Qu’adviendra-t-il des combattants formés en Syrie et en Irak, après la chute possible du groupe Etat islamique ? La dissémination de ces « vétérans djihadistes » dans leur pays d’origine fait planer une menace plus lourde encore, estiment certains experts.
Alors que les pays occidentaux mutualisent leurs efforts pour vaincre le groupe Etat islamique(EI), la disparition de cette organisation ne suffira pas à venir à bout d’un menace peut-être plus grande : celle des “vétérans dijiadhistes”. C’est ce que pointent désormais certains experts qui parlent d’une menace sur le long-terme.
D’après un rapport du Soufan Group, un institut spécialisé dans le renseignement, près de 30.000 personnes ont rejoint les rangs de l’organisation terroriste en Syrie et en Irak. Un nombre qui a plus que doublé en un an et demi. Ces djihadistes étrangers sont originaires de 86 pays différents, selon cette étude, qui précise que 20 à 30 % d’entre eux retournent dans leur pays.
Déjà à l’époque d’Al-Qaïda, 10.000 à 20.000 islamistes radicaux auraient été formés dans les camps d’entraînement en Afghanistan, entre 1996 et 2001. Certains de ces camps étant menés par Oussama ben Laden lui-même. Après la chute du régime des talibans qui les protégeait, ceux qu’on a parfois surnommés les « arabes afghans » se sont disséminés, exportant dans de nombreux pays leurs maquis et leur idéologie radicale.
La fragmentation de l’EI pourrait faire naître des groupes plus radicaux
Aujourd’hui, la crainte des experts est de voir ces vétérans du djihad faire peser une menace à long-terme sur les institutions occidentales, qui ne sont pas prêtes à faire la contrer. « Bien longtemps après la défaite de Daech (acronyme en arabe de l’EI), le monde entier va payer les années d’aveuglement durant lesquelles il a laissé grandir le monstre djihadiste aux portes de l’Europe », prévient Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris, spécialiste des mouvements djihadistes. « Ce sont bien sûr les pays européens, avec au moins 5.000 djihadistes engagés dans Daech, toutes nationalités confondues, qui seront les plus touchés ».
En conquérant aux confins de la Syrie et l’Irak des territoires sur lesquels il a déclaré le « califat », vers lequel ont convergé ces volontaires, le chef auto-proclamé de l’EI, Abou Bakr al-Bagdadi, risque d’avoir semé les graines de décennies de révoltes djihadistes.
« Après la destruction de l’EI », promise par la France et les Etats-Unis, « on va assister à une fragmentation du noyau central », assure Mathieu Guidère, professeur des universités, spécialiste du terrorisme islamiste. « Et comme ne survivent que les plus aguerris, les plus radicaux, on va se retrouver avec quelque chose de pire que l’EI. Souvenez-vous : on a cru avoir éliminé Al-Qaïda en tuant ben Laden : la fragmentation d’Al-Qaïda a abouti à quelque chose de pire. Ce seront des groupuscules plus dangereux et plus radicaux ».
Des programmes de réhabilitation
En France, les services spécialisés peinent, comme l’ont montré les attentats du 13 novembre, à surveiller tous les djihadistes ou apprentis-djihadistes rentrant de Syrie. « Rien qu’avec les flux actuels, les quelque 250 qui sont rentrés, c’est compliqué », admet un haut responsable de la lutte antiterroriste sous couvert d’anonymat. « La quasi-totalité est immédiatement auditionnée » et traduite en justice.
Mais, au moins pour ceux dont la justice ne pourra pas prouver qu’ils ont du sang sur les mains, les peines de prison seront de l’ordre de sept à dix ans, estime-t-il. « Donc ils vont en purger une partie. Ça veut dire que dans quatre/cinq ans, les premiers sont dehors ». « Il faut se préparer dès maintenant, et voir ce qui peut marcher pour remettre ces gens dans la société. Certains seront traumatisés pendant des années. Il faut penser à la réhabilitation, à l’encadrement. Il faut conjuguer le temps court, empêcher des attentats, et ce temps long, et ce n’est pas facile. C’est un problème qui va durer des années ».
Jean-Pierre Filiu plaide lui aussi pour la mise en place de structures pour réhabiliter ces personnes à leur retour en France, bien au delà de seules institutions pénitentiaires. « La seule réponse sécuritaire, aussi légitime soit-elle, ne suffira pas. Il faudra établir des programmes spécifiques à l’attention des dissidents ou des déserteurs de Daech, ne serait-ce que pour neutraliser par leur biais leurs anciens compagnons d’armes », explique-t-il.