Samory Touré, Homme d’état et résistant anticolonialiste. Laurent Gbagbo, chef d’Etat Ivoirien, résistant anticolonialiste. Le second se croyait véritablement l’incarnation du premier. L’histoire se chargea de conclure.
Pour le clan Gbagbo, le mal venait forcément d’ailleurs et de l’ancienne puissance coloniale en l’occurrence. La France n’a pas encore fini sa campagne de colonisation. Il fallait donc organiser la résistance. Puisque le contexte se veut moderne, la riposte devrait s’y adapter. La volonté de création d’une monnaie ivoirienne, la nationalisation des sociétés et entreprises étrangères entre autres stratégies, faisaient partie du rideau défensif du clan.
L’Almamy aussi n’en croyait pas moins. Les français constituaient bien la seule obstacle à son projet de reconstitution du grand empire.
Sur le plan spirituel, l’Almamy se croyait en outre investi d’une mission jihadiste. Ses conquêtes avaient en effet des relents à la fois géopolitiques et religieux. Eh bien, Gbagbo aussi. « Quelque part, je sens que Dieu m’a confié la mission de guider la Côte d’Ivoire sur le seuil de la modernité », dira-il dans une interview à « Jeune Afrique ».
La lutte du clan Gbagbo, aux yeux de ses propres acteurs était, celle de l’Afrique entière. C’est bien ce qu’écrit justement l’auteur Claude Koudou, très proche du palais présidentiel, dans son livre « La Côte d’Ivoire face à son destin : Et si l’Afrique était Gbagbo?». [Edition « l’Harmattan »]. Voici un passage du document :
GBAGBO : le héros qui f ait l’histoire
« De Gbagbo, de la Resistance et de l’Héroïsme comme catégories de traitement de la crise ivoirienne, de la situation post-conflit et de la sortie de crise
Du héros antique, c’est l’exploit glorieux, i.e. hors du commun et/ou surhumain, qui fait la notoriété et l’admiration de la postérité pour des siècles et des siècles, mais généralement, seule la destinée tragique favorise la légende grâce au travail de la mémoire de quelque Homère et Djeliba Kouyaté ou de quelque barde. Moyennant quoi s’élabore et la légende et le mythe, qui en retour, consolident dans les consciences des peuples, a la fois le Symbole qui n’est pas de l’Histoire, et la légende ou l’épopée qui formalisent les faits historiques sous forme de récit épique, dramatique ou tragique.
Mais le héros contemporain lui, qui plus est vivant, témoin et acteur d’une histoire qui n’est pas encore achevée, n’est pas tragique, mais légendaire. De fait, – pour autant que Gbagbo Laurent ait échappé au destin tragique qui n’a pas voulu de lui durant les journées de Novembre 2004 à Abidjan. Et pour cause! Quand l’aviation française, après avoir ouvert le feu sur la Résidence de Cocody et détruit au sol la flotte ivoirienne a l’Aéroport, fit occuper les rues d’Abidjan et le Pont Houphouët-Boigny par le 43e SIMA, l’histoire de la nouvelle Côte d’ivoire semblait saisie d’un bégaiement sans nom, au regard du scenario alors destiné a faire de Cicéron, un héros mort plutôt qu’une légende vivante.
Mais, lorsque les chars de combat d’une armée d’occupation se présentèrent sous les fenêtres du Palais, et que sommés de s’expliquer par le Maitre des lieux, il lui fut répondu : «On s’est égarés…; on s’excuse, on cherchait le Boulevard de Latreille! », c’était un pan entier de toute l’histoire coloniale aventure qui venait de s’écrouler, et avec ceci, l’émergence des nouvelles figures et des nouveaux symboles de la nouvelle période.
Dans ces conditions, l’écriture de l’histoire nouvelle ne relève plus des manuels anciens, ni des curricula de formation du régime ancien, encore moins des méthodes de recherche et d’enseignement traditionnels, mais d’un chapitre nouveau sous tous rapports, dont les protagonistes inattendus et imprévus avaient mis en échec une armée impériale réputée jusqu’ici invincible, singulièrement dans les ex-colonies françaises d’Afrique. Avant, c’était l’Histoire qui fabriquait les héros à titre posthume, à présent, ce sont les héros qui font l’histoire en même temps qu’ils écrivent celle-ci.
Du moins avec le Gbagbo des événements de Novembre 2004, dont le sort eut été pratiquement scelle, n’eut été l’héroïsme de la jeunesse – toutes nationalités confondues – et du peuple. Des lors, le temps du héros (exploit et hauts faits, attitude héroïques et comportement altruiste) et celui de l’Histoire (la conflictualité dans laquelle Gbagbo prend place) forment des registres qui s’imbriquent et se mêlent, sans se confondre …
Qui dira aux peuples et aux Mondes l’histoire contemporaine de la Cote d’ivoire de la crise? Les Historiens? Mais la matière n’est pas encore achevée! Les philosophes et les gens de lettres? Les artistes et les littérateurs? Ladite Communauté internationale? Les medias internationaux? Les experts en Nécrologie? La presse ivoirienne? Les journalistes? Les états-majors politiques ? Les professionnels de la laudation et du dithyrambe? Les professeurs d’Université? Les Académiciens ? Les Amis de I’ Afrique? Ou encore les poètes ? La Mémoire des peuples témoins du basculement d’une Histoire qui donnait l’air de n’aller nulle part? ».
La référence aux héros africains dont Gbagbo ferait désolais partie n’est pas feinte. Quoique le conquérant doublé de résistant, Samory Touré ne jouit pas, pour des raisons historiques, d’une belle réputation dans le Worodougou (Sud désignant communément la Côte d’Ivoire pour les Sahéliens du Mali), son parcours semble avoir bien inspiré M Laurent Gbagbo.
SAMORY TOURE : l’Histoire d’un héros
De Samory Touré, l’écrivain et historien congolais Elikia M’Bokolo dit ceci :
« Naguère, les historiens de la colonisation n’ont vu en lui qu’un «roitelet esclavagiste et sanguinaire». Depuis les luttes pour l’indépendance, les Africains ne cessent de la célébrer comme l’un des fils les plus dignes du continent noir, pour avoir incarné le refus de la domination étrangère.
Il arrivait que, pour des raisons essentiellement défensives, plusieurs kafu (unités de défense) se regroupent provisoirement et se reconnaissent un chef doté d’attributions avant tout militaires et appelé faama… Créateur d’empire, Samori fut donc un véritable révolutionnaire, introduisant dans son pays des innovations politiques jusqu’alors inconnues.
« (…) Dans l’armée qu’il a créée se trouvent des hommes du pays, animés par une sorte de patriotisme sincère, et des aventuriers venus de toute part, hommes sans foi ni loi, attirés d’abord par l’appât du gain. Tous ces hommes sont équipés d’armes à feu. Mais le commandement des soldats est confié à des personnes que Samori choisit très scrupuleusement : ce sont ses frères, ses amis d’enfance, plus tard ses fils, toutes personnes envers qui il pense pouvoir nourrir une confiance absolue. La seule chose qui unit ces hommes si divers, c’est leur dévouement total à la personne de Samory lui-même, proclamé faama en 1867.
(…) Homme de guerre redoutable, ayant entre les mains un instrument irrésistible, Samory aurait pu chercher à tout balayer sur son passage. Il préféra, plus habilement, alterner la guerre et la diplomatie, menaçant, flattant et trompant tour à tour tous ses voisins. Cette stratégie extraordinairement complexe va l’occuper presque entièrement pendant quelque vingt ans, jusqu’au milieu des années 1880. Il élimine ainsi, au travers de rebondissements toujours très spectaculaires, les Bérété, les Cissé, les Kaba de Kankan ».
Un destin commun ?
L’histoire, du moins le destin peut se montrer très capricieux. Il pousse souvent l’ironie à l’extrême. Voici la fin de Samory Touré telle que racontée par l’historien Elikia M’Bokolo :
« (…) Fidèle à la stratégie qui lui avait si bien réussi avec les chefs africains, Samory voulut mener parallèlement la guerre et la diplomatie avec les Européens. Mais, ses tentatives pour jouer les Britanniques contre les Français se révélèrent vaines, car les deux États avaient tout intérêt à s’entendre sur le dos des Africains ».
Point !
B.S. Diarra
Héros, où est ta gloire ?
Des milliers de morts et déplacés. Des familles et vies entières anéanties… Des plaines désormais béantes et qui mettront longtemps à cicatriser… Un pays dorénavant divisé… Et à la fin, une lamentable reddition après une nuit de bombardement !
Qu’il plaise donc à l’histoire de l’ériger en héros, mais le jugement des contemporains de M Laurent Gbagbo est sans appel. Ses prochains retiennent en effet de lui un oppresseur narcissiste.
Ses proches se sont offusqués suite aux bombardements ciblés au motif que sa famille se trouvait encore avec lui dans le palais au moment de l’attaque. C’est bien le comble du mépris pour la vie des autres. Combien d’innocents ont été pris pour cibles par les miliciens pro-Gbagbo pour cause de leur appartenance ethnique ou à une communauté étrangère ?
Aussi, ces boucliers humains qu’il sollicitait, voire obligeait à se rendre aux portes de son palais n’avaient-ils pas de familles ?
Le héros n’est pas toujours le combattant. C’est aussi et surtout celui qui sait renoncer à tort et /ou à raison dans le souci de préserver l’essentiel : les vies humaines.
B.S. Diarra