Des militaires de haut rang expriment de très fortes réticences à voir des troupes régulières engagées dans des opérations de maintien de l’ordre aux États-Unis.
Trump se heurte à l’opposition des milieux militaires. Ses menaces de recourir à l’«Insurrection Act» et de faire appel à l’armée d’active pour «régler rapidement le problème» des manifestations si les gouverneurs ne le font pas, ont placé le président américain en porte-à-faux avec une nouvelle institution, d’habitude beaucoup plus silencieuse.
Cette fois, ce ne sont pas les médias «fausses nouvelles», ni les «démocrates d’extrême gauche», ni l’«État profond» qui se mettent en travers de la volonté présidentielle, mais l’armée américaine.
De façon très inhabituelle, la hiérarchie militaire a fait savoir sa réticence à voir des troupes régulières engagées dans des opérations de maintien de l’ordre dans les villes américaines face à des foules redevenues globalement pacifiques, et surtout l’armée utilisée à des fins politiques.
Le plus extraordinaire signe de désaccord est venu de l’homme de confiance que Trump avait lui-même placé à la tête du Pentagone, Mark Esper. «En tant que secrétaire à la Défense, mais aussi en tant qu’ancien soldat et ancien membre de la Garde nationale, j’estime que l’option de recourir à l’armée d’active dans un rôle de maintien de l’ordre ne devrait être utilisée qu’en dernier ressort et uniquement dans les situations les plus urgentes et les plus graves, a-t-il déclaré au cours d’une conférence de presse mercredi matin. Nous ne sommes pas dans l’une de ces situations pour le moment. Je ne suis pas favorable à recourir à l’Insurrection Act».
Esper, ancien élève de West Point, officier parachutiste, avait combattu pendant la première guerre du Golfe avant de faire carrière dans les relations publiques pour le compte de l’industrie de défense. Considéré comme un fidèle de Trump, il était aux côtés du président lundi lorsque celui-ci était brièvement sorti de la Maison-Blanche pour se faire photographier devant l’église Saint-John. Esper avait lui-même recommandé de «dominer l’espace de bataille» face aux manifestants, expression qu’il a dit depuis regretter. Le secrétaire d’État a simultanément annoncé le retour dans leurs quartiers de quelque 200 parachutistes de la 82e division aéroportée, en alerte près de Washington et prêts à intervenir en cas de besoin. Signe des sourdes tensions entre le Pentagone et la Maison-Blanche, cet ordre a été annulé quelques heures plus tard.
Mattis et Mullen prennent la parole
Le même jour, le prédécesseur d’Esper au Pentagone, le général James Mattis, a livré dans une tribune publiée par le magazine The Atlantic, l’une des critiques les plus cinglantes du président par un ancien membre important de son administration. «Donald Trump est le premier président de mon existence qui n’essaie pas d’unir le peuple américain ; il ne prétend même pas essayer. Au lieu de cela, il essaie de nous diviser», a écrit Mattis. «Nous assistons aux conséquences de trois ans de ces efforts délibérés. Nous assistons aux conséquences de trois ans sans un gouvernement responsable», a-t-il continué. Lorsque j’ai rejoint l’armée, il y a une cinquantaine d’années, j’ai fait serment de défendre la Constitution. Je n’aurais jamais imaginé que des soldats ayant prêté le même serment aient un jour à recevoir l’ordre de violer les droits constitutionnels de leurs concitoyens – et encore moins pour permettre une bizarre séance de photo au commandant en chef avec des responsables miliaires à ses côtés».
Ancien commandant du corps des Marines, l’un des officiers les plus décorés de sa génération, James Mattis avait été considéré pendant les deux premières années du mandat de Trump comme l’un des rares membres de l’administration à ne pas se comporter en sycophante tout en servant loyalement le président. C’est au nom de cette même loyauté que Mattis avait fini par remettre sa démission en décembre 2018, invoquant son profond désaccord avec la décision de Trump de retirer les forces américaines du Rojava, la région autonome kurde au nord-est de la Syrie, et d’abandonner les alliés des YPG. Trump avait avancé la date de départ de Mattis, claironnant depuis qu’il l’avait «viré». Mattis était resté depuis silencieux. Ses mémoires, Indicatif Chaos, ont soigneusement évité toute référence au président, et Mattis invoquait son «devoir de silence». C’est à peine si le général avait publiquement répondu aux insultes de Trump, en rappelant qu’alors qu’il avait «gagné ses éperons sur un champ de bataille», le président avait «obtenu les siens avec un certificat de réforme du médecin».
«Nous ne devons utiliser nos forces armées sur notre territoire qu’en de très rares occasions, et à la requête des gouverneurs, a aussi dit Mattis. La militarisation de notre réaction, comme nous l’avons vu à Washington, D.C., entraîne un conflit – un faux conflit – entre la société civile et militaire. Il érode le lien moral qui garantit la confiance entre les hommes et les femmes qui servent sous l’uniforme et la société civile qu’ils ont juré de protéger et dont ils font eux-mêmes partie. Le maintien de l’ordre public incombe aux autorités civiles, gouverneurs et élus locaux qui comprennent le mieux leurs communautés et leur rendent des comptes».
Troisième figure militaire de haut rang à sortir de sa réserve, l’amiral Mike Mullen, ancien chef d’état-major, a lui aussi publié une tribune dans laquelle il met en garde contre le recours à l’armée d’active pour des missions de maintien de l’ordre. «Je ne peux pas rester silencieux», écrit l’ancien amiral, qui dit avoir confiance dans les forces armées. «Mais je suis moins confiant dans la légalité des ordres que ce commandant en chef leur donnera, et je ne suis pas convaincu que les conditions dans nos rues, aussi mauvaises soient-elles, ont atteint un niveau qui justifie un recours à des troupes militaires… En outre, je suis profondément préoccupé par le fait que, lorsqu’ils exécuteront ses ordres, les militaires seront utilisés à des fins politiques».
Trump n’a pas commenté la déclaration d’Esper, mais a publié quelques messages vengeurs sur Twitter, contre Mattis, le «général le plus survendu».
Même si elle s’exprime par l’intermédiaire de généraux à la retraite, la fronde de l’armée est un développement imprévu pour Donald Trump. Celle d’Esper indique que mêmes les membres les plus fidèles de son gouvernement ne sont pas prêts à le suivre aveuglément.
Source: https://www.lefigaro.fr/