection d’une bonne partie de l’armée, y compris au sein de l’état major, la démission des trois quarts de ses diplomates en poste à l’étranger et les massacres qui ont dépassé le seuil critique de répression, il est difficile à Kadhafi de remonter la pente. Et que pourrait d’ailleurs devenir le régime Kadhafi si par extraordinaire il sortait de cette situation ? Kadhafi ne peut plus être ce donneur de leçons qui, pour un oui ou un non, se tape la poitrine, pour parler au nom du peuple africain dont il se targue parfois -à tort ou à raison- d’en être le défenseur. Au nom de quel peuple pourra-t-il parler ? Celui que lui-même a choisi de massacrer pour avoir aspiré à plus de liberté et de démocratie ?
De toute façon, le bain de sang promis par le fils de Kadhafi, Seïf-al-Islam, a bien eu lieu. D’ores et déjà, l’on voit mal comment le clan Kadhafi pourrait-il échapper à une inculpation devant la Cour pénale internationale pour génocide ou crimes contre l’humanité. C’est d’ailleurs cet aspect de la question que devait étudier, hier, le Conseil de sécurité de l’ONU. Cette organisation, par la voix de Navi Pillay, Haut commissaire des Nations unies aux Droits de l’homme, confirmait, hier, l’ouverture d’une enquête sur des " crimes contre l’humanité " potentiellement commis par des forces de l’ordre en Libye.
Il faut remarquer que Kadhafi vient de donner l’occasion à tous ses adversaires, toujours restés à l’affût, de l’abattre. Ange devant les occidentaux il y a tout juste peu de temps, il est devenu le diable devant eux. En efft, les puissances occidentales commencent à reconnaître qu’elles se sont trompées sur Kadhafi, qui avait accepté de pactiser avec eux, en renonçant au terrorisme et aux discours anti-occidentaux. Une position prise par Kadhafi pour uniquement se concentrer sur la menace islamiste, selon les occidentaux. En d’autres termes, il voulait éteindre des fronts devenus encombrants pour se concentrer sur un seul: la montée de l’islamisme. C’est en ce moment que, devenu de nouveau fréquentable, il a acheté des amitiés dans toutes les parties du monde à coups de millions de pétrodollars.
En effet, le régime Kadhafi reposait sur trois piliers principaux : il y a d’abord la générosité sur la distribution des revenus du pétrole; les fameux pétrodollars qui maintiennent d’ailleurs le silence des chefs d’Etat africains face au génocide perpétré par le clan Kadhafi. Ensuite de redoutables services secrets qui ont installé la méfiance et la terreur au sein de la population libyenne et enfin sur les comités populaires, véritables milices positionnées en force de dissuasion pour toute opposition ou mouvement de contestation. Mais Kadhafi, comme d’autres dirigeants de pays arabes, a passé tout son temps à museler le peuple, au nom d’un semblant d’unité autour de la lutte contre l’islamisme, sans voir venir les foudres de la jeunesse Internet, avide de liberté et de démocratie. En Libye, comme dans beaucoup de pays africains, tous les ingrédients sont réunis pour que le peuple monte dans le train de la "révolution nomadisante". Mais pour Kadhafi, le cocktail est vraiment explosif : chômage excessif des jeunes, gaspillage des ressources nationales par le clan Kadhafi, arrogance des membres de la famille du Guide, bâillonnement des libertés fondamentales et surtout la liberté de chaque Libyen de disposer d’une arme qui a favorisé l’autodéfense de la population pour repousser l’attaque des forces de sécurité.
Mais l’après Kadhafi est tout aussi intéressant car l’opposition, toujours réprimée par le Guide, n’a jamais eu le temps de s’organiser. Pas d’opposition interne structurée. Pas de leaders charismatiques. Pas de système politique organisé et préparer à assurer l’alternance.
Amadou Bamba NIANG
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